Quand nous voici voilà dans la grotte miraculeuse, ces braves garçons nous cernent après nous avoir fait placer en essaim autour de la table centrale.
Le chef, quant à lui, pousse une porte imitation rocher afin d’aveugler l’ouverture. Faudrait être drôlement futé pour repérer une telle cachette, moi je te le dis.
Il donne de la lumière et un gigantesque plafonnier diffuse sur nous une clarté de bloc opératoire.
— Ces filles parlent espagnol ? me demande le chef.
— Non.
— Alors dites-leur de déposer leurs bijoux sur la table sans faire de manières ; et vous-même videz vos poches.
— L’opération détroussage ? ricané-je.
— Nous ne pouvons lever des impôts pour subsister, señor, plaide mon interlocuteur, un grand beau gaillard aux yeux de braise et aux dents de loup, avec un collier de barbe qui ressemble à de l’astrakan ; lorsque nous aurons pris le pouvoir, nous n’aurons plus besoin de voler les gens de cette manière.
Il rit d’un beau franc rire en cascade (à cause de la chute, probable). Je fais part de ses exigences aux sœurs Bouquinquant ; elles sont trop effrayées pour regimber et se défont à qui mieux mieux de leurs bracelets, colliers, bagues et boucles d’oreilles. Personnellement, je dépose ma Piaget extra-plate sur la table, ainsi que ma liasse de chiracos. Le chef rafle le tout qu’il dépose dans une boîte de fer. Par acquit de conscience, il nous palpe afin de s’assurer que nous n’avons pas triché.
— C’est bien, approuve-t-il. Vous allez partager notre modeste repas.
Il se marre et ajoute :
— Vous l’aurez payé assez cher !
Comme tu le vois, la bonne humeur est de rigueur chez les révolutionnaires san braviens.
Ce qu’il y a de poilant, chez ces gens-là, c’est qu’à l’instar de mes trois stars, ils se ressemblent. Toujours, chez les francs-tireurs, tu noteras. Je te prends Castro, par exemple, tous ces guerriers, t’aurais cru sa pomme. Le mimétisme. A croire que les luttes secrètes unifient les visages.
L’un des gentils messieurs passe une espèce de casaque de lin sur son torse luisant et ôte son short mouillé. La casaque lui arrive un peu plus bas que le nombril ; mais il est sans pudeur. Ses potes l’imitent. Et voilà mes sonneurs de cloches avec mams’elle bibite au vent, ding dong ; des types bien membrés : de la bonne chopine de franc-tireur, comestible et que tu devines prête à la manœuvre sitôt que t’as enlevé le cran de sûreté.
L’un d’eux branche la radio. Ses potes s’occupent de la croque. Pas si frugale que ça. Froid, mais consistant : salade de turlu, gigot de gaudillo, fromage de brandule, fruits du jardin, café.
Le speaker interrompt tout à coup le programme de musique de chanvre. Il est tout essoufflé, surexcité, en pâmade. Il déclare comme ça qu’on vient d’apprendre la mort de Pedro Pantouflar, le chef de cabinet attaché de presse et d’embrassades. Une crise probablement cardiaque, vu sa promptitude, l’a terrassé alors qu’il s’apprêtait à passer à table. Suivent les mérites de cet homme de bien, héros de la Révolution, compagnon vachetement féal du divin Chiraco qu’il a servi avec un dévouement à toute épreuve, une persévérance naninanère et du chmoltoche à n’en plus pouvoir. Pantouflar laisse une pauvre mère accablée, une veuve en parfait état, et trois beaux enfants plus six filles. Aux suprêmes nouvelles, le président vénéré aurait décidé de lui décerner à titre posthume l’ordre du Trou Occulte et de la Banane, la plus haute récompense créée par le nouveau régime. Ses funérailles auront lieu demain matin en la cathédrale de Bravissimo, en présence des Corps constipés, d’un détachement de la garde à vue et du défunt drapé dans un drapeau, ce qui est la moindre des choses.
Les guérilleros explosent de joie. Ils déclarent qu’une pareille bonne nouvelle, ça s’arrose. Alors la tequila coule à flots. Mais le gars mézigue, fils unique et hautement préféré de Félicie, distille des arrière-pensées surchoix. Il se dit, le camarade Santantonio, que la crise cardiaque pourrait bien être consécutive à la rage de Chiraco. Ce dernier aura assouvi sa vindicte, comme on disait puis dans les feuilletons d’autrefois. Qui sait s’il n’a pas révolvérisé son chef de cagoinsses, ou s’il ne lui a pas arraché la veine jugulaire avec les ongles pour se passer les humeurs ?
La bamboula se poursuit jusqu’à une heure avancée de l’ennui, dans la grotte des francs-tireurs. Quand ils ont bien lichetrogné, ces messieurs décident de s’embourber mes compagnes. Je fais part à ces dernières de ce vœu pieux. Il n’a rien qui puisse effaroucher des personnes de leur condition. Et même, elles trouvent fière allure à ces hors-la-loi aux muscles tendus et à la peau luisante, aux chibres prometteurs, aux dents de loup, et t’essaieras et t’essaieras…
Alors une vaillante partie d’oignon s’engage. La vraie débauche. Je me dis que je pourrais en profiter pour essayer quelque chose, seulement le chef de la compagnie n’est pas tombé de la dernière pluie (c’est le cas d’y dire) et un homme armé est toujours de permanence pour me surveiller tandis que ses potes bavouillent à tout berzingue. Je dois préciser, pour cautionner la vérité de mon récit, que ces zigotos brossent comme des patates. Eux, ils se tamponnent des fioritures. La pipette moldave, l’enfourchement en danseuse, le trot viennois ne les intéressent pas le moins du chose. Depuis l’arrivée de Christophe Colomb, ça lime à la papa dans les Amériques. La baisouille franche et massive, le pif dans l’oreiller, avec de temps à autre un mouvement de crawleur pour assurer l’oxygénation du mec. Simplement, ce qu’il faut leur reconnaître, c’est qu’ils ont le cul à ressort, les gueux. Charogne ! De vrais lapins. Mille aller-retour-seconde ! Les miss, elles useraient d’un vibro masseur, elles ne s’apercevraient pas de la différence, comme on dit à France Inter. Ces « ombres », tu les verrais piquer leur sprint, t’en serais sidéré. Tout le peloton au coude à coude, dans un mouchoir, à tringler follement pour franchir le premier la ligne d’arrivée. Tout ça sans un mot. Du contre-la-montre de grand style. Juste que t’entends le bruit saccadé de leur respiration, et la plainte forcenée du sommier qu’on ébroue[10].