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– Je vois, Monseigneur, dit-il, que l’on me reconduit à la Bastille.

– Vous êtes intelligent.

– J’y retourne, Monseigneur ; mais, je vous le répète, vous avez tort de ne pas savoir m’employer.

– Vous, l’ami de mes ennemis !

– Que voulez-vous ! il me fallait faire l’ennemi de vos ennemis.

– Croyez-vous qu’il n’y ait que vous seul, monsieur de Rochefort ? Croyez-moi, j’en trouverai qui vous vaudront bien.

– Je vous le souhaite, Monseigneur.

– C’est bien. Allez, allez ! À propos, c’est inutile que vous m’écriviez davantage, monsieur de Rochefort, vos lettres seraient des lettres perdues.

– J’ai tiré les marrons du feu, murmura Rochefort en se retirant ; et si d’Artagnan n’est pas content de moi quand je lui raconterai tout à l’heure l’éloge que j’ai fait de lui, il sera difficile. Mais où diable me mène-t-on ?

En effet, on conduisait Rochefort par le petit escalier, au lieu de le faire passer par l’antichambre, où attendait

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d’Artagnan. Dans la cour, il trouva son carrosse et ses quatre hommes d’escorte ; mais il chercha vainement son ami.

– Ah ! ah ! se dit en lui-même Rochefort, voilà qui change terriblement la chose ! et s’il y a toujours un aussi grand nombre de populaire dans les rues, eh bien ! nous tâcherons de prouver au Mazarin que nous sommes encore bons à autre chose, Dieu merci ! qu’à garder un prisonnier.

Et il sauta dans le carrosse aussi légèrement que s’il n’eût eu que vingt-cinq ans.

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IV. Anne d’Autriche à quarante-six ans

Resté seul avec Bernouin, Mazarin demeura un instant

pensif ; il en savait beaucoup, et cependant il n’en savait pas encore assez. Mazarin était tricheur au jeu ; c’est un détail que nous a conservé Brienne : il appelait cela prendre ses avantages.

Il résolut de n’entamer la partie avec d’Artagnan que lorsqu’il connaîtrait bien toutes les cartes de son adversaire.

– Monseigneur n’ordonne rien ? demanda Bernouin.

– Si fait, répondit Mazarin ; éclaire-moi, je vais chez la reine.

Bernouin prit un bougeoir et marcha le premier.

Il y avait un passage secret qui aboutissait des appartements et du cabinet de Mazarin aux appartements de la reine ; c’était par ce corridor que passait le cardinal pour se rendre à toute heure auprès d’Anne d’Autriche.

En arrivant dans la chambre à coucher où donnait ce passage, Bernouin rencontra madame Beauvais. Madame Beauvais et Bernouin étaient les confidents intimes de ces amours suran-nées ; et madame Beauvais se chargea d’annoncer le cardinal à Anne d’Autriche, qui était dans son oratoire avec le jeune Louis XIV.

Anne d’Autriche, assise dans un grand fauteuil, le coude appuyé sur une table et la tête appuyée sur sa main, regardait l’enfant royal, qui, couché sur le tapis, feuilletait un grand livre de bataille. Anne d’Autriche était une reine qui savait le mieux

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s’ennuyer avec majesté ; elle restait quelquefois des heures ainsi retirée dans sa chambre ou dans son oratoire, sans lire ni prier.

Quant au livre avec lequel jouait le roi, c’était un Quinte-Curce enrichi de gravures représentant les hauts faits d’Alexandre.

Madame Beauvais apparut à la porte de l’oratoire et annonça le cardinal de Mazarin.

L’enfant se releva sur un genou, le sourcil froncé, et regardant sa mère :

– Pourquoi donc, dit-il, entre-t-il ainsi sans faire demander audience ?

Anne rougit légèrement.

– Il est important, répliqua-t-elle, qu’un premier ministre, dans les temps où nous sommes, puisse venir rendre compte à toute heure de ce qui se passe à la reine, sans avoir à exciter la curiosité ou les commentaires de toute la cour.

– Mais il me semble que M. de Richelieu n’entrait pas ainsi, répondit l’enfant implacable.

– Comment vous rappelez-vous ce que faisait

M. de Richelieu ? vous ne pouvez le savoir, vous étiez trop jeune.

– Je ne me le rappelle pas, je l’ai demandé, on me l’a dit.

– Et qui vous a dit cela ? reprit Anne d’Autriche avec un mouvement d’humeur mal déguisé.

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– Je sais que je ne dois jamais nommer les personnes qui répondent aux questions que je leur fais, répondit l’enfant, ou que sans cela je n’apprendrai plus rien.

En ce moment Mazarin entra. Le roi se leva alors tout à fait, prit son livre, le plia et alla le porter sur la table, près de laquelle il se tint debout pour forcer Mazarin à se tenir debout aussi.

Mazarin surveillait de son œil intelligent toute cette scène, à laquelle il semblait demander l’explication de celle qui l’avait précédée.

Il s’inclina respectueusement devant la reine et fit une profonde révérence au roi, qui lui répondit par un salut de tête assez cavalier ; mais un regard de sa mère lui reprocha cet abandon aux sentiments de haine que dès son enfance Louis XIV

avait vouée au cardinal, et il accueillit le sourire sur les lèvres le compliment du ministre.

Anne d’Autriche cherchait à deviner sur le visage de Mazarin la cause de cette visite imprévue, le cardinal ordinairement ne venant chez elle que lorsque tout le monde était retiré.

Le ministre fit un signe de tête imperceptible ; alors la reine s’adressant à madame Beauvais :

– Il est temps que le roi se couche, dit-elle, appelez Laporte.

Déjà la reine avait dit deux ou trois fois au jeune Louis de se retirer, et toujours l’enfant avait tendrement insisté pour rester ; mais cette fois, il ne fit aucune observation, seulement il se pinça les lèvres et pâlit.

Un instant après, Laporte entra.

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L’enfant alla droit à lui sans embrasser sa mère.

– Eh bien, Louis, dit Anne, pourquoi ne m’embrassez-vous point ?

– Je croyais que vous étiez fâchée contre moi, Madame : vous me chassez.

– Je ne vous chasse pas : seulement vous venez d’avoir la petite vérole, vous êtes souffrant encore, et je crains que veiller ne vous fatigue.

– Vous n’avez pas eu la même crainte quand vous m’avez fait aller aujourd’hui au Palais pour rendre ces méchants édits qui ont tant fait murmurer le peuple.

– Sire, dit Laporte pour faire diversion, à qui Votre Majesté veut-elle que je donne le bougeoir ?

– À qui tu voudras, Laporte, répondit l’enfant, pourvu, ajouta-t-il à haute voix, que ce ne soit pas à Mancini.

M. Mancini était un neveu du cardinal que Mazarin avait placé près du roi comme enfant d’honneur et sur lequel Louis XIV reportait une partie de la haine qu’il avait pour son ministre.

Et le roi sortit sans embrasser sa mère et sans saluer le cardinal.

– À la bonne heure ! dit Mazarin ; j’aime à voir qu’on élève Sa Majesté dans l’horreur de la dissimulation.

– Pourquoi cela ? demanda la reine d’un air presque timide.

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– Mais il me semble que la sortie du roi n’a pas besoin de commentaires ; d’ailleurs, Sa Majesté ne se donne pas la peine de cacher le peu d’affection qu’elle me porte : ce qui ne m’empêche pas, du reste, d’être tout dévoué à son service, comme à celui de Votre Majesté.

– Je vous demande pardon pour lui, cardinal, dit la reine, c’est un enfant qui ne peut encore savoir toutes les obligations qu’il vous a.

Le cardinal sourit.