– Ah ! ah ! dit d’Artagnan, c’est donc au général Olivier Cromwell que nous sommes dépêchés ?
– N’avez-vous donc pas une lettre pour lui ? demanda le jeune homme.
– J’ai une lettre dont je ne devais rompre la double enveloppe qu’à Londres ; mais puisque vous me dites à qui elle est adressée, il est inutile que j’attende jusque-là.
D’Artagnan déchira l’enveloppe de la lettre. Elle était en effet adressée :
« À monsieur Olivier Cromwell, général des troupes de la nation anglaise. »
– Ah ! fit d’Artagnan, singulière commission !
– Qu’est-ce que ce M. Olivier Cromwell ? demanda tout bas Porthos.
– Un ancien brasseur, répondit d’Artagnan.
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– Est-ce que le Mazarin voudrait faire une spéculation sur la bière comme nous en avons fait sur la paille ? demanda Porthos. – Allons, allons, messieurs, dit Mordaunt impatient, partons. – Oh ! oh ! dit Porthos, sans souper ? Est-ce que M. Cromwell ne peut pas bien attendre un peu ?
– Oui, mais moi ? dit Mordaunt.
– Eh bien ! vous, dit Porthos, après ?
– Moi, je suis pressé.
– Oh ! si c’est pour vous, dit Porthos, la chose ne me regarde pas, et je souperai avec votre permission ou sans votre permission.
Le regard vague du jeune homme s’enflamma et parut prêt à jeter un éclair, mais il se contint.
– Monsieur, continua d’Artagnan, il faut excuser des voyageurs affamés. D’ailleurs notre souper ne vous retardera pas beaucoup, nous allons piquer jusqu’à l’auberge. Allez à pied jusqu’au port, nous mangeons un morceau et nous y sommes en même temps que vous.
– Tout ce qu’il vous plaira, messieurs, pourvu que nous partions, dit Mordaunt.
– C’est bien heureux, murmura Porthos.
– Le nom du bâtiment ? demanda d’Artagnan.
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– Le Standard.
– C’est bien. Dans une demi-heure nous serons à bord.
Et tous deux, donnant de l’éperon à leurs chevaux, piquè-
rent vers l’hôtel des Armes d’Angleterre.
– Que dites-vous de ce jeune homme ? demanda
d’Artagnan tout en courant.
– Je dis qu’il ne me revient pas du tout, dit Porthos, et que je me suis senti une rude démangeaison de suivre le conseil d’Aramis.
– Gardez-vous-en, mon cher Porthos, cet homme est un
envoyé du général Cromwell, et ce serait une façon de nous faire pauvrement recevoir, je crois que de lui annoncer que nous avons tordu le cou à son confident.
– C’est égal, dit Porthos, j’ai toujours remarqué qu’Aramis était homme de bon conseil.
– Écoutez, dit d’Artagnan, quand notre ambassade sera finie…
– Après ?
– S’il nous reconduit en France…
– Eh bien ?
– Eh bien ! nous verrons.
Les deux amis arrivèrent sur ce à l’hôtel des Armes d’Angleterre, où ils soupèrent de grand appétit ; puis, incontinent, ils se rendirent sur le port. Un brick était prêt à mettre à la
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voile ; et, sur le pont de ce brick, ils reconnurent Mordaunt, qui se promenait avec impatience.
– C’est incroyable, disait d’Artagnan, tandis que la barque le conduisait à bord du Standard, c’est étonnant comme ce jeune homme ressemble à quelqu’un que j’ai connu, mais je ne puis dire à qui.
Ils arrivèrent à l’escalier, et, un instant après, ils furent embarqués.
Mais l’embarquement des chevaux fut plus long que celui des hommes, et le brick ne put lever l’ancre qu’à huit heures du soir.
Le jeune homme trépignait d’impatience et commandait
que l’on couvrit les mâts de voiles.
Porthos, éreinté de trois nuits sans sommeil et d’une route de soixante-dix lieues faite à cheval, s’était retiré dans sa cabine et dormait.
D’Artagnan, surmontant sa répugnance pour Mordaunt, se promenait avec lui sur le pont et faisait cent contes pour le forcer à parler.
Mousqueton avait le mal de mer.
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LVIII. L’Écossais, parjure à sa foi, pour un
denier vendit son roi
Et, maintenant, il faut que nos lecteurs laissent voguer tranquillement le Standard, non pas vers Londres, où d’Artagnan et Porthos croient aller, mais vers Durham, où des lettres reçues d’Angleterre pendant son séjour à Boulogne avaient ordonné à Mordaunt de se rendre, et nous suivent au camp royaliste, situé en deçà de la Tyne, auprès de la ville de Newcastle.
C’est là, placées entre deux rivières, sur la frontière d’Écosse, mais sur le sol d’Angleterre, que s’étalent les tentes d’une petite armée. Il est minuit. Des hommes qu’on peut reconnaître à leurs jambes nues, à leurs jupes courtes, à leurs plaids bariolés et à la plume qui décore leur bonnet pour des highlanders, veillent nonchalamment. La lune, qui glisse entre deux gros nuages, éclaire à chaque intervalle qu’elle trouve sur sa route les mousquets des sentinelles et découpe en vigueur les murailles, les toits et les clochers de la ville que Charles Ier vient de rendre aux troupes du parlement ainsi qu’Oxford et Newark, qui tenaient encore pour lui, dans l’espoir d’un accommode-ment.
À l’une des extrémités du camp, près d’une tente immense, pleine d’officiers écossais tenant une espèce de conseil présidé par le vieux comte de Loewen, leur chef, un homme, vêtu en cavalier, dort couché sur le gazon et la main droite étendue sur son épée.
À cinquante pas de là, un autre homme, vêtu aussi en cavalier, cause avec une sentinelle écossaise ; et grâce à l’habitude
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qu’il paraît avoir, quoique étranger, de la langue anglaise, il parvient à comprendre les réponses que son interlocuteur lui fait dans le patois du comté de Perth.
Comme une heure du matin sonnait à la ville de Newcastle, le dormeur s’éveilla ; et après avoir fait tous les gestes d’un homme qui ouvre les yeux après un profond sommeil, il regarda attentivement autour de lui : voyant qu’il était seul il se leva, et, faisant un détour, alla passer près du cavalier qui causait avec la sentinelle. Celui-ci avait sans doute fini ses interrogations, car après un instant il prit congé de cet homme et suivit sans affectation la même route que le premier cavalier que nous avons vu passer.
À l’ombre d’une tente placée sur le chemin, l’autre
l’attendait.
– Eh bien, mon cher ami ? lui dit-il dans le plus pur fran-
çais qui ait jamais été parlé de Rouen à Tours.
– Eh bien, mon ami, il n’y a pas de temps à perdre, et il faut prévenir le roi.
– Que se passe-t-il donc ?
– Ce serait trop long à vous dire ; d’ailleurs, vous
l’entendrez tout à l’heure. Puis le moindre mot prononcé ici peut tout perdre. Allons trouver milord de Winter.
Et tous deux s’acheminèrent vers l’extrémité opposée du camp ; mais comme le camp ne couvrait pas une surface de plus de cinq cents pas carrés, ils furent bientôt arrivés à la tente de celui qu’ils cherchaient.
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– Votre maître dort-il, Tony ? dit en anglais l’un des deux cavaliers à un domestique couché dans un premier compartiment qui servait d’antichambre.