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L’un des quatre merdologues fit un geste de répulsion en direction de l’écran.

Celui qui me parlait reprit :

— Le règne de cette crapule a suffisamment duré. Nous sommes le 3 mai, il faut que ce dictateur soit mort ou déposé avant le 28.

Ça m’a échappé :

— Pourquoi, le 28 ?

Ma question avait de l’importance car, avant d’y répondre, le type consulta ses compères du regard. Ils battirent des cils en signe d’approbation. Alors il rebrancha la carte du San Bravo et me désigna un point de la côte Nord-Ouest.

— Parce que l’affaire de Cuba recommence dans ce pays. Des rampes lance-missiles doivent être aménagées dans ce secteur à compter du 28 mai par une grande puissance étrangère et cela, nous ne le voulons pas !

— Il me semble que le bon Kennedy avait déjà résolu ce genre d’affaire d’une manière claire et péremptoire ? ai-je murmuré.

— C’était il y a plus de quinze ans, riposta mon enculoman, les choses ont évolué depuis. Chaque période nécessite des méthodes appropriées.

— Ne peut-on fomenter une révolution ?

Il parut prodigieusement agacé, car j’outrepassais mes prérogatives. On ne m’avait pas convoqué pour me demander mon avis, mais pour me donner des instructions.

— Une révolution requiert l’opposition d’une grande partie de la population, répondit-il cependant. Or le peuple sanbravien presque tout entier est fanatisé par son petit Hitler. Tant que Chiraco est en vie, nous ne pouvons espérer aucun concours de sa part. Toutes les tentatives entreprises dans ce sens ont lamentablement avorté.

— Très bien, alors dites-moi ce que je viens faire dans ce dilemme, par pitié.

— Le résoudre, riposta durement le scatologue (car je lui trouvais de plus en plus l’air d’un mange-merde tout-terrain).

— D’après ce que vous venez d’énoncer, il n’est qu’une manière d’y parvenir.

— En effet.

Pour le coup, je fis comme Pierre Ier de Russie : je montis sur mes grands chevaux.

— Hé, dites, monsieur X-trois-étoiles, il y a erreur dans la distribution : je suis policier et non tueur à gages, c’est pas le même cierge qui coule[1].

— On ne vous parle pas d’assassiner Tiago Chiraco.

— Alors ?

— Il s’agit seulement d’introduire dans la place la personne qui s’occupera de la besogne.

— L’introduire dans la place ! Vous imaginez-vous que Chiraco soit un de mes anciens condisciples ? A quel titre serais-je moi-même reçu ?

Jusqu’alors, le Dabe n’avait pas moufté.

Voyant que les quatre mystérieux baisocrates répugnaient à m’expliquer le pourquoi du comment du chose, il le fit délibérément.

— Mon cher ami, vous vous doutez bien que si ces honorables gentlemen s’adressent à nous, alors qu’ils disposent d’un potentiel d’effectifs colossal…

Il a beurré la tartine des honorables en grande conscience, avec des mots recherchés, des inflexions moites, des regards touchés par la grâce. C’est le tout grand orfèvre de la pipe mondaine, pépère. Le Rudolph Valentino de la brosse à reluire. Le Mozart de la flûte enchantée. Enfin, ses fleurs virgulées à la ronde comme aux Fête-Dieu de jadis, il s’est lancé dans des explications :

— Comme vous ne l’ignorez pas, Chiraco est grand amateur de donzelles et se montre très éclectique dans ses choix. Il avait, comme pourvoyeur, une espèce d’aventurier français, nommé Delapine, personnage on ne peut plus douteux, au casier judiciaire bien garni. Pendant quatre ans, ce dernier a fait la navette entre Paris et Bravissimo, convoyant chaque fois une brigade de femelles. Ces dames vont de la jouvencelle à peine initiée à la Messaline la plus débauchée. Il rabat des bonniches et des catins, des petites étudiantes en mal d’aventure et des putes de sous-préfecture. Bref, il a su devenir indispensable à Tiago Chiraco.

— Voilà l’homme idéal pour introduire quelqu’un dans la place, objectai-je.

— Certes, admit le Vieux, seulement Delapine est mort.

— Quand donc ?

— Hier.

— De quoi ?

Mon premier interlocuteur dit doucement :

— D’avoir refusé de nous aider.

Tu ne peux pas t’imaginer combien ça produit son petit effet, une déclaration de ce genre, lorsqu’elle tombe à propos dans la converse.

Le Dabe, bredouillant comme un puceau venant offrir son premier bouquet de violettes à une amie de sa mère, expliqua :

— A partir du moment où un gredin comme Delapine était au courant de la chose, et puisqu’il refusait d’y adhérer…

— Inutile de me faire un dessin, monsieur le directeur, je connais la vie.

Y a le plus vieux des énergumerdes qui a bâillé un chouïa, bien montrer qu’on le lui faisait chier la bite avec nos palabres françaises. Ils avaient perdu suffisamment de secondes commak, les artistes associés. Ils commençaient de flancher, question patience. Je devenais casse-roustons, avec mes curiosités intempestives, mes suggestions et autres impertinences.

— Il faut qu’un Français remplace ce Delapine en se faisant passer pour son associé, trancha l’empétardrome. Demain, vous partirez pour Bravissimo avec un contingent de filles. Parmi l’une d’elles se trouvera celle qui devra agir.

Je me suis tourné vers le Vioque. Il avait un petit air gêné par-dessous sa déférence, l’apôtre.

— Oui, oui, qu’il chuchotait en trémolant, ce vieux Cirque.

San-Antonio marlou !

On n’avait encore pas vu ça.

CHAPITRE DEUX

DANS LEQUEL

TU VAS VOIR

Qu’elle soit de droite ou de gauche, qu’elle se situe dans l’hémisphère Nord ou dans l’hémisphère Sud, la dictature repose toujours sur le culte de l’uniforme.

Depuis l’hôtel de la Revolución du Salut (nom que le dictateur a donné à sa prise de pouvoir) je contemple un défilé. C’est terriblement perlimpimpesque, tous ces militaires d’opérette, loqués dans les tons verdâtres, avec des parements jaunes, des brandebourgs bleus, des galons rouges ou dorés, des fourragères multicolores. Y a de la plume, de l’épaulette, tambour, zizique, grosse caisse, zim la boum lala, tout le circus, et les bannières qui flambergent, les oriflammes, fanions, sabre au clair, baïonnette au canon, en avant arche.

Pas cadencé ! Les armes tractées. Pas en grand nombre… Bioutifoul. La populace pas lasse devant le palace prélasse et acclame. Vive ! Vive ! Toujours, les tyrans… Vive ! C’est le cri qu’on leur lance. Vive ! Heil ! Oh oui, qu’ils vivent bien fort, bien longtemps, toujours… Qu’ils deviennent immortels dans leur gloire, ces sales cons. Que le Bon Dieu leur accorde la grâce de faire chier les peuples, de les saigner, éponger, découiller. Alors vive ! Vive !

Il fait un soleil d’Austerlitz. Les filles sont belles dans leurs cotonnades aux couleurs ardentes. Les hommes sont en bras de limouille. Ils ont tous un pébroque à la main, biscotte les trombes d’eau qui s’abattent de temps à autre sur ce bled un chouïa tropical. La flotte radine brusquement. T’as pas le temps de piger. Quelques gouttes épaisses comme de la fiente de pigeon te choient sur la frite pour commencer, et puis t’as pas le temps de compter jusqu’à dix que c’est le déluge. Ça dure dix minutes. Les rues se changent en rivières. Et le soleil revient, qui instantanément sèche tout.

Je voudrais mater un peu ce que ça donnerait une pluie aussi féroce sur le beau défilé taratatesque. Voir les fringants mirlitaires, si ça les empêcherait de défiler en ordre, avec leurs gants blancs qui se balancent. Et les hélicons pleins de flotte, t’imagines ? Alors j’adresse une prière au ciel. J’adjure saint Médard, saint Barnabé, tous les spécialistes de la pluie. Mais ici ils ne pigent que l’espago, les saints du paradis. Mon invocation reste vaine. Le défilé s’éloigne par l’Avenida de la Revolución du Salut. Bye bye !

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1

Par cette curieuse expression, San-Antonio fait référence à l’adage suivant : « Ne confondons pas chaude-pisse et première communion, c’est pas le même cierge qui coule. »

Note de blanchisseur.