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— On y va ? je lui demande.

Elle me regarde.

— Vous feriez peut-être bien de vous démaquiller avant de sortir, me conseille la chère petite. Un flic comme vous, c’est terriblement comique, or nous sommes le jour du sans-rire.

* * *

La sortie de l’immeuble s’opère parfaitement. Bien raide, avec mes lunettes-miroirs sur le pif, je tiens la môme Hilde par une aile et je fais vraiment poulardin venant d’emballer une prostipute. De quoi satisfaire ses potesses ricanantes, du moins celle qui l’a balancée.

On va ainsi jusqu’au coin de la rue. On en prend une autre. Et alors, bon très bien, je commence à me demander ce qu’on va foutre de la sorte.

— Il faut absolument que vous quittiez le pays, vous et votre père, lui dis-je :

— Jamais papa ne me suivra !

— Si, annoncez-lui que la police m’a arrêté et me torture, que vous devez partir par mesure de sécurité. Entrevoyez-vous un moyen de fuir ? Vous avez bien dû y songer puisque vous formiez ce projet ?

— Eh bien, je connais un type qui habite près du port… Le patron d’un petit cargo assurant le trafic entre le San Bravo et le Chinchilla. Il fait partie de ma… clientèle. Il veut m’épouser. Il m’a toujours promis de me faire passer à l’étranger le jour où je me déciderai.

— Alors foncez chez ce gars, ma chérie. Promettez-lui la lune s’il en a envie et barrez-vous, l’air va devenir malsain pour vous et votre vieux nazi avant pas longtemps.

— Et vous ? demande-t-elle d’un ton que je trouve passionné, mais tu sais, on se fait des berlues avec les gonzesses, bien souvent, et on a tendance à leur prêter les sentiments qui leur manquent. N’empêche que sa question me touche. Elle a du cran, cette nana.

— Ne vous inquiétez pas, réponds-je, je possède une bonne étoile et la manière de m’en servir. Et puis, comme l’on dit chez nous : les cas désespérés sont les cas les plus beaux. Nous sommes orfèvres en cas désespérés, les Français. Allez, filez au coin de la prochaine. Je ne vous embrasse pas parce que ça surprendrait de la part d’un flic, mais le cœur y est.

On arpente un peu de ruban, en silence, nous n’avons plus rien à nous dire, ou alors ce serait trop long.

Juste avant de me quitter, Hildegarde murmure :

— L’homme que je vais aller voir se nomme Quito Doblo, et son bateau, c’est le Tortilla, je lui parlerai de vous afin qu’il vous aide si besoin est. Adieu.

Soudain, elle a cessé d’être à mon côté.

Je continue ma route, d’un pas décidé, exactement comme si je savais où je vais.

CHAPITRE TREIZE

DANS LEQUEL

TOUT EST PERDU FORS L’HONNEUR

Or, je suis bien obligé de t’admettre — puisqu’on ne se cache rien — que j’ignore où je vais et, plus encore, ce que je vais y faire.

Me voici, en ce pays où je suis hors-la-loi, portant l’uniforme du flic que j’ai estourbi, errant d’un air préoccupé à la recherche d’une bonne idée.

En somme, quel est mon objectif ? Délivrer mes bonnes femmes, Berthe surtout, et filer en leur gracieuse compagnie sous des cieux plus cléments.

Or, Berthe est embastillée dans un fortin inexpugnable. Mes trois frivoles naviguent à bord d’un yacht où elles ont probablement fait défunter le président Chiraco. Alors ?

Tout en arpentant le macadam de Bravissimo, je sens qu’une mélancolie diffuse m’envahit doucement. Je pense à Hildegarde, cette étrange créature, ange tapineur, fille de vertu déchue qui possède l’âme d’une vierge et le frifri d’une catin.

Ce matin, elle était un être de lumière. Ce soir, je l’ai trouvée dans le rôle ingrat d’une découilleuse. Nos destins se seront croisés en vitesse, dommage, j’aurais aimé en savoir davantage sur elle. Ils vont encore clamer partout que je la raconte ainsi par misogynie, qu’en fait, j’ai la secrète haine des bonnes femmes, moi, l’Antonio. Toujours à les décrire belles et bien baisantes pour, très vite, les abjecter honteusement, les transformer en vil paillasson, mes déesses : en triste objet d’assouvissement, mon Dieu quelle horreur insoutenable ! C’est ainsi avec bibi : la profanation des fumelles. Hanté par la femme-souillure, l’apôtre, mais qu’est-ce ça cache donc, une telle marotte, docteur ? Vous qu’êtes psychonœud ? Avouez qu’il est pas normal, purulent de complexes absolument hideux, le monstre ? Il se complaît, hein ? Reconnaissez qu’il se complaît, cet endoffé de frais ! Ça cache quoi t’est-ce ? Dites, entre nous et la gare Saint-Lazare, il aurait pas été cocu dans des vies antérieures, pour ainsi balancer l’anathème et ses dérivés sur nos chères compagnes ? On distingue mal d’autres explicances. Y a de la revancherie dans cette attitude, docteur. Une rancune éternelle qu’il perpétuera jusqu’à son suprême soupir, c’est couru. On sent un être à toujours jamais déçu, brisé par le naufrage d’un idéal. Sa soif d’absolu qu’a pas été étanchée, voilà la vérité, monsieur le professeur Duchenock. Il vivait de belles certitudes. Et puis un jour il en a pris plein sa belle gueule, votre Sana. Et alors il s’est mis à crawler dans des rancœurs poisseuses. Depuis, il incube. Il a l’âme pleine de boutons ; et ça le démange. La peau d’âme, quand elle connaît des éruptions, c’est plus infernal que du vitriol sur des hémorroïdes.

Le propre du marcheur, c’est de mettre un pied devant l’autre. En multipliant l’opération, il se déplace, comprends-tu. Cet exercice banal devient dès lors le mode de locomotion le plus naturel qui soit.

Ayant marché un bon bout, je m’aperçois que le hasard — à moins qu’il ne s’agisse de mon subconscient ? — m’a drivé vers le palais présidentiel, lieu géographique de mes préoccupations.

Je ne suis plus qu’à quelques centaines de mètres des grilles aux piques dorées. Je distingue l’animation militaire alentour : les soldats, les officiers, les armes. J’entends claquer l’étalon, cliqueter les machines, ronronner les moteurs. Les officiers aboient comme toujours dans l’armée où les ordres sont donnés en berger allemand ou en dobermann.

Je stoppe à un carrefour. Un convoi de chars ultramodernes, rachetés à la Bolivie qui les avait achetés au Pérou, qui les avais acquis de l’Italie en 1928, et repeints en rose praline, un convoi de ces délicats engins, dis-je, passe le long du palais, stoppant la circulation provisoirement.

« Viva, viva ! » crient les badauds dans le crépuscule.

Faut dire que c’est de toute beauté, ces bustes militaires émergeant de la tourelle. Tu croirais des encriers avec un bouchon figurant une moitié d’humain. Une cohorte d’encriers, foutument identiques, et plus encore les soldats que les chars.

« Viva, viva ! »

C’est alors que le destin entre en scène. Sur la scène de mon théâtre privé où il m’arrive de me donner parfois des représentations de gala.

Une voiture officielle, arrivant par l’Avenue de la Revolución du Salut (c’est écrit dessus) stoppe pour laisser passer les machines de guerre (et surtout de naguère). Il s’agit d’une bonne grosse vieille Cadillac noire, portant sur les ailes avant le fanion du San Bravo, et dont le pare-brise s’orne du macaron traditionnel. Elle est pilotée par un militaire, mais, à l’arrière, se trouve tu sais qui ? Pince-moi : je rêvasse ! Le secrétaire extrêmement privé de Chiraco, cette horrible petite guenille de Kilébo Kantibez. L’homoncule se tient lové sur la vaste banquette qui pourrait presque lui servir de lit. Il a un volumineux dossier entre les salsifis et, au lieu d’extasier devant le défiler des chars, il le compulse attentivement.

Moi, San-Tantonio, le frénétique (on m’appelle Frénétique d’art dans les milieux motorisés), voilà que j’agis sans réfléchir. C’est comme un vertige. Je prends du recul pour me regarder faire. Et je songe : « Mais il est fou, ce mec. C’est suicidaire, un tel comportement. Il lui prend quoi, à ce dément commissaire ? »