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Un sourire d’une indéfinissable expression passa sur les lè-

vres de la reine.

– Eh bien, alors, monsieur, dit-elle, si vous n’avez rien autre chose à me demander, laissez-moi ; vous devez comprendre qu’après une pareille scène j’ai besoin d’être seule.

Mazarin s’inclina.

– Je me retire, Madame, dit-il ; me permettez-vous de revenir ?

– Oui, mais demain ; je n’aurai pas trop de tout ce temps pour me remettre.

Le cardinal prit la main de la reine et la lui baisa galamment, puis il se retira.

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À peine fut-il sorti que la reine passa dans l’appartement de son fils et demanda à Laporte si le roi était couché. Laporte lui montra de la main l’enfant qui dormait.

Anne d’Autriche monta sur les marches du lit, approcha ses lèvres du front plissé de son fils et y déposa doucement un baiser ; puis elle se retira silencieuse comme elle était venue, se contentant de dire au valet de chambre.

– Tâchez donc, mon cher Laporte, que le roi fasse meilleure mine à M. le cardinal, auquel lui et moi avons de si grandes obligations.

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V. Gascon et Italien

Pendant ce temps le cardinal était revenu dans son cabinet, à la porte duquel veillait Bernouin, à qui il demanda si rien ne s’était passé de nouveau et s’il n’était venu aucune nouvelle du dehors. Sur sa réponse négative il lui fit signe de se retirer.

Resté seul, il alla ouvrir la porte du corridor, puis celle de l’antichambre ; d’Artagnan, fatigué, dormait sur une banquette.

– Monsieur d’Artagnan ! dit-il d’une voix douce.

D’Artagnan ne broncha point.

– Monsieur d’Artagnan ! dit-il plus haut.

D’Artagnan continua de dormir.

Le cardinal s’avança vers lui et lui toucha l’épaule du bout du doigt.

Cette fois d’Artagnan tressaillit, se réveilla, et, en se réveillant, se trouva tout debout et comme un soldat sous les armes.

– Me voilà, dit-il ; qui m’appelle ?

– Moi, dit Mazarin avec son visage le plus souriant.

– J’en demande pardon à Votre Éminence, dit d’Artagnan, mais j’étais si fatigué…

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– Ne me demandez pas pardon, monsieur, dit Mazarin, car vous vous êtes fatigué à mon service.

D’Artagnan admira l’air gracieux du ministre.

– Ouais ! dit-il entre ses dents, est-il vrai le proverbe qui dit que le bien vient en dormant ?

– Suivez-moi, monsieur ! dit Mazarin.

– Allons, allons, murmura d’Artagnan, Rochefort m’a tenu parole ; seulement, par où diable est-il passé ?

Et il regarda jusque dans les moindres recoins du cabinet mais il n’y avait plus de Rochefort.

– Monsieur d’Artagnan, dit Mazarin en s’asseyant et en s’accommodant sur son fauteuil, vous m’avez toujours paru un brave et galant homme.

« C’est possible, pensa d’Artagnan, mais il a mis le temps à me le dire. »

Ce qui ne l’empêcha pas de saluer Mazarin jusqu’à terre pour répondre à son compliment.

– Eh bien, continua Mazarin, le moment est venu de mettre à profit vos talents et votre valeur !

Les yeux de l’officier lancèrent comme un éclair de joie qui s’éteignit aussitôt, car il ne savait pas où Mazarin en voulait venir.

– Ordonnez, Monseigneur, dit-il, je suis prêt à obéir à Votre Éminence.

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– Monsieur d’Artagnan, continua Mazarin, vous avez fait sous le dernier règne certains exploits…

– Votre Éminence est trop bonne de se souvenir… C’est

vrai, j’ai fait la guerre avec assez de succès.

– Je ne parle pas de vos exploits guerriers, dit Mazarin car, quoiqu’ils aient fait quelque bruit, ils ont été surpassés par les autres.

D’Artagnan fit l’étonné.

– Eh bien, dit Mazarin, vous ne répondez pas ?

– J’attends, reprit d’Artagnan, que Monseigneur me dise de quels exploits il veut parler.

– Je parle de l’aventure… Hé ! vous savez bien ce que je veux dire.

– Hélas ! non, Monseigneur, répondit d’Artagnan tout

étonné.

– Vous êtes discret, tant mieux. Je veux parler de cette aventure de la reine, de ces ferrets, de ce voyage que vous avez fait avec trois de vos amis.

– Hé ! hé ! pensa le Gascon, est-ce un piège ? Tenons-nous ferme.

Et il arma ses traits d’une stupéfaction que lui eût enviée Mondori ou Bellerose, les deux meilleurs comédiens de

l’époque.

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– Fort bien ! dit Mazarin en riant, bravo ! on m’avait bien dit que vous étiez l’homme qu’il me fallait. Voyons, là, que feriez-vous bien pour moi ?

– Tout ce que Votre Éminence m’ordonnera de faire, dit d’Artagnan.

– Vous feriez pour moi ce que vous avez fait autrefois pour une reine ?

– Décidément, se dit d’Artagnan à lui-même, on veut me faire parler ; voyons-le venir. Il n’est pas plus fin que le Richelieu, que diable !… Pour une reine, Monseigneur ! je ne comprends pas.

– Vous ne comprenez pas que j’ai besoin de vous et de vos trois amis ?

– De quels amis, Monseigneur ?

– De vos trois amis d’autrefois.

– Autrefois, Monseigneur, répondit d’Artagnan, je n’avais pas trois amis, j’en avais cinquante. À vingt ans, on appelle tout le monde ses amis.

– Bien, bien, monsieur l’officier ! dit Mazarin, la discrétion est une belle chose ; mais aujourd’hui vous pourriez vous repentir d’avoir été trop discret.

– Monseigneur, Pythagore faisait garder pendant cinq ans le silence à ses disciples pour leur apprendre à se taire.

– Et vous l’avez gardé vingt ans, monsieur. C’est quinze ans de plus qu’un philosophe pythagoricien, ce qui me semble rai-

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sonnable. Parlez donc aujourd’hui, car la reine elle-même vous relève de votre serment.

– La reine ! dit d’Artagnan avec un étonnement, qui, cette fois, n’était pas joué.

– Oui, la reine ! et pour preuve que je vous parle en son nom, c’est qu’elle m’a dit de vous montrer ce diamant qu’elle prétend que vous connaissez, et qu’elle a racheté de M. des Essarts.

Et Mazarin étendit la main vers l’officier, qui soupira en reconnaissant la bague que la reine lui avait donnée le soir du bal de l’Hôtel de Ville.

– C’est vrai ! dit d’Artagnan, je reconnais ce diamant, qui a appartenu à la reine.

– Vous voyez donc bien que je vous parle en son nom. Ré-

pondez-moi donc sans jouer davantage la comédie. Je vous l’ai déjà dit, et je vous le répète, il y va de votre fortune.

– Ma foi, Monseigneur ! j’ai grand besoin de faire fortune.

Votre Éminence m’a oublié si longtemps !

– Il ne faut que huit jours pour réparer cela. Voyons, vous voilà, vous, mais où sont vos amis ?

– Je n’en sais rien, Monseigneur.

– Comment, vous n’en savez rien ?

– Non ; il y a longtemps que nous nous sommes séparés, car tous trois ont quitté le service.

– Mais où les retrouverez-vous ?

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– Partout où ils seront. Cela me regarde.

– Bien ! Vos conditions ?