Выбрать главу

— Mais ça ne doit plus exister, ai-je murmuré.

— Vous croyez vraiment ?

Là-bas, Hendrickx profitait de la demi-pénombre et lui passait une main sur les fesses.

Meinthe revenait vers notre table. Seul. La femme brune dansait avec un autre cavalier. Il s’est laissé tomber sur sa chaise.

— De quoi parliez-vous ? – Il avait ôté ses lunettes de soleil et me regardait, en souriant gentiment : — Je suis sûr que Pulli vous racontait ses histoires d’Égypte…

— Monsieur est d’Alexandrie comme moi, a déclaré sèchement Pulli.

— Vous, Victor ?

Hendrickx essayait de l’embrasser dans le cou mais elle l’en empêchait. Elle se jetait en arrière.

— Pulli tient cette boîte depuis dix ans, disait Meinthe. En hiver il travaille à Genève. Eh bien, il n’a jamais pu s’habituer aux montagnes.

Il avait remarqué que je regardais danser Yvonne et il cherchait à distraire mon attention.

— Si vous venez à Genève en hiver, disait Meinthe, il faudra, Victor, que je vous emmène dans cet endroit. Pulli a reconstitué exactement un restaurant qui existait au Caire. Comment s’appelait-il déjà ?

— Le Khédival.

— Quand il s’y trouve, il se croit encore en Égypte et il a un peu moins le cafard. N’est-ce pas Pulli ?

— Montagnes de merde !

« Il ne faut pas avoir le cafard, chantonnait Meinthe. Jamais de cafard. Jamais de cafard. Jamais. »

Là-bas ils entamaient une autre danse, Meinthe s’est penché vers moi :

— Ne faites pas attention, Victor.

Les Roland-Michel nous ont rejoints. Puis Fossorié et la blonde Meg Devillers. Enfin Yvonne et Hendrickx. Elle est venue s’asseoir à côté de moi et m’a pris la main. Ainsi, elle ne m’avait pas oublié. Hendrickx me dévisageait avec curiosité.

— Alors, vous êtes le fiancé d’Yvonne ?

— Eh oui, a dit Meinthe sans me laisser le temps de répondre. Et si tout se passe bien, elle s’appellera bientôt la comtesse Yvonne Chmara. Qu’en penses-tu ?

Il le provoquait mais Hendrickx gardait le sourire.

— Ça sonne mieux qu’Yvonne Hendrickx, non ? a ajouté Meinthe.

— Et que fait ce jeune homme dans la vie ? a demandé Hendrickx d’un ton pompeux.

— Rien, ai-je dit en vissant mon monocle autour de l’œil gauche, RIEN. RIEN.

— Tu croyais sans doute que ce jeune homme était professeur de ski ou commerçant comme toi ? continuait Meinthe.

— Tais-toi, ou je te casse en mille morceaux, a dit Hendrickx, et on ne savait pas s’il s’agissait d’une menace ou d’une plaisanterie.

Yvonne, de l’ongle de son index, me grattait la paume de la main. Elle pensait à autre chose. À quoi ? L’arrivée de la femme brune, de son mari au visage énergique, celle, simultanée, de l’autre blonde, ne détendirent en rien l’atmosphère. Chacun jetait des regards de biais en direction de Meinthe. Qu’allait-il faire ? Injurier Hendrickx ? Lui envoyer un cendrier en plein visage ? Provoquer un scandale ? Le directeur du golf a fini par lui dire sur le ton de la conversation mondaine :

— Vous exercez toujours à Genève, docteur ?

Meinthe lui a répondu avec une application de bon élève :

— Bien sûr, monsieur Tessier.

— C’est fou, comme vous me faites penser à votre père…

Meinthe a eu un sourire triste.

— Oh non, ne dites pas ça… mon père était beaucoup mieux que moi.

Yvonne appuyait son épaule contre la mienne et ce simple contact me bouleversait. Et elle, qui était son père ? Si Hendrickx lui témoignait de la sympathie (ou plutôt s’il la serrait de trop près en dansant), je remarquais que Tessier, sa femme et Fossorié ne lui prêtaient guère attention. Les Roland-Michel non plus. J’avais même surpris une expression de mépris amusé de la part de Tounette Roland-Michel après qu’Yvonne lui eut serré la main. Yvonne n’appartenait pas au même monde qu’eux. Par contre, ils avaient l’air de considérer Meinthe comme leur égal et de lui témoigner une certaine indulgence. Et moi ? N’étais-je à leurs yeux qu’un « teenager » fervent de rock and roll ? Peut-être pas. Mon sérieux, mon monocle et mon titre nobiliaire les intriguaient un peu. Surtout Hendrickx.

— Vous avez été champion de ski ? lui ai-je demandé.

— Oui, a dit Meinthe, mais ça se perd dans la nuit des temps.

— Figurez-vous, m’a dit Hendrickx, en posant sa main sur mon avant-bras, que j’ai connu ce blanc-bec – il désignait Meinthe – quand il avait cinq ans. Il jouait à la poupée.

Heureusement, un cha-cha-cha a éclaté à cet instant-là. Il était minuit passé et les clients arrivaient par grappes. On se bousculait sur la piste de danse. Hendrickx a hélé Pulli :

— Tu vas nous chercher du champagne et prévenir l’orchestre.

Il lui faisait un clin d’œil auquel Pulli répondait par un vague salut militaire, l’index au-dessus du sourcil.

— Docteur, pensez-vous que l’aspirine soit recommandée pour les troubles circulatoires ? demandait le directeur du golf. J’ai lu quelque chose de ce genre dans Science et Vie.

Meinthe n’avait pas entendu. Yvonne appuyait sa tête contre mon épaule. L’orchestre s’est éteint. Pulli apportait un plateau, avec des coupes et deux bouteilles de champagne. Hendrickx se levait et agitait le bras. Les couples qui dansaient et les autres clients s’étaient retournés vers notre table :

— Mesdames et messieurs, clamait Hendrickx, nous allons boire à la santé de l’heureuse triomphatrice de la Coupe Houligant, Mlle Yvonne Jacquet.

Il faisait signe à Yvonne de se lever. Nous étions tous debout. Nous avons trinqué, et comme je sentais les regards fixés sur nous, j’ai simulé une quinte de toux.

— Et maintenant, mesdames et messieurs, reprenait Hendrickx d’un ton emphatique, je vous demande d’applaudir la jeune et délicieuse Yvonne Jacquet.

On entendait des « bravos » fuser tout autour. Elle se serrait contre moi, intimidée. Mon monocle était tombé. Les applaudissements se prolongeaient et je n’osais pas bouger d’un centimètre. Je fixais, devant moi, la chevelure massive de Fossorié, ses ondulations savantes et multiples qui s’entrecroisaient, cette curieuse chevelure bleu-gris qui ressemblait à un casque ouvragé.

L’orchestre a repris la musique interrompue. Un cha-cha-cha très lent au travers duquel on reconnaissait le thème d’Avril au Portugal.

Meinthe s’est levé :

— Si vous n’y voyez pas d’inconvénients, Hendrickx (il le vouvoyait pour la première fois), je vais vous quitter ainsi que cette élégante compagnie. – Il s’est retourné vers Yvonne et moi : — Je vous ramène ?

J’ai répondu par un « oui » docile. Yvonne s’est levée à son tour. Elle a serré la main de Fossorié et du directeur du golf, mais elle n’osait pas saluer les Roland-Michel, ni les deux blondes bronzées.

— Et c’est pour quand ce mariage ? a demandé Hendrickx en nous désignant du doigt.

— Dès que nous aurons quitté ce sale petit village français de merde, ai-je répondu, très vite.

Ils me regardaient tous bouche bée.

Pourquoi avais-je parlé de manière si stupide et grossière d’un village français ? Je me le demande encore et m’en excuse. Meinthe lui-même paraissait navré de me découvrir sous ce jour.

— Viens, m’a dit Yvonne en me prenant par le bras. Hendrickx restait sans voix et me considérait, les yeux écarquillés.

J’ai bousculé Pulli, sans le faire exprès.

— Vous partez, monsieur Chmara ?

Il essayait de me retenir en me pressant la main.

— Je reviendrai, je reviendrai, lui ai-je dit.

— Oh, oui, s’il vous plaît. Nous reparlerons de toutes ces choses…

Et il avait un geste évasif. Nous avons traversé la piste. Meinthe marchait derrière nous. Grâce à un jeu de projecteurs, on croyait que la neige tombait à gros flocons sur les couples. Yvonne m’entraînait et nous avions du mal à nous frayer un passage.