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J’œuvre dans un angle arrière du véhicule afin de ne pas être entravé, ensuite, par l’insurmontable obstacle du pont arrière. Vingt et une vis sont ôtées au bout d’un quart d’heure. Reste les irréductibles.

Elles se répartissent sur les quatre faces de la plaque, m’empêchant de soulever un bord d’icelle. Alors, l’Antonio génial, celui qui remplace les godemichés en panne et les époux en voyage, décide qu’aux grands maux les grands machins. Profitant de ce que ces trois jolies dames sont encore inconscientes, il compisse une vis. La recette me fut communiquée en son temps par un certain Alexandre-Benoît Bérurier, lequel vivait au vingtième siècle à Paris, Paris qui était une ville française à cette époque reculée. Ledit Bérurier, un jour que nous nous colletions avec les vis d’un verrou très vénérable, et donc rouillé, me révéla que l’urine émouvait les vis (et il mettait le mot vis au masculin, l’objet lui paressant viril. Il disait « un vis », lui qui en avait tant !).

Effectivement, mes efforts, joints à ma miction (de confiance), ont raison de l’entêtée. Et ensuite, d’une seconde. Deux côtés de la plaque sont donc libérés, trois vis restant farouchement sur leur position ; tu me suis ? Pas trop difficile ? Tu veux que je recommence ? Non ? Tu comprends vraiment ou tu fais semblant ? Et puis après tout, hein ? Bon ! M’aidant d’une cheville de bois prélevée sur l’une des caisses, je parviens à…

Oh, et chiasse pour toutes ces explications à la mords-toi le laineux. Tu t’en doutes bien, depuis le début, que je parviens à l’enlever, cette plaque. Alors pourquoi vais-je m’amuser à tirer à la ligne ? Je vais te dire, la nuisance, dans notre job, c’est qu’on est amené à truquer, mine de rien. C’est de la déformation, ça : parler pour ne rien dire.

Alors donc, je me débrouille pour ôter la plaque. Je fais la grimace en découvrant que l’essieu des roues arrière passe pile en travers de l’ouverture et que…

Allons, bon, je recommence ! Là aussi, tu penses bien qu’essieu ou pas, je vais me démerder pour sortir de ce fourgon. Pas facile, ça, tu peux me croire, mais enfin, à force de reptations et de mépris pour mes effets, j’arrive à me couler sur le pont du barlu qui nous emporte. Ça tangue tant et plus, et plutôt plus que tant. Je reste un bout de moment sans broncher, tâchant à me repérer. La perspective rasante ne me permet que d’apprécier la taille du bateau. Ainsi que je l’avais prévu, il s’agit d’un vieux rafiot. Il craque de partout et son bois vermoule. Son pont n’est large que de six mètres environ. Nous avons été chargés côté proue, bien entendu. Le barlu n’est pas conçu pour le transport des voitures car on nous a arrimés au moyen de filins fixés à la diable, dans tous les sens. Les roues du fourgon ont été maintenues par des pièces de bois sommairement clouées au pont. J’attends un peu, puis je repte vers l’avant du véhicule. Certes, je prends la précaution de demeurer au centre de celui-ci, mais je ne fais guère d’illuse quant à la précarité de ma position. Qu’un mataf y regarde d’un peu trop près et je vais être découvert (à poisson). Evidemment, il me faudrait la nuit. Une belle nuit sans lune. Je suis imprévoyant, en tant qu’affabulateur, je trouve : j’aurais pu déplacer l’action, la situer plus tard dans la journée, au crépuscule très propice. Mais non, carrément, je déboule aux aurores. Plein soleil. Va falloir s’accommoder, faire avec les moyens du bord, c’est le cas de dire !

Un bruit de voix. A cause du moteur et du flot grondeur, ceux qui se causent sont obligés de gueuler. Il faut coûte que coûte que je file mon petit périscope personnel hors de ma planque. C’est alors qu’il me vient une idée.

Je repte vers l’orifice. J’homme-serpente de nouveau, rengage mon buste statufique par l’orifice. Justement, l’une des sœurs est revenue à elle et considère la vie retrouvée d’un œil indécis.

— Hé, Mathilde ! je lui débigoche, car faut bien se décider à donner un prénom à une fille, de temps en temps, manière de se faire un palais, passez-moi le journal qui tapisse cette caisse vide.

Elle obtempère.

— Surtout, vous et vos frangines, ne bronchez pas avant que je vous fasse signe.

La donzelle acquiesce.

Moi, pour lors, je fais une espèce de grosse boule avec le baveux qu’en première page, justement, on peut admirer Tiago Chiraco inaugurant le salon du diabolo-menthe au hall des expositions de Bravissimo. Je perce deux trous pour mes châsses, je place le journal devant moi et risque ma bouille sous le pare-chnocks de la Mercedes.

Me faut pas longtemps pour retapisser le topo.

Au mitan du bateau, plutôt sur l’avant, il y a le poste de pilotage, vitré. Deux types sont à l’intérieur : l’homme de barre, et un autre zig frileusement engoncé dans un imperméable, coiffé d’une vilaine casquette très large, comme on n’en voit plus que dans les actualités sur l’exposition internationale de 1900. Les deux personnages matent vers le large, droit devant eux, donc me tournent le dos. Trois autres types bavardent sur le pont : notre chauffeur aux lunettes-miroirs, si serviable envers les stoppeurs (dont il est à la recherche) plus deux matelots basanés, loqueteux, cradingues, qui fument des moignons de cigare en crachant après chaque bouffée.

Un quatrième homme se pointe sur ces entre-choses, portant une sorte d’immense couffin empli de victuailles. L’instant de la bouffe est venu. Les autres se lèvent et se dirigent vers la proue pour jaffer, car ils seront protégés du soleil par l’ombre du poste de pilotage. Si je possédais une arme, peut-être tenterais-je quelque chose. Mais je ne dispose que d’un couteau suisse et ils sont six. Je réfléchis bien. La situation est délicate, mais non désespérée. En somme, pendant un bon moment nous n’aurons à nous gaffer que de deux mecs qui nous tournent le dos et qui, chose estimable, ne pourront nous entendre.

De mon œil de lynx j’apprécie les lieux. Et voilà que j’échafaude un plan qui, s’il est conduit à terme, nous vaudra de bons moments. Je me refuse à t’en dire davantage pour l’instant, sinon, par la suite, t’iras gueuler de partout que l’idée était de toi. Parce qu’alors, ta pomme, pardon, c’est pas les scrupules qui t’empêchent de ronfler ! Le jour qu’on distribuait la vergogne, tu t’étais barricadé dans les gogues, faut croire, pour en tellement manquer.

Satisfait par ce premier examen et les conclusions qui m’en résultent, je retourne à la trappe. Mes cisterciennes sont toutes réveillées. Je leur révèle ce qu’est l’instant présent et la manière dont j’envisage le suivant. Elles paraissent décidées à suivre mes observances. Je suis sobre dans mes exhortations.

— Si cela réussit, on s’en sort, sinon on l’a dans le cul.

Bien qu’elles aient déjà accepté beaucoup de visiteurs dans cette partie admirable de leur individu, elles paraissent farouchement partisanes de la première hypothèse. Et voilà, on s’y colle.

Pour commencer, je les aide à s’extraire. Ça n’a rien de duraille, car les deux messieurs du poste de pilotage, de par leur position élevée, ne peuvent voir ce qui se bricole sous la bagnole.

Lorsque, après maints efforts, nous nous retrouvons à plat ventre sur le pont, tous les quatre, l’instant crucial est venu. Que ceux qui ont un peu de religion se signent en trois exemplaires et déposent l’original au service des archives.