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— Quelqu’un parle espagnol ? demande-t-il en espingo.

Quelque chose me dit de ne pas moufter. On se contente de lui adresser quelques courbettes chargées d’incompréhension.

Il reprend, en anglais :

— Quelqu’un parle anglais ?

— Je, président ! réponds-je avec une humilité qui ferait passer celle d’un mendiant lépreux pour de l’arrogance.

— Approchez !

J’obéis.

Vu de près, il est encore plus sinistre, Tiago Chiraco. Y a du reptile chélonien dans son visage. Sa tête est un peu celle d’une tortue de mer.

— Pantouflar m’a dit que Delapine est mort ?

— Un fâcheux accident de la route, président. Mais je suis son associé et je continuerai de vous satisfaire dans la mesure de mes possibilités.

Il désigne les quatre dames au garde-à-vous.

— C’est là ce que vous m’amenez ?

— Des personnes très exceptionnelles, président, comme vous pouvez en juger. Des triplées ravissantes et expertes que leur entraîneuse ici présente conduit aux plus hautes prouesses amoureuses.

— Eh bien, nous allons voir.

Il presse un timbre. Le surgénéral de l’antichambre paraît.

— Ouvrez-moi cette porte ! lance Chiraco en désignant le fond du salon.

Quoi, une porte ? L’on ne distingue rien. Mais le surgénéral salue militairement et va actionner un bouton de commande. Effectivement, un panneau coulisse, démasquant une petite pièce sans fenêtres composée d’un immense lit circulaire, plus justement d’un sofa bas et rond, de cinq mètres de diamètre au moins. Des coussins à profusion. Un éclairage tamisé.

Chiraco qui est nu-pieds se dirige vers ce boudoir et se laisse tomber sur une pile de coussins.

Il nous fait signe de le rejoindre, ce con.

Ce qu’on.

— Eh bien, j’attends, dit-il.

CHAPITRE QUATRE

DANS LEQUEL

JE TE MÉNAGE UNE AUTRE SURPRISE

Bon, il attend.

Chose curieuse, mes trois grâces qui sont vachetement dessalées dans la vie courante paraissent intimidées par la personnalité du despote.

Il est là, Tiago Chiraco, vautré sur ses coussins, les bras sous la tête, ses lunettes à énorme monture d’écaille relevées sur le front, l’œil plein de cloaque et de louches projets, de vilaines parenthèses séquestrant sa bouche mince ; il est là, curieux et dangereux, attentif et mal abandonné, d’un abandon qui n’est que le siège de sa défensive. On sent qu’il mijote des perfidies et qu’elles le divertiront.

— Eh bien, mesdemoiselles ? houspille dame Bérurier, laquelle prend au très sérieux son rôle passionnant de duègne bordelière, eh bien ; occupons-nous de c’t’adorable monsieur. Tel qu’il est, sans même lui palper le kangourou, je peux vous assurer qu’il est nanti, question biroute, ce polisson. Ecoutez, mes choutes, j’vous prends le parille qu’il s’en trimbale une de vingt centimètres passés. Pas une énorme, j’m’aventure pas, mais du beau nerfe de bœuf, légèr’ment t’arqué.

Brusquement, Chiraco qui restait immobile, dans la posture du potentat qu’on s’apprête à potenter, a une sorte de soubresaut, identique à celui de tout à l’heure, quand il parlait messe avec son ministre.

— You, go out ! me lance-t-il durement en me montrant la porte.

Je conçois que ma présence le désoblige. C’est pas tout le monde qui aime se faire structurer le bigoudoff sur la scène du Casino de Paris.

Je me retire donc dans son bureau, l’abandonnant aux mains expertes de ces vaillantes petites Françaises. La porte recoulisse.

Drôle de type. Il y a quelque chose d’étrange dans son comportement, en dehors bien sûr de sa prestation politique. C’est un tyran à sursauts. Il paraît décidé, tranchant. Puis il traverse une courte période de réserve relative qui s’achève par une secousse, à croire qu’un courant électrique fulgure tout à coup dans son corps et de ces pulsions découlent des décisions brutales.

Surpris par ma brusque solitude, je demeure un moment sans réaction. Cette immense pièce saugrenue est étouffante parce qu’elle ne comporte pas de fenêtres. On la devine fortin de luxe. Inexpugnable, à l’abri des secousses révolutionnaires.

Je me dirige vers la table druidique où s’empilent des dossiers frappés aux armes de San Bravo. Moi, tu me connais comme si je t’avais fait ? La proverbiale curiosité de l’Antonio en chasse, il est superflu de te le rappeler. D’une allure coulée comme une blennorragie chronique, je m’approche de la pile de dossiers. Je soulève la couvrante du premier. A l’intérieur, je trouve une traduction espagnole d’Astérix chez les Bretons. Je passe au document suivant, il s’agit de l’annuaire des téléphones de Bravissimo et sa banlieue. Le troisième est le catalogue de Manubravo. Je voudrais vérifier les autres, mais un personnage surgit brusquement dans la pièce, venu de je ne sais où. Toutes les issues sont closes et pourtant il est là, diabolique, de noir vêtu, très pâle, le nez pincé.

Un être jeune et chétif, très mince, avec des bras trop longs à l’extrémité desquels s’agitent des espèces d’araignées blafardes qui sont ses mains.

Il porte un costume noir, très ajusté, une chemise blanche, une cravate noire. Sa chevelure huileuse est pis que noire : bleue à force. Son regard est empoisonné mais voilé d’une étrange langueur. Il a de très grosses lèvres sans couleur, presque grises, dont la vue écœure. Il les tient entrouvertes, ce qui permet d’apercevoir ses grandes dents en mauvais état, tachetées de jaune. Seule note incongrue dans sa mise funèbre : il porte à la boutonnière un bouton de rose rouge dont on s’aperçoit très vite qu’il est artificiel.

— Que cherchez-vous ? me demande-t-il en anglais.

Sa voix a des inflexions gluantes.

— De quoi lire, réponds-je ; le président m’a prié de l’attendre ici et comme je suppose que je vais devoir patienter longtemps…

— Ce bureau n’est pas une salle d’attente, répond le petit homme noir.

— Je m’en doute, mais l’on ne m’a pas proposé d’autre endroit.

— Vous êtes l’associé de Delapine ?

— Comment le savez-vous ?

— Je suis le secrétaire particulier du président.

— Très bien, ravi de vous connaître…

Un temps. Il ne bronche pas. Je continue :

— Oui, je suis l’associé de Delapine.

— Delapine ne nous a jamais parlé de vous.

— Delapine n’était pas bavard, ce qui est préférable lorsque nous exerçons des occupations comme les nôtres.

Il continue de me dévisager crûment, sans insolence délibérée, mais en homme qui ne cherche pas à séduire et qui se fout de ce que les autres pensent de lui…

— Vous connaissiez Delapine depuis longtemps ? demande-t-il.

— Des années.

— D’où lui venait cette affreuse cicatrice qu’il avait sous le menton ?

Et c’est là que ton Antonio se montre divin, mon chéri. En pas une moitié de seconde, il se tient le raisonnement ci-joint : pourquoi ce garçon te pose-t-il une question pareille ? Que pouvait lui importer que Delapine eût ou non une cicatrice ?

Je m’entends, ou plutôt j’entends mon moi-second répondre avec calme :

— Vous devez faire erreur de personne, Delapine n’avait pas de cicatrice sous le menton.

Il me semble déceler comme une légère détente dans le regard intense du petit homme.

— Venez attendre dans l’antichambre, me dit-il, on vous offrira des boissons et des revues.

Ouf : gagné. Si je n’avais pas eu le nez creux et des réflexes abasourdissants, ce blanc-bec me piégeait comme un garenne.