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première fois depuis vingt ans, nous tiendrions tête non seulement à l’Angleterre, mais aux trois royaumes !

– Et avez-vous promis à cette reine, reprit d’Artagnan avec humeur, de forcer la Tour de Londres, de tuer cent mille soldats, de lutter victorieusement contre le vœu d’une nation et l’ambition d’un homme, quand cet homme s’appelle Cromwell ?

Vous ne l’avez pas vu, cet homme, vous, Athos, vous, Aramis. Eh bien ! c’est un homme de génie, qui m’a fort rappelé notre cardinal, l’autre, le grand ! vous savez bien. Ne vous exagérez donc pas vos devoirs. Au nom du ciel, mon cher Athos, ne faites pas du dévouement inutile ! Quand je vous regarde, en vérité, il me semble que je vois un homme raisonnable ; quand vous me ré-

pondez, il me semble que j’ai affaire à un fou. Voyons, Porthos, joignez-vous donc à moi. Que pensez-vous de cette affaire, dites franchement ?

– Rien de bon, répondit Porthos.

– Voyons, continua d’Artagnan, impatienté de ce qu’au lieu de l’écouter Athos semblait écouter une voix qui parlait en lui-même, jamais vous ne vous êtes mal trouvé de mes conseils ; eh bien ! croyez-moi, Athos, votre mission est terminée, terminée noblement ; revenez en France avec nous.

– Ami, dit Athos, notre résolution est inébranlable.

– Mais vous avez quelque autre motif que nous ne connaissons pas ?

Athos sourit.

D’Artagnan frappa sur sa cuisse avec colère et murmura les raisons les plus convaincantes qu’il put trouver ; mais à toutes ces raisons, Athos se contenta de répondre par un sourire calme et doux, et Aramis par des signes de tête.

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– Eh bien ! s’écria enfin d’Artagnan furieux, eh bien ! puisque vous le voulez, laissons donc nos os dans ce gredin de pays, où il fait froid toujours, où le beau temps est du brouillard, le brouillard de la pluie, la pluie du déluge ; où le soleil ressemble à la lune, et la lune à un fromage à la crème. Au fait, mourir là ou mourir ailleurs, puisqu’il faut mourir, peu nous importe.

– Seulement, songez-y, dit Athos, cher ami, c’est mourir plus tôt.

– Bah ! un peu plus tôt, un peu plus tard, cela ne vaut pas la peine de chicaner.

– Si je m’étonne de quelque chose, dit sentencieusement Porthos, c’est que ce ne soit pas déjà fait.

– Oh

! cela se fera, soyez tranquille, Porthos, dit

d’Artagnan. Ainsi, c’est convenu, continua le Gascon, et si Porthos ne s’y oppose pas…

– Moi, dit Porthos, je ferai ce que vous voudrez. D’ailleurs je trouve très beau ce qu’a dit tout à l’heure le comte de La Fère.

– Mais votre avenir, d’Artagnan ? vos ambitions, Porthos ?

– Notre avenir, nos ambitions ! dit d’Artagnan avec une vo-lubilité fiévreuse ; avons-nous besoin de nous occuper de cela, puisque nous sauvons le roi ? Le roi sauvé, nous rassemblons ses amis, nous battons les puritains, nous reconquérons l’Angleterre, nous rentrons dans Londres avec lui, nous le repo-sons bien carrément sur son trône…

– Et il nous fait ducs et pairs, dit Porthos, dont les yeux étincelaient de joie, même en voyant cet avenir à travers une fable.

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– Ou il nous oublie, dit d’Artagnan.

– Oh ! fit Porthos.

– Dame ! cela s’est vu, ami Porthos ; et il me semble que nous avons autrefois rendu à la reine Anne d’Autriche un service qui ne le cédait pas de beaucoup à celui que nous voulons rendre aujourd’hui à Charles Ier, ce qui n’a point empêché la reine Anne d’Autriche de nous oublier pendant près de vingt ans.

– Eh bien, malgré cela, d’Artagnan, dit Athos, êtes-vous fâ-

ché de lui avoir rendu service ?

– Non, ma foi, dit d’Artagnan, et j’avoue même que dans mes moments de plus mauvaise humeur, eh bien ! j’ai trouvé une consolation dans ce souvenir.

– Vous voyez bien, d’Artagnan ; que les princes sont ingrats souvent, mais que Dieu ne l’est jamais.

– Tenez, Athos, dit d’Artagnan, je crois que si vous ren-contriez le diable sur la terre, vous feriez si bien, que vous le ramèneriez avec vous au ciel.

– Ainsi donc ? dit Athos en tendant la main à d’Artagnan.

– Ainsi donc, c’est convenu, dit d’Artagnan, je trouve l’Angleterre un pays charmant, et j’y reste, mais à une condition.

– Laquelle ?

– C’est qu’on ne me forcera pas d’apprendre l’anglais.

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– Eh bien ? maintenant, dit Athos triomphant, je vous le jure, mon ami, par ce Dieu qui nous entend, par mon nom que je crois sans tache, je crois qu’il y a une puissance qui veille sur nous, et j’ai l’espoir que nous reverrons tous quatre la France.

– Soit, dit d’Artagnan ; mais moi j’avoue que j’ai la conviction toute contraire.

– Ce cher d’Artagnan ! dit Aramis, il représente au milieu de nous l’opposition des parlements, qui disent toujours non et qui font toujours oui.

– Oui, mais qui, en attendant, sauvent la patrie, dit Athos.

– Eh bien ! maintenant que tout est arrêté, dit Porthos en se frottant les mains, si nous pensions à dîner ! il me semble que, dans les situations les plus critiques de notre vie, nous avons dîné toujours.

– Ah ! oui, parlez donc de dîner dans un pays où l’on

mange pour tout festin du mouton cuit à l’eau, et où, pour tout régal, on boit de la bière ! Comment diable êtes-vous venu dans un pays pareil, Athos ? Ah ! pardon, ajouta-t-il en souriant, j’oubliais que vous n’êtes plus Athos. Mais, n’importe, voyons votre plan pour dîner, Porthos.

– Mon plan !

– Oui, avez-vous un plan ?

– Non, j’ai faim, voilà tout.

– Pardieu ! si ce n’est que cela, moi aussi j’ai faim ; mais ce n’est pas le tout que d’avoir faim, il faut trouver à manger, et à moins que de brouter l’herbe comme nos chevaux…

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– Ah ! fit Aramis, qui n’était pas tout à fait si détaché des choses de la terre qu’Athos, quand nous étions au Parpaillot, vous rappelez-vous les belles huîtres que nous mangions ?

– Et ces gigots de mouton des marais salants ! fit Porthos en passant sa langue sur ses lèvres.

– Mais, dit d’Artagnan, n’avons-nous pas notre ami Mousqueton, qui vous faisait si bien vivre à Chantilly, Porthos ?

– En effet, dit Porthos, nous avons Mousqueton, mais depuis qu’il est intendant, il s’est fort alourdi ; n’importe, appelons-le.

Et pour être sûr qu’il répondît agréablement :

– Eh ! Mouston ! fit Porthos.

Mouston parut ; il avait la figure fort piteuse.

– Qu’avez-vous donc, mon cher monsieur Mouston ? dit

d’Artagnan ; seriez-vous malade ?

– Monsieur, j’ai très faim, répondit Mousqueton.

– Eh bien ! c’est justement pour cela que nous vous faisons venir, mon cher monsieur Mouston. Ne pourriez-vous donc pas vous procurer au collet quelques-uns de ces gentils lapins et quelques-unes de ces charmantes perdrix dont vous faisiez des gibelottes et des salmis à l’hôtel de… ma foi, je ne me rappelle plus le nom de l’hôtel ?

– À l’hôtel de… dit Porthos. Ma foi, je ne me rappelle pas non plus.

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