– Eh bien ! mon cher monsieur, vous voilà prisonnier d’un compatriote.
– Mais le roi ? dit Athos avec angoisse, le roi ?
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D’Artagnan serra vigoureusement la main de son prison-
nier et lui dit :
– Eh ! nous le tenons, le roi !
– Oui, dit Aramis, par une trahison infâme.
Porthos broya le poignet de son ami et lui dit avec un sourire :
– Eh ! monsieur ! la guerre se fait autant par l’adresse que par la force : regardez !
En effet on vit en ce moment l’escadron qui devait protéger la retraite de Charles s’avancer à la rencontre du régiment anglais, enveloppant le roi, qui marchait seul à pied dans un grand espace vide. Le prince était calme en apparence, mais on voyait ce qu’il devait souffrir pour paraître calme ; ainsi la sueur coulait de son front, et il s’essuyait les tempes et les lèvres avec un mouchoir qui chaque fois s’éloignait de sa bouche teint de sang.
– Voilà Nabuchodonosor, s’écria un des cuirassiers de
Cromwell, vieux puritain, dont les yeux s’enflammèrent à l’aspect de celui qu’on appelait le tyran.
– Que dites-vous donc, Nabuchodonosor ? dit Mordaunt avec un sourire effrayant. Non, c’est le roi Charles Ier, le bon roi Charles qui dépouille ses sujets pour en hériter.
Charles leva les yeux vers l’insolent qui parlait ainsi, mais il ne le reconnut point. Cependant la majesté calme et religieuse de son visage fit baisser le regard de Mordaunt.
– Bonjour, messieurs, dit le roi aux deux gentilshommes qu’il vit, l’un aux mains de d’Artagnan, l’autre aux mains de Por-
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thos. La journée a été malheureuse, mais ce n’est point votre faute, Dieu merci ! Où est mon vieux de Winter !
Les deux gentilshommes tournèrent la tête et gardèrent le silence.
– Cherche où est Strafford, dit la voix stridente de Mordaunt.
Charles tressaillit : le démon avait frappé juste. Strafford, c’était son remords éternel, l’ombre de ses jours, le fantôme de ses nuits.
Le roi regarda autour de lui et vit un cadavre à ses pieds.
C’était celui de de Winter.
Charles ne jeta pas un cri, ne versa pas une larme, seulement une pâleur plus livide s’étendit sur son visage ; il mit un genou en terre, souleva la tête de de Winter, l’embrassa au front, et reprenant le cordon du Saint-Esprit qu’il lui avait passé au cou, il le mit religieusement sur sa poitrine.
– De Winter est donc tué ? demanda d’Artagnan en fixant ses yeux sur le cadavre.
– Oui, dit Athos, et par son neveu.
– Allons ! c’est le premier de nous qui s’en va, murmura d’Artagnan ; qu’il dorme en paix, c’était un brave.
– Charles Stuart, dit alors le colonel du régiment anglais en s’avançant vers le roi qui venait de reprendre les insignes de la royauté, vous rendez-vous notre prisonnier ?
– Colonel Thomlison, dit Charles, le roi ne se rend point ; l’homme cède à la force, voilà tout.
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– Votre épée.
Le roi tira son épée et la brisa sur son genou.
En ce moment un cheval sans cavalier, ruisselant d’écume, l’œil en flamme, les naseaux ouverts, accourut, et reconnaissant son maître, s’arrêta près de lui en hennissant de joie : c’était Arthus.
Le roi sourit, le flatta de la main et se mit légèrement en selle.
– Allons, messieurs, dit-il, conduisez-moi où vous voudrez.
Puis se retournant vivement :
– Attendez, dit-il ; il m’a semblé voir remuer de Winter ; s’il vit encore, par ce que vous avez de plus sacré, n’abandonnez pas ce noble gentilhomme.
– Oh ! soyez tranquille, roi Charles, dit Mordaunt, la balle a traversé le cœur.
– Ne soufflez pas un mot, ne faites pas un geste, ne risquez pas un regard pour moi ni pour Porthos, dit d’Artagnan à Athos et à Aramis, car Milady n’est pas morte, et son âme vit dans le corps de ce démon !
Et le détachement s’achemina vers la ville, emmenant sa royale capture ; mais à moitié chemin, un aide de camp du gé-
néral Cromwell apporta l’ordre au colonel Thomlison de conduire le roi à Holdenby-Castle.
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En même temps les courriers partaient dans toutes les directions pour annoncer à l’Angleterre et à toute l’Europe que le roi Charles Stuart était prisonnier du général Olivier Cromwell.
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LX. Olivier Cromwell
– Venez-vous chez le général ? dit Mordaunt à d’Artagnan et à Porthos, vous savez qu’il vous a mandés après l’action.
– Nous allons d’abord mettre nos prisonniers en lieu de sû-
reté, dit d’Artagnan à Mordaunt. Savez-vous, monsieur, que ces gentilshommes valent chacun quinze cents pistoles ?
– Oh ! soyez tranquilles, dit Mordaunt en les regardant d’un œil dont il essayait en vain de réprimer la férocité, mes cavaliers les garderont, et les garderont bien ; je vous réponds d’eux.
– Je les garderai encore mieux moi-même, reprit
d’Artagnan ; d’ailleurs, que faut-il ? une bonne chambre avec des sentinelles, ou leur simple parole qu’ils ne chercheront pas à fuir. Je vais mettre ordre à cela, puis nous aurons l’honneur de nous présenter chez le général et de lui demander ses ordres pour Son Éminence.
– Vous comptez donc partir bientôt ? demanda Mordaunt.
– Notre mission est finie et rien ne nous arrête plus en Angleterre que le bon plaisir du grand homme près duquel nous avons été envoyés.
Le jeune homme se mordit les lèvres, et se penchant à
l’oreille du sergent :
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– Vous suivrez ces hommes, lui dit-il, vous ne les perdrez pas de vue ; et quand vous saurez où ils sont logés, vous reviendrez m’attendre à la porte de la ville.
Le sergent fit signe qu’il serait obéi.
Alors, au lieu de suivre le gros des prisonniers qu’on ramenait dans la ville, Mordaunt se dirigea vers la colline d’où Cromwell avait regardé la bataille et où il venait de faire dresser sa tente.
Cromwell avait défendu qu’on laissât pénétrer personne près de lui : mais la sentinelle, qui connaissait Mordaunt pour un des confidents les plus intimes du général, pensa que la dé-
fense ne regardait point le jeune homme.
Mordaunt écarta donc la toile de la tente et vit Cromwell assis devant une table, la tête cachée entre ses deux mains ; en outre, il lui tournait le dos.
Soit qu’il entendît ou non le bruit que fit Mordaunt en entrant, Cromwell ne se retourna point.
Mordaunt resta debout près de la porte.
Enfin, au bout d’un instant, Cromwell releva son front ap-pesanti, et, comme s’il eût senti instinctivement que quelqu’un était là, il tourna lentement la tête.
– J’avais dit que je voulais être seul ! s’écria-t-il en voyant le jeune homme.
– On n’a pas cru que cette défense me regardât, monsieur, dit Mordaunt ; cependant, si vous l’ordonnez, je suis prêt à sortir.
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– Ah ! c’est vous, Mordaunt ! dit Cromwell, éclaircissant, comme par la force de sa volonté, le voile qui couvrait ses yeux ; puisque vous voilà, c’est bien, restez.
– Je vous apporte mes félicitations.
– Vos félicitations ! et de quoi ?
– De la prise de Charles Stuart. Vous êtes le maître de l’Angleterre maintenant.
– Je l’étais bien mieux il y a deux heures, dit Cromwell.
– Comment cela, général ?