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Le premier carrosse qui arriva après celui de la reine fut le carrosse de M. le Prince ; il contenait M. de Condé, madame la princesse et madame la princesse douairière. Toutes deux avaient été réveillées au milieu de la nuit et ne savaient pas de quoi il était question.

Le second contenait M. le duc d’Orléans, madame la du-

chesse, la grande Mademoiselle et l’abbé de La Rivière, favori inséparable et conseiller intime du prince.

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Le troisième contenait M. de Longueville et M. le prince de Conti, frère et beau-frère de M. le Prince. Ils mirent pied à terre, s’approchèrent du carrosse du roi et de la reine, et présentèrent leurs hommages à Sa Majesté.

La reine plongea son regard jusqu’au fond du carrosse, dont la portière était restée ouverte, et vit qu’il était vide.

– Mais où est donc madame de Longueville ? dit-elle.

– En effet, où est donc ma sœur ? demanda M. le Prince.

– Madame de Longueville est souffrante, madame, répon-

dit le duc, et elle m’a chargé de l’excuser près de Votre Majesté.

Anne lança un coup d’œil rapide à Mazarin, qui répondit par un signe imperceptible de tête.

– Qu’en dites-vous ? demanda la reine.

– Je dis que c’est un otage pour les Parisiens, répondit le cardinal.

– Pourquoi n’est-elle pas venue ? demanda tout bas M. le Prince à son frère.

– Silence ! répondit celui-ci ; sans doute elle a ses raisons.

– Elle nous perd, murmura le prince.

– Elle nous sauve, dit Conti.

Les voitures arrivaient en foule. Le maréchal de La Meilleraie, le maréchal de Villeroy, Guitaut, Villequier, Comminges, vinrent à la file ; les deux mousquetaires arrivèrent à leur tour,

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tenant les chevaux de d’Artagnan et de Porthos en main.

D’Artagnan et Porthos se mirent en selle. Le cocher de Porthos remplaça d’Artagnan sur le siège du carrosse royal, Mousqueton remplaça le cocher, conduisant debout, pour raison à lui connue, et pareil à l’Automédon antique.

La reine, bien qu’occupée de mille détails, cherchait des yeux d’Artagnan, mais le Gascon s’était déjà replongé dans la foule avec sa prudence accoutumée.

– Faisons l’avant-garde, dit-il à Porthos, et ménageons-nous de bons logements à Saint-Germain, car personne ne songera à nous. Je me sens fort fatigué.

– Moi, dit Porthos, je tombe véritablement de sommeil.

Dire que nous n’avons pas eu la moindre bataille. Décidément les Parisiens sont bien sots.

– Ne serait-ce pas plutôt que nous sommes bien habiles ?

dit d’Artagnan.

– Peut-être.

– Et votre poignet, comment va-t-il ?

– Mieux ; mais croyez-vous que nous les tenons cette fois-ci ?

– Quoi ?

– Vous, votre grade ; et moi, mon titre ?

– Ma foi ! oui, je parierais presque. D’ailleurs, s’ils ne se souviennent pas, je les ferai souvenir.

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– On entend la voix de la reine, dit Porthos. Je crois qu’elle demande à monter à cheval.

– Oh ! elle le voudrait bien, elle ; mais…

– Mais quoi ?

– Mais le cardinal ne veut pas, lui. Messieurs, continua d’Artagnan s’adressant aux deux mousquetaires, accompagnez le carrosse de la reine, et ne quittez pas les portières. Nous allons faire préparer les logis.

Et d’Artagnan piqua vers Saint-Germain accompagné de

Porthos.

– Partons, messieurs ! dit la reine.

Et le carrosse royal se mit en route, suivi de tous les autres carrosses et de plus de cinquante cavaliers.

On arriva à Saint-Germain sans accident ; en descendant du marchepied, la reine trouva M. le Prince qui attendait debout et découvert pour lui offrir la main.

– Quel réveil pour les Parisiens ! dit Anne d’Autriche radieuse.

– C’est la guerre, dit le prince.

– Eh bien ! la guerre, soit. N’avons-nous pas avec nous le vainqueur de Rocroy, de Nordlingen et de Lens ?

Le prince s’inclina en signe de remerciement.

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Il était trois heures du matin. La reine entra la première dans le château ; tout le monde la suivit : deux cents personnes à peu près l’avaient accompagnée dans sa fuite.

– Messieurs, dit la reine en riant, logez-vous dans le châ-

teau, il est vaste et la place ne vous manquera point ; mais, comme on ne comptait pas y venir, on me prévient qu’il n’y a en tout que trois lits, un pour le roi, un pour moi…

– Et un pour Mazarin, dit tout bas M. le Prince.

– Et moi, je coucherai donc sur le plancher ? dit Gaston d’Orléans avec un sourire très inquiet…

– Non, Monseigneur, dit Mazarin, car le troisième lit est destiné à Votre Altesse.

– Mais vous ? demanda le prince.

– Moi, je ne me coucherai pas, dit Mazarin, j’ai à travailler.

Gaston se fit indiquer la chambre où était le lit, sans s’inquiéter de quelle façon se logeraient sa femme et sa fille.

– Eh bien, moi, je me coucherai, dit d’Artagnan. Venez avec moi, Porthos.

Porthos suivit d’Artagnan avec cette profonde confiance qu’il avait dans l’intellect de son ami.

Ils marchaient l’un à côté de l’autre sur la place du château, Porthos regardant avec des yeux ébahis d’Artagnan, qui calcu-lait sur ses doigts.

– Quatre cents à une pistole la pièce, quatre cents pistoles.

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– Oui, disait Porthos, quatre cents pistoles ; mais qu’est-ce qui fait quatre cents pistoles ?

– Une pistole n’est pas assez, continua d’Artagnan ; cela vaut un louis.

– Qu’est-ce qui vaut un louis ?

– Quatre cents, à un louis, font quatre cents louis.

– Quatre cents ? dit Porthos.

– Oui, ils sont deux cents ; et il en faut au moins deux par personne. À deux par personne, cela fait quatre cents.

– Mais quatre cents quoi ?

– Écoutez, dit d’Artagnan.

Et comme il y avait là toutes sortes de gens qui regardaient dans l’ébahissement l’arrivée de la cour, il acheva sa phrase tout bas à l’oreille de Porthos.

– Je comprends, dit Porthos, je comprends à merveille, par ma foi ! Deux cents louis chacun, c’est joli ; mais que dira-t-on ?

– On dira ce qu’on voudra ; d’ailleurs saura-t-on que c’est nous ?

– Mais qui se chargera de la distribution ?

– Mousqueton n’est-il pas là ?

– Et ma livrée ! dit Porthos, on reconnaîtra ma livrée.

– Il retournera son habit.

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– Vous avez toujours raison, mon cher, s’écria Porthos, mais où diable puisez-vous donc toutes les idées que vous avez ?

D’Artagnan sourit.

Les deux amis prirent la première rue qu’ils rencontrèrent ; Porthos frappa à la porte de la maison de droite, tandis que d’Artagnan frappait à la porte de la maison de gauche.

– De la paille ! dirent-ils.

– Monsieur, nous n’en avons pas, répondirent les gens qui vinrent ouvrir, mais adressez-vous au marchand de fourrages.

– Et où est-il, le marchand de fourrages ?