Je marche à la voiture noire. Ouvre la portière arrière, m’installe délibérément auprès du crevard aux dents jaunes. Il en suffoque, le bléchard.
Me regarde sans me reconnaître, biscotto, l’uniforme, les lunettes miroitantes, tout ça.
Je porte sur mon dos une mâle assurance. Un homme déterminé en vaut mille. En vaut cinquante-deux millions, même, parfois, je me suis laissé dire.
Le chauffeur se retourne.
— Qu’est-ce que vous faites ? il me demande.
— Du stop, mon chéri, je rétorque. Avoue que mes bagages ne sont pas encombrants ?
Et je lui montre mon feu. Il porte alors la main vers sa boîte à gants.
— Eh ! l’ami ! l’interpellé-je, vous n’allez pas mourir à votre volant, à la fleur de l’âge.
Là-dessus, le convoi de chars en a fini de déferler.
— Allez, hue ! intimé-je, fouette cocher.
— Je vous reconnais, me dit Kilébo Kantibez.
— Moi aussi, on est quittes.
— A quoi rime cette attaque ? il insiste ; qu’espérez-vous donc ?
— Délivrer la grosse brave femme que votre patron a fait incarcérer, mon cher secrétaire aux affaires étranges, vous savez, cette truie déguisée en sorcière de Walt Disney ?
Il fronce le nez.
— Et ensuite ?
— Récupérer également les trois femmes qui, présentement, se trouvent à bord du yacht présidentiel. A ce propos, avez-vous des nouvelles du président ?
— Naturellement, je demeure en contact permanent avec sa majesté présidentielle.
— Elle se porte bien ?
— Parfaitement bien, je vous remercie.
Son regard ne frémit pas. Je veux bien que nous sommes le sans-rire day, jusqu’à minuit, mais je ne puis m’empêcher d’admirer son self-contrôle.
L’auto s’est remise en marche et avance sur le palais. Des officiers s’empressent.
— Pas un mot à ces messieurs, recommendé-je, sinon je vous tire huit balles dans le ventre, c’est ce que contient présentement mon chargeur. J’ai remarqué que ça part tout seul, ces gadgets. Vous allez contourner le bâtiment et vous diriger vers les prisons, au fond du parc. Je sais que vous seul avez le droit d’y pénétrer, monsieur Kantibez. Vous ferez une entorse aux traditions en m’y faisant entrer avec vous. Dites à votre chauffeur de nous escorter également, car je ne puis me permettre de le laisser à l’extérieur. Tout doit bien se passer, j’ai horreur des infusions de sang (comme dit un ami à moi). Calme et dignité, telle est la consigne. Ainsi tout le monde se portera bien.
Kilébo confirme mes instructions au chauffeur. Alors voilà qu’on tourne autour du majestueux palais de sa majesté le président. Derrière, t’as d’abord une roseraie immense. Ensuite des tennis bien entretenus. Et puis le parc, riche d’essences peu communes dont je ne te dresserai pas la liste, vu qu’on ne fait que passer, tu comprends ? Mais tu peux la trouver dans le Guide Bleu du San Bravo, à la page 110, c’est écrit en italique. Des jardiniers et des militaires s’activent. Les jardiniers taillent et ratissent. Les militaires graissent les jolies mitrailleuses enrubannées de feuillages qui sont disséminées sur les pelouses et d’autres dans les arbres pour faire plus joli.
On longe le mur des fusillés privés du président, là qu’il vient personnellement mitrailler des insurgés pour s’entretenir la main à la pâte.
Et puis on parvient à une construction basse et massive, sans fenêtres, sans angles, car elle est de forme arrondie. Une porte rébarbative et des armes, des troufions pour la garder.
Je continue de me regarder agir, de m’écouter parler, sans chercher à dissiper ce sentiment de profonde admiration que je me porte, non sans raison d’ailleurs, parce que, franchement, faut les avoir grosses comme des citrouilles pour oser ce que j’ose, n’est-il pas ? Risquer un coup pareil, à moins d’être bourré à la clé, ni Bayard, ni Duguesclin, et pas plus Turenne ne se le seraient permis, moi je te le dis. C’est dément.
Bon, je continue, pas attendre que sèche la sueur de tes angoisses, mon pauvre chouchou.
Les gardiens du sépulcre-geôle se mettent en position déférente lorsque Kilébo Kantibez sort de la Cadillac. Le général-portier s’empresse de délourder. Moi, le plus turellement du monde, je tiens mon pistoloche à la main, le canon dressé contre mon épaule, en admirable garde du corps prêt à toute intervention.
Et nous pénétrons dans le fortin.
Le moins qu’on en puisse dire est qu’il n’est pas très grand.
Il se compose d’une espèce de sas dont le fond est muni d’énormes grilles. Une douzaine de matons, baraqués comme des transformateurs électriques, s’y tiennent, sans parler, étant donné leur sourde-muettance. Il y a des râteliers garnis d’armes automatiques contre le mur. Plus un lance-roquettes sur pivot pour apostropher les détenus en cas de mutinerie. Mais attends, la génialité de cette prison, je vais te dire, elle réside dans le fait que toutes les parois des cellules sont en verre. Tu piges la signifiance de la chose ? Y a un couloir central, bon. Avec six cellules à gauche et six cellules à droite. Or, du fait que tous les murs sont transparents, tu peux regarder jusqu’au fond de la prison et mater tous les détenus en même temps. Génial, non ? Comme surveillance, y a rien de plus efficace. Ainsi, au premier regard j’aperçois Berthe, sur la gauche. Elle est sur le siège des toilettes et règle des problèmes d’ordre intestinal.
Juste en face d’elle, se trouvent deux prisonniers dans la même cage de verre. Détail étrange : ils sont masqués. Mais quand je te dis masqués, il ne s’agit pas d’un loup de velours. Oh ! que non. Tous deux ont la tête prise dans une espèce de casque muni d’un heaume pour leur permettre de s’alimenter.
Les geôliers sourds-muets s’inclinent bien bas devant Kilébo. Ce dernier fait un signe et le préposé aux clés ouvre la grille accédant au couloir. Nous entrons.
Parcourons quelques pas.
Depuis son siège de faïence, l’aimable Berthe nous regarde arriver sans cesser de s’efforcer. Faut dire qu’elle ne m’a pas reconnu, sous ma défroque de flic.
Kilébo stoppe.
— Continuons jusque là-bas, enjoins-je en montrant dame Béru.
Il reste immobile.
— Essayez donc de presser la détente de votre pistolet, me conseille-t-il.
Son regard est plus vicelard que celui d’un serpent regardant déambuler une souris blanche autour de lui.
— Pourquoi tirerais-je tant que tout se passe bien, mon cher ? objecté-je.
Seulement le cœur n’y est pas, car je devine, à sa jubilation mal contenue, qu’il y a un sac de nœuds, soudain, dans mon équipée.
— Depuis que nous avons franchi cette grille, nous nous trouvons en milieu glomifugé, m’explique-t-il. Il est impossible de se servir d’une arme à feu car il se produit automatiquement un carcérage biclunex des métaux et un pistolet, par exemple, ne peut plus fonctionner.
Par acquit de conscience, j’essaie d’actionner la détente, mais, effectivement, mon feu n’est plus qu’un morceau d’acier inutile.
Kantibez fait un grand geste du bras. Illico, les gardes-chiourme se jettent sur moi et me neutralisent.
Triste journée, décidément.
Vraiment, il n’y a pas de quoi rire en effet !
CHAPITRE TREIZE ET DEMI
DANS LEQUEL
IL S’EN PASSE DE SEVERÔS
— Vous serait-il agréable d’être enfermé en compagnie de votre plantureuse amie ? me demande Kilébo Kantibez avec une affabilité déroutante.