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– Peu importe ; et au lasso quelques-unes de ces bouteilles de vieux vin de Bourgogne qui ont si vivement guéri, votre maî-

tre de sa foulure.

– Hélas ! monsieur, dit Mousqueton, je crains bien que tout ce que vous me demandez là ne soit fort rare dans cet affreux pays, et je crois que nous ferons mieux d’aller demander l’hospitalité au maître d’une petite maison que l’on aperçoit de la lisière du bois.

– Comment ! il y a une maison aux environs ? demanda

d’Artagnan.

– Oui monsieur, répondit Mousqueton.

– Eh bien ! comme vous le dites, mon ami, allons demander à dîner au maître de cette maison. Messieurs, qu’en pensez-vous, et le conseil de M. Mouston ne vous paraît-il pas plein de sens ?

– Eh ! eh ! dit Aramis, si le maître est puritain ?…

– Tant mieux, mordioux ! dit d’Artagnan : s’il est puritain, nous lui apprendrons la prise du roi, et en l’honneur de cette nouvelle, il nous donnera ses poules blanches.

– Mais s’il est cavalier ? dit Porthos.

– Dans ce cas, nous prendrons un air de deuil, et nous plumerons ses poules noires.

– Vous êtes bien heureux, dit Athos en souriant malgré lui de la saillie de l’indomptable Gascon, car vous voyez toute chose en riant.

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– Que voulez-vous ? dit d’Artagnan, je suis d’un pays où il n’y a pas un nuage au ciel.

– Ce n’est pas comme dans celui-ci, dit Porthos en étendant la main pour s’assurer si un sentiment de fraîcheur qu’il venait de ressentir sur la joue était bien réellement causé par une goutte de pluie.

– Allons, allons, dit d’Artagnan, raison de plus pour nous mettre en route… Holà, Grimaud !

Grimaud apparut.

– Eh bien, Grimaud, mon ami, avez-vous vu quelque

chose ? demanda d’Artagnan.

– Rien, répondit Grimaud.

– Ces imbéciles, dit Porthos, ils ne nous ont même pas poursuivis. Oh ! si nous eussions été à leur place !

– Eh ! ils ont eu tort, dit d’Artagnan ; je dirais volontiers deux mots au Mordaunt dans cette petite Thébaïde. Voyez la jolie place pour coucher proprement un homme à terre.

– Décidément, dit Aramis, je crois, messieurs, que le fils n’est pas de la force de la mère.

– Eh ! cher ami, répondit Athos, attendez donc, nous le quittons depuis deux heures à peine, il ne sait pas encore de quel côté nous nous dirigeons, il ignore où nous sommes. Nous dirons qu’il est moins fort que sa mère en mettant le pied sur la terre de France, si d’ici là nous ne sommes ni tués, ni empoisonnés.

– Dînons toujours en attendant, dit Porthos.

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– Ma foi, oui, dit Athos, car j’ai grand’faim.

– Gare aux poules noires ! dit Aramis.

Et les quatre amis, conduits par Mousqueton,

s’acheminèrent vers la maison, déjà presque rendus à leur insouciance première, car ils étaient maintenant tous les quatre unis et d’accord, comme l’avait dit Athos.

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LXIV. Salut à la Majesté tombée

À mesure qu’ils approchaient de la maison, nos fugitifs voyaient la terre écorchée comme si une troupe considérable de cavaliers les eût précédés ; devant la porte les traces étaient encore plus visibles ; cette troupe, quelle qu’elle fût, avait fait là une halte.

– Pardieu ! dit d’Artagnan, la chose est claire, le roi et son escorte ont passé par ici.

– Diable ! dit Porthos, en ce cas ils auront tout dévoré.

– Bah ! dit d’Artagnan, ils auront bien laissé une poule. Et il sauta à bas de son cheval et frappa à la porte ; mais personne ne répondit.

Il poussa la porte qui n’était pas fermée, et vit que la première chambre était vide et déserte.

– Eh bien ? demanda Porthos.

– Je ne vois personne, dit d’Artagnan. Ah ! ah !

– Quoi ?

– Du sang !

À ce mot, les trois amis sautèrent à bas de leurs chevaux et entrèrent dans la première chambre ; mais d’Artagnan avait déjà poussé la porte de la seconde, et à l’expression de son visage, il était clair qu’il y voyait quelque objet extraordinaire.

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Les trois amis s’approchèrent et aperçurent un homme encore jeune étendu à terre et baigné dans une mare de sang.

On voyait qu’il avait voulu gagner son lit, mais il n’en avait pas eu la force, il était tombé auparavant.

Athos fut le premier qui se rapprocha de ce malheureux : il avait cru lui voir faire un mouvement.

– Eh bien ? demanda d’Artagnan.

– Eh bien ! dit Athos, s’il est mort, il n’y a pas longtemps car il est chaud encore. Mais non, son cœur bat. Eh ! mon ami !

Le blessé poussa un soupir ; d’Artagnan prit de l’eau dans le creux de sa main et la lui jeta au visage.

L’homme rouvrit les yeux, fit un mouvement pour relever sa tête et retomba.

Athos alors essaya de la lui porter sur son genou, mais il s’aperçut que la blessure était un peu au-dessus du cervelet et lui fendait le crâne ; le sang s’en échappait avec abondance.

Aramis trempa une serviette dans l’eau et l’appliqua sur la plaie ; la fraîcheur rappela le blessé à lui, il rouvrit une seconde fois les yeux.

Il regarda avec étonnement ces hommes qui paraissaient le plaindre, et qui, autant qu’il était en leur pouvoir, essayaient de lui porter secours.

– Vous êtes avec des amis, dit Athos en anglais, rassurez-vous donc, et, si vous en avez la force, racontez-nous ce qui est arrivé.

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– Le roi, murmura le blessé, le roi est prisonnier.

– Vous l’avez vu ? demanda Aramis dans la même langue.

L’homme ne répondit pas.

– Soyez tranquille, reprit Athos, nous sommes de fidèles serviteurs de Sa Majesté.

– Est-ce vrai ce que vous me dites là ? demanda le blessé.

– Sur notre honneur de gentilshommes.

– Alors je puis donc vous dire ?

– Dites.

– Je suis le frère de Parry, le valet de chambre de Sa Majesté.

Athos et Aramis se rappelèrent que c’était de ce nom que de Winter avait appelé le laquais qu’ils avaient trouvé dans le corridor de la tente royale.

– Nous le connaissons, dit Athos ; il ne quittait jamais le roi !

– Oui, c’est cela, dit le blessé. Eh bien ! voyant le roi pris, il songea à moi ; on passait devant la maison, il demanda au nom du roi qu’on s’y arrêtât. La demande fut accordée. Le roi, disait-on, avait faim ; on le fit entrer dans la chambre où je suis, afin qu’il y prit son repas, et l’on plaça des sentinelles aux portes et aux fenêtres. Parry connaissait cette chambre, car plusieurs fois, tandis que Sa Majesté était à Newcastle, il était venu me voir. Il savait que dans cette chambre il y avait une trappe, que cette

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trappe conduisait à la cave, et que de cette cave on pouvait gagner le verger. Il me fit un signe. Je le compris. Mais sans doute ce signe fut intercepté par les gardiens du roi et les mit en dé-

fiance. Ignorant qu’on se doutait de quelque chose, je n’eus plus qu’un désir, celui de sauver Sa Majesté. Je fis donc semblant de sortir pour aller chercher du bois, en pensant qu’il n’y avait pas de temps à perdre. J’entrai dans le passage souterrain qui conduisait à la cave à laquelle cette trappe correspondait. Je levai la planche avec ma tête ; et tandis que Parry poussait doucement le verrou de la porte, je fis signe au roi de me suivre.