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Pas un instant, il n’a été question de la « mission » de ces demoiselles. Je suis leur convoyeur, point à la ligne. Mon job est de présenter ma squadra. Ensuite, je devrai tenter de la rapatrier. J’ignore absolument tout — ainsi en ont décidé « les quatre » — de la façon dont ces demoiselles doivent s’y prendre pour faire de Tiago Chiraco un héros national mort en pleine gloire. L’idée de m’adjoindre Berthe m’a été soufflée par son mari, le valeureux Béru. Lui ayant confié ma mission, il m’a dit : « Faut qu’tu peux voir v’nir, mec. Tu n’seras pas sur place quand ton Hitler sudamerloque f’ra ses galipettes. Pour agir efficacement, t’as b’soin d’quéqu’un qui soye su’l’tas et qui peuve interventionner à bonnet sciant. Prends Berthy av’c et fais-y jouer l’rôle de manageuse. »

Mon premier réflexe a été de refuser cette propose saugrenue. Puis, après réflexion…

On clape un assortiment de viandasses cuites à la braise, enfilées à des épées. Elles sont servies sur un lit de petits haricots rouges, presque noirs, au goût délectable. Dame Berthe en reprend quatre fois et roucoule qu’elle se sentira moins seule dans son plume, ce soir, vu qu’i’ y aura concentration d’artillerie entre ses draps. L’osmose jouant, elle a pris les tics de son royal époux et emprunte sans vergogne ses facéties les meilleures.

Et voilà pour le restaurant

Ensuite, à l’unanimité, nous avons décidé de nous rendre à la plage.

Bravissimo est, tu l’ignores peut-être, béotien, bâti au fond d’un golfe. Son port se trouve distant de la ville d’une dizaine de kilomètres, car la côte est sableuse. Imagine une plage style Copacabana ou bien La Baule. Mais ici, la couleur du sable est indicible. Presque ocre, pailleté, il scintille à l’infini. J’arrête là mon dithyrambe parce que sinon je vais prendre mon panard à te décrire le panorama en détail et rien ne te fait plus tarter que lorsque je m’écarte du sujet. Je préfère garder ma liberté de manœuvre pour mes digressions, d’autant que le descriptif est passé de mode, hein ? Zola, ça va un moment, mais t’as tes propres soporifiques.

Ici, y a presque pas de touristes. Curieux comme la dictature attire peu les kodakons. Ils ont les flubes de se faire enchrister, les gus, ne sachant si leur frite va plaire ou si leur nationalité est déconseillée dans les patelins totalitaires.

Donc, nette dominante san bravienne. Du gros populo amateur de beignets graillonneux, glapisseur, tout en grands rires blancs pleins d’insouciante ingénuité.

Les marmots vont cul nu, par contre leurs mamans portent des maillots que la Sainte Vierge pourrait mettre sans faire sourciller Monseigneur d’Ecône. La morale, c’est le fer de lance des régimes totalitaires, toujours. Quand tu assois une doctrine sur l’irréprochabilité des mœurs, t’as tout de suite le fond de sauce du public gagné à ta cause. Et les autres n’osent pas trop moufter, va-t’en donc prétendre que t’es pour qu’on voie la chatte des dames, que t’aimes l’enfilade dans les rues, qu’une belle pipe plein écran est plus marrante que la bouille à Sophia Loren, que les prostiputes agrémentent la vie, que les jeunes gens ont bien le droit d’emprunter les bagnoles des bourgeois et de faire des moulinets avec des chaînes de vélo et que les écoliers peuvent cracher à la gueule de leurs profs si ces derniers leur ont fait les gros yeux. Oui, va-t’en affirmer cela à la face rayonnante de l’ordre nouveau, et tu verras la manière qu’on t’accueillera, bouffi ! Insane !

Mes trois grâces mobilisent l’attention pis encore qu’au restau, parce que là, au moins, tu vois un maximum de leur corps. La Berthy qui n’a pas de maillot porte une jupette de tenniswoman qui découvre haut et nettement ses monstrueux jambons. Elle a déboutonné son chemisier afin de décongestionner ses roberts qu’elle propose à la gourmandise de Phébus.

Après quelques vigoureuses brasses dans la patouille, je viens m’allonger auprès de mon cheptel, histoire de me faire bronzer. L’une de mes artistes s’est pourvue d’un transistor et écoute de la musique classique.

Le bruit régulier de la mer me met en somnolence. Berthy lit à haute voix (et en pure perte, car nul ne l’écoute) une bande dessinée érotique dans laquelle il est question d’un gorille salingue qui enlève la compagne d’un explorateur et l’entraîne au cœur de la sylve pour se l’embroquer à la papa.

Je ferme les yeux. Le sable brûlant se refroidit progressivement sous mon ventre.

— Si vous voulez me permettre, dit une voix proche, vous devriez protéger votre nuque, señor. Ici, les insolations sont fréquentes et ne pardonnent pas.

Je soulève ma tronche déjà embrumée et j’avise un type, à deux mètres de moi. Assez cocasse, je dois dire. Il est très enveloppé et se tient assis en tailleur. Il s’épluche les ongles des pieds avec les ongles des mains. Il porte un short bleu, délavé, qui ne peut contenir sa bedaine, un maillot de corps à grille et il est coiffé d’une casquette de toile à longue visière. Sa face est sombre, mais son gros nez reste rouge et il porte une moustache du type guidon de course à l’extrémité de laquelle des reliefs de nourriture subsistent.

Je le remercie pour sa sollicitude. Après tout, il n’a pas tort, le Mahomed frappe énergiquement et il n’est pas bon de lui exposer trop longtemps son cigarillo.

— Puis-je vous proposer une casquette comme la mienne, señor  ? enchaîne l’aimable compagnon.

Il fouille dans un gros sac de plage posé à son côté.

— J’en emporte toujours deux car il arrive que le vent se mette à souffler et m’arrache la mienne.

Il me tend une gapette roulée, la déplie, la secoue et me la jette adroitement.

— Merci, dis-je. Vous êtes trop aimable.

— Ce n’est rien, señor, fait l’ongulé en se dépiautant les peaux mortes de plus rechef.

Je coiffe sa casquette en priant le ciel pour qu’elle ne me donne pas l’air trop con et je modifie ma posture afin de me mettre sur le dos.

Un instant, je ferme les châsses.

Puis les rouvre. Et alors je constate qu’on a écrit quelque chose au crayon bille sur la face intérieure de la visière.

Je l’arrache afin de prendre connaissance du texte. Et je lis ceci, rédigé en français : « Rentrez vite en France avec vos filles, commissaire, avant qu’il ne soit trop tard.  »

Mélancoliquement, je remets la gapette sur la tête géniale que tu sais.

Mon obligeant voisin continue de curer ses papattes de derrière. Autour de nous, c’est la vibrante euphorie de la plage : langueur et joie des enfants. Sable, mer, soleil. Le transistor diffuse je ne sais quoi de je ne sais qui, mais interprété à l’orgue. Des odeurs d’huile recuite et d’embrocation, d’iode et de moules attardées passent quand l’air se met à vivoter. Berthe s’est endormie, son Comic sur le groin. Elle ronfle et ses exhalaisons mirlitonnent sur le papier. De temps à autre, dans son sommeil serein, elle balance une louise suave consécutive aux mignons haricots rouges. La quiétude, te dis-je. La paix infinie, océane et organique. La grande indolence des corps qui s’abandonnent à la gloire brûlante de l’univers.

J’opère une petite reptation qui m’amène tout près de mon prêteur de casquette-à-message.

— Qui êtes-vous, amigo[3] ? lui demandé-je fort civilement, n’étant pas en uniforme.

L’interpellé se défait, par une adroite chiquenaude, d’une lune d’ongle noir qu’il a dessertie de son petit orteil.

— Mon nom est Alonzo Alonzi, señor, répond l’homme sans se troubler.

— Vous êtes facteur, je suppose ?

— Absolument pas, señor, je travaille comme plongeur à la brasserie de la Revolución du Salut.

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3

Si je te fous un mot espago, temps à autre, c’est pour créer le climat hispanisant. Naturellement, il ne correspond dans la réalité à rien de précis puisque je parle en espagnol et que je te traduis en français.