On supprime l’établissement pour les orphelins de la Légion d’Honneur; on fait pis: on le rétablit par faiblesse.
On vend publiquement la Légion d’Honneur; on fait plus: pour l’avilir, on la jette aux gens les plus étrangers à la chose publique, par exemple à des parfumeurs du Palais-Royal. L’armée des Bourbons ne s’élève pas à 84.000 hommes, et on y met pour officiers 5.000 vieux émigrés ou jeunes nobles imberbes.
Chapitre LXXX
Continuation du même sujet
Voici d’autres violations de la charte:
7. Le 30 juillet, on établit une école militaire pour faire jouir les nobles des avantages de l’ordonnance de 1751.
8. Le chancelier, de sa propre autorité, met un impôt sur les provisions des juges, sur les lettres de naturalisation et sur les journaux.
9. En opposition à la lettre de la charte, le gouvernement n’ayant pu faire passer une loi pour réorganiser la Cour de cassation, la renouvelle par une ordonnance, et renvoie plusieurs juges fort estimés; de ce moment les juges furent vendus. Cette Cour maintient en France l’exécution des codes; c’est un rouage fort important pour l’ordre intérieur, et jusqu’à l’époque dont nous parlons, il a été excellent.
Chapitre LXXXI
Suite
La charte, quoique les gens qui l’ont faite ne s’en soient pas doutés, est divisée en deux parties. Par la première, elle est vraiment constitution, c’est-à-dire recette pour faire des lois, loi sur la manière de faire des lois; par la seconde, elle est transaction amicale entre les partis qui divisent la France.
10. L’article le plus important de cette seconde partie est le 11e ainsi conçu: «Toutes recherches des opinions et votes émis jusqu’à la Restauration sont interdites.» Le même oubli est commandé aux tribunaux et aux citoyens[198].
Chez un peuple enfant et vaniteux, cet article était un des moins importants pour l’autorité royale. Ceux que la faveur ne soutient pas en France sont toujours méprisés, et les gens protégés par cet article auraient été les flatteurs les plus déhontés. Mais les ministres étaient aussi enfants que le reste de la nation. Ils tinrent beaucoup à chasser certains membres de la Cour de cassation. Dans les palais des rois, on est toujours en avant de l’opinion que l’on suppose au prince[199].
11. Une niaiserie encore plus incompréhensible, pour qui n’a pas connu les meneurs de cette époque, fut celle de chasser quinze membres de l’Institut. Ce coup d’État si ridicule devint important par les conséquences. Il frappa la nation; ce fut l’avant-dernière goutte du vase qui va déborder; le lendemain, s’il l’avait pu, le peuple français eût chassé les Bourbons. Or que faisait et aux Bourbons et aux Français, que les noms suivants fussent de l’Institut: Guyton-Morveau, Carnot, Monge, Napoléon Bonaparte, Cambacérès, Merlin, Rœderer, Garat, Sieyès, le cardinal Maury, Lucien Bonaparte, Lakanal, Grégoire, Joseph Bonaparte et David?
Ce qu’il y eut d’incroyable, c’est qu’on trouva à remplacer les éliminés. Il y eut des gens qui consentirent à entrer par ordonnance, dans un corps qui n’est quelque chose que par l’opinion. Du temps des d’Alembert et des Duclos, il n’en eût pas été ainsi. Et l’on s’étonne que la classe la plus avilie de Paris soit celle des gens de lettres[200]
Chapitre LXXXII
Retour à l’ancien régime
On sait assez comment le Corps Législatif était choisi sous Napoléon. Les sénateurs nommaient les protégés de leur cuisinière. Et cependant telle était l’énergie inspirée à la nation par le culte de la gloire, tel était son mépris pour les petitesses qu’aucune Chambre, nommée sous l’empire de la Restauration, ne s’est acquis autant d’estime que celle où brillèrent MM. Durbach, Laîné, Bedoch, Raynouard, Suard, Flaugergues. Les discours de ces hommes estimables consolaient la nation. À cette époque, tout ce qui touchait au gouvernement était avili. Les vrais royalistes, les purs, les émigrés affectaient de sourire avec dédain aux mots de charte et d’idées libérales. Ils oubliaient que l’homme qui les a mis sur leurs jambes, le magnanime Alexandre, avait recommandé au sénat de donner à la France des institutions fortes et libérales. Mille bruits sinistres annonçaient de toutes parts à la nation la résurrection prochaine de l’ancien régime.
Les ministres favoris, MM. D[ambray], F[errand], M[ontesquiou], B[lacas] ne perdaient aucune occasion de professer la doctrine de la monarchie absolue. Ils regrettaient publiquement cette vieille France où étaient réunis dans tous les cœurs, sans aucune distinction, ces mots sacrés: Dieu et le Roi[201].
Bien entendu qu’on n’oubliait pas les droits aussi sacrés de la fidèle noblesse. Tout le monde ne se rappelle peut-être pas que ces droits consistaient en 144 impôts, tous différents[202]. Enfin, le duc de Feltre, ministre de la guerre, qui n’avait pas même l’illustration de la guerre, osa dire à la tribune: «Sy veut le roi, sy veut la loi», et il est devenu maréchal. Enfin, qui le croirait, M. de Chateaubriand ne parut pas assez royaliste; sa réponse au mémoire du général Carnot fut attaquée dans ce sens[203].
Chapitre LXXXIII
Les biens nationaux
Les membres de l’ancien parlement s’étaient rassemblés le 4 juin chez M. Lepelletier de Morfontaine[204] et avaient formellement protesté contre la charte. Ils avaient ainsi encouru le traitement dû à toutes les minorités: «Ou soumettez-vous aux lois, ou allez-vous-en[205]». On n’eut pas l’air de s’apercevoir de cette ridicule protestation, et aussitôt, la noblesse se prépara à en faire une semblable. En France, où chacun aspire à créer un régiment pour se faire colonel, ces sortes de démarches ont de l’importance. Ce sont les conspirations du pays. Un prince politique les eût punies avec sévérité.
À Savenay (Loire-Inférieure), un sermon fut prêché le 5 mars: on disait aux fidèles que ceux qui ne rendraient pas leurs biens aux nobles et aux curés, comme représentants des moines, éprouveraient le sort de Jézabel et seraient dévorés par les chiens.
Parmi les pétitions, dont le Corps Législatif ne voulait pas prendre lecture, il s’en trouvait près de trois cents d’individus se plaignant que leurs curés leur refusaient l’absolution parce qu’ils étaient propriétaires de biens nationaux. Or huit millions de Français sont dans ce cas, et les huit millions qui ont le plus d’énergie. Au mois d’octobre, les journaux dévoués à la cour racontèrent qu’à une fête que le prince de Neuchâtel avait donnée à Grosbois au roi et à la famille royale, le prince avait fait hommage à Sa Majesté d’un rouleau de parchemin contenant les titres de propriété de ce bien national. Le roi les avait gardés une heure et ensuite les avait rendus au maréchal avec ce mot gracieux: «Ces titres ne peuvent pas être en de meilleures mains.» Berthier se plaignit de cette ridicule anecdote au roi lui-même et, ce que je suis bien loin de croire, ne put jamais obtenir la permission de la démentir dans les journaux.
M. Perrand proposa une loi fort juste: il s’agissait de rendre aux émigrés leurs biens non vendus[206].
Il osa parler à la tribune «des droits sacrés et inviolables que ceux qui avaient suivi la ligne droite ont toujours aux propriétés dont ils ont été dépouillés par les tempêtes révolutionnaires» et M. Ferrand eut le cordon bleu.
[198]
Voir la loi dite
[199]
On n’aime pas la liberté de la presse, mais on est trop faible pour l’empêcher. L’air de braver le gouvernement donne du piquant au journal
* La fin de la note a été coupée à la reliure.
[200]
C’est ce qui fait que les gens qui se respectent n’aiment pas à devenir auteurs et à mettre leur nom aux titres de leurs livres.
J’en suis à 11 violations; l’
[206]
Il y a plus: il fallait rendre aux émigrés jusqu’au maximum de six mille livres de rente par tête et en