Il appuie sur la commande d’ouverture de la porte et m’escorte dans l’antichambre aux sentinelles et bureau-mitrailleur. Le surgénéral de service se fout au garde-à-vous en nous apercevant.
— Veillez à ce que le señor ne manque de rien ! ordonne le secrétaire très particulier.
Et il se retire dans le bureau présidentiel sans autre forme de congé.
— Quel est le nom de cet exquis jeune homme ? je demande au général, en anglais d’abord, mais il ne le parle pas, et en espagnol écorché ensuite pour lui faire croire que je le balbutie seulement, fidèle en cela à ma tactique.
L’officier supérieurement supérieur baisse le ton pour me répondre avec quelque effroi sur le visage, comme une vieille bigoudaine évoquant Satan :
— C’est Paolo Macabro, le secrétaire privé du vénéré président.
M’est avis qu’il ne doit pas l’être, vénéré, le Macabro. En tout cas il porte bien son nom[4], car il est macabre en effet.
On me sert une tequila parfumée à la racine de domino. J’ai droit à un fauteuil amené tout spécialement. On me propose une revue satirique étatsunienne que ça représente le président du Conseil israélien en train de pisser contre la carte d’Egypte, avec comme légende :
« Dommage que j’aie la prostate ».
Je m’apprête à lui prendre sa connaissance, la revue, quand la lourde du bureau s’ouvre et le président surgit. Il a les crins ébouriffés, la peau colorée et les lunettes chavirées.
— Vous ! me crie-t-il en pointant son index favori dans ma direction.
Je me redresse comme un seul homme.
— Monsieur le président ?
— Arrivez un peu ici !
J’obéis, vaguement inquiet par l’excitation du tyran. Un mec comme lui, détenant le pouvoir discrétionnaire, t’aimes pas qu’il fulmine. Tout peut se produire, surtout le pire.
Lorsque je me retrouve dans son burlingue, il éclate :
— Rembarquez-moi ces trois salopes, dare-dare[5], compris ?
— Grand Dieu, écrié-je, voulez-vous dire, révéré et extrêmement vénérable président, que ces merveilleuses créatures ne vous donnent pas satisfaction ?
— Elles me flanquent le tournis à se ressembler pareillement. Je n’ai pas envie de faire l’amour avec des phénomènes de foire. Je suis un être équilibré, moi, monsieur. Une âme saine dans un corps sage, telle est ma devise, vous devriez le savoir !
— Mais, président…
— Suffit, je déteste vos poufiasses et leurs misérables manigances soi-disant lubriques. Elles sont un défi à l’amour : une insulte, monsieur. Si elles étaient san braviennes, je les ferais vitrioler et enfiler par des ânes ; elles ont de la chance d’être étrangères.
L’espace d’un machin au chocolat, je me dis que notre mission a capoté dans l’œuf. Les quatre se sont mis le doigt dans l’œil à s’en racler le fond du calbute. Ils espéraient affoler le cher Chiraco avec ce cheptel peu banal, et, conclusion, ils n’ont réussi qu’à le mettre en pétard. Après tout, je n’y suis pour rien. J’ai fait ce qu’on m’a demandé, point à la ligne. Ne me reste plus qu’à replier mes cannes à pêche et à retourner chez maman.
Je regarde vitupérer le dictateur. La porte donnant sur l’alcôve est demeurée ouverte et j’aperçois mes chères franciscaines en train de se relinger en arborant des mines boudeuses.
Un nouveau venu fait son apparition, probablement mandé par Tiago Chiraco. C’est le gros Pantouflar, épanoui, les favoris plus frisottés qu’à l’ordinaire, un sourire d’une merveilleuse veulerie au coin des hamburgers.
Il s’incline très bas devant le maître.
Il a aperçu les gonzesses à loilpé et, pensant que son président a chopé le panard du siècle, il attend de lui quelque nouvelle décoration, voire des privilèges convoités.
— Pantouflar, attaque Chiraco d’un ton effroyablement radouci, tu as vu ces femmes, ce matin, n’est-ce pas ?
— En effet, fabuleux président, et j’ai tout de suite compris qu’elles combleraient Votre Honneur.
Tiago sourit, un peu comme sourirait un serpent à sornette.
Puis il hurle :
— Triple con, gandousier, pot à merde, rat crevé, purulence, visquosité, négation, diarrhée noire, foutre vert, pissat de crapaud, vieux tampax, vérolerie à jambes, cerveau creux, mange-pus, communiste, trou du cul de singe, opposant, fumier de lama, chierie, pâté de charogne, gauchiste, huile rance, socialiste, mendiant, incurable, chaude-pisse, étranger, dégueulis, radical de gauche, pet, égout, dégoût, hibou, caillou, chou, genou, pou, décomposition, suppositoire, libertaire, croix-rougien, chiffe-molle, eau croupie, crasse humaine, gueule de raie, raté, lait tourné, godasse, mur de chiotte, vipère, centriste, enculé à sec, crachat, forban, erreur, ouvrier, juif, goret, marxiste, ordure, crème de bite, cadavre, caca russe, tapette, couille flétrie, cloaque !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!![6]
Il se tait, à bout de souffle, de colère et d’épithètes. Puis, l’énergie lui revenant, il ordonne :
— A genoux, chien maudit !
Pantouflar, éperdu d’éberluance, s’agenouille. Alors Chiraco se met à lui savater la gueule jusqu’à ce que cette dernière soit en sang. Après quoi il se débraguette, sort sa zézette et compisse la face tuméfiée du chef de cabinet.
Et, une fois de plus, il lui vient un sursaut. Puis son être se détend instantanément. Il sourit.
— Pantouflar, dit-il, va chercher une serpillière et nettoie le parquet !
Quand son infortuné collaborateur est sorti, il me prend à témoin.
— Ah ! ma tâche est difficile, mon pauvre ami, me dit Tiago Chiraco. Le drame, dans mon métier, c’est qu’on n’est pas secondé. Bon, emmenez vos putains ; quand je serai fatigué de l’autre, je vous le ferai savoir et vous reviendrez la chercher.
— L’autre ? bredouillé-je sans comprendre.
— Mais oui : la grosse ! Elle, je la garde, c’est une vraie femelle, une amoureuse hors paire[7]. Elle porte aux sens et ses initiatives personnelles m’enchantent. Je suis certain de connaître avec cette femme d’élite des moments de grande qualité. Pantouflar vous fera verser votre dû, je ne le contesterai pas, eu égard aux prestations de la grosse, mais de grâce, épargnez-moi à l’avenir vos initiatives saugrenues. J’ai besoin de vraie femme, moi, mon cher. Ma mission est terrible ; sans moments de détente corporelle, je ne pourrais la mener à bien, car elles sont lourdes dans la main, les rênes du pouvoir. Dieu m’a confié une mission, je dois la remplir.
Depuis l’alcôve enchanteresse, Berthe, en slip saumon et soutien loloche de dentelle, m’adresse un petit signe mutin de la main, façon Oliver Hardy en goguette.
Décidément, nous vivons dans un monde plein d’embûches, de contradictions et de dérision.
— Amen !
Glagla, Tata et Frofro ne mouftent pas.
Je conduis en ruminant mes déconvenues. L’une des trois est à mon côté, à l’avant de la chignole, j’ignore laquelle. Déjà quand t’essaies de débroussailler des jumeaux, souvent tu y perds ton latin, plus ton argot, alors des triplées pareillement pareilles, à la tienne, Ducon ! Faudrait, comme pour le Port-Salut, écrire leur nom dessus.
La circulation est très fluide à Bravissimo. Y a les guindes ricaines, étincelantes de chrome des nantis piliers du régime. Et puis les vélos et vélomoteurs de la plèbe. Aussi piloté-je négligemment, un coude à la portière, le regard vague, inattentif à ce qui m’environne.
6
Je t’ai groupé les points d’exclamation à la fin, afin de ne pas cloisonner les invectives de Chiraco, qu’elles soient bien coulantes.