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Il avait donc laissé tranquillement son ami hausser les épaules, et il avait continué son chemin en lui parlant de Raoul, conversation qu’il avait, dans une autre circonstance, complè-

tement laissée tomber, on se le rappelle.

À la nuit fermée on arriva à Tirsk. Les quatre amis parurent complètement étrangers et indifférents aux mesures de précaution que l’on prenait pour s’assurer de la personne du roi. Ils se retirèrent dans une maison particulière, et, comme ils avaient d’un moment à l’autre à craindre pour eux-mêmes, ils

s’établirent dans une seule chambre en se ménageant une issue en cas d’attaque. Les valets furent distribués à des postes diffé-

rents ; Grimaud coucha sur une botte de paille en travers de la porte.

D’Artagnan était pensif, et semblait avoir momentanément perdu sa loquacité ordinaire. Il ne disait pas mot, sifflotant sans cesse, allant de son lit à la croisée. Porthos, qui ne voyait jamais rien que les choses extérieures, lui, parlait comme d’habitude.

D’Artagnan répondait par monosyllabes. Athos et Aramis se regardaient en souriant.

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La journée avait été fatigante, et cependant, à l’exception de Porthos, dont le sommeil était aussi inflexible que l’appétit, les amis dormirent mal.

Le lendemain matin, d’Artagnan fut le premier debout. Il était descendu aux écuries, il avait déjà visité les chevaux, il avait déjà donné tous les ordres nécessaires à la journée qu’Athos et Aramis n’étaient point levés, et que Porthos ronflait encore.

À huit heures du matin, on se mit en marche dans le même ordre que la veille. Seulement d’Artagnan laissa ses amis cheminer de leur côté, et alla renouer avec M. Groslow la connaissance entamée la veille.

Celui-ci, que ses éloges avaient doucement caressé au

cœur, le reçut avec un gracieux sourire.

– En vérité, monsieur, lui dit d’Artagnan, je suis heureux de trouver quelqu’un avec qui parler ma pauvre langue. M. du Vallon, mon ami, est d’un caractère fort mélancolique, de sorte qu’on ne saurait lui tirer quatre paroles par jour ; quant à nos deux prisonniers, vous comprenez qu’ils sont peu en train de faire la conversation.

– Ce sont des royalistes enragés, dit Groslow.

– Raison de plus pour qu’ils nous boudent d’avoir pris le Stuart, à qui, je l’espère bien, vous allez faire un bel et bon procès.

– Dame ! dit Groslow, nous le conduisons à Londres pour cela.

– Et vous ne le perdez pas de vue, je présume ?

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– Peste ! je le crois bien ! Vous le voyez, ajouta l’officier en riant, il a une escorte vraiment royale.

– Oui, le jour, il n’y a pas de danger qu’il vous échappe ; mais la nuit…

– La nuit, les précautions redoublent.

– Et quel mode de surveillance employez-vous ?

– Huit hommes demeurent constamment dans sa chambre.

– Diable ! fit d’Artagnan, il est bien gardé. Mais, outre ces huit hommes, vous placez sans doute une garde dehors ? On ne peut prendre trop de précaution contre un pareil prisonnier.

– Oh ! non. Pensez donc : que voulez-vous que fassent deux hommes sans armes contre huit hommes armés ?

– Comment, deux hommes ?

– Oui, le roi et son valet de chambre.

– On a donc permis à son valet de chambre de ne pas le quitter ?

– Oui, Stuart a demandé qu’on lui accordât cette grâce, et le colonel Harrison y a consenti. Sous prétexte qu’il est roi, il paraît qu’il ne peut pas s’habiller ni se déshabiller tout seul.

– En vérité, capitaine, dit d’Artagnan décidé à continuer à l’endroit de l’officier anglais le système laudatif qui lui avait si bien réussi, plus je vous écoute, plus je m’étonne de la manière facile et élégante avec laquelle vous parlez le français. Vous avez habité Paris trois ans, c’est bien ; mais j’habiterais Londres

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toute ma vie que je n’arriverais pas, j’en suis sûr, au degré où vous en êtes. Que faisiez-vous donc à Paris ?

– Mon père, qui est commerçant, m’avait placé chez son correspondant, qui, de son côté, avait envoyé son fils chez mon père ; c’est l’habitude entre négociants de faire de pareils échanges. – Et Paris vous a-t-il plu, monsieur ?

– Oui, mais vous auriez grand besoin d’une révolution dans le genre de la nôtre ; non pas contre votre roi, qui n’est qu’un enfant, mais contre ce ladre d’italien qui est l’amant de votre reine.

– Ah ! je suis bien de votre avis, monsieur, et que ce serait bientôt fait, si nous avions seulement douze officiers comme vous, sans préjugés, vigilants, intraitables ! Ah ! nous viendrions bien vite à bout du Mazarin, et nous lui ferions un bon petit procès comme celui que vous allez faire à votre roi.

– Mais, dit l’officier, je croyais que vous étiez à son service, et que c’était lui qui vous avait envoyé au général Cromwell ?

– C’est-à-dire que je suis au service du roi, et que, sachant qu’il devait envoyer quelqu’un en Angleterre, j’ai sollicité cette mission, tant était grand mon désir de connaître l’homme de génie qui commande à cette heure aux trois royaumes. Aussi, quand il nous a proposé, à M. du Vallon et à moi, de tirer l’épée en l’honneur de la vieille Angleterre, vous avez vu comme nous avons mordu à la proposition.

– Oui, je sais que vous avez chargé aux côtés de M. Mordaunt.

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– À sa droite et à sa gauche, monsieur. Peste, encore un brave et excellent jeune homme que celui-là. Comme il vous a décousu monsieur son oncle ! avez-vous vu ?

– Le connaissez-vous ? demanda l’officier.

– Beaucoup ; je puis même dire que nous sommes fort liés : M. du Vallon et moi sommes venus avec lui de France.

– Il paraît même que vous l’avez fait attendre fort longtemps à Boulogne.

– Que voulez-vous, dit d’Artagnan, j’étais comme vous, j’avais un roi en garde.

– Ah ! ah ! dit Groslow, et quel roi ?

– Le nôtre, pardieu ! le petit king, Louis le quatorzième.

Et d’Artagnan ôta son chapeau. L’Anglais en fit autant par politesse.

– Et combien de temps l’avez-vous gardé ?

– Trois nuits, et, par ma foi, je me rappellerai toujours ces trois nuits avec plaisir.

– Le jeune roi est donc bien aimable ?

– Le roi ! il dormait les poings fermés.

– Mais alors, que voulez-vous dire ?

– Je veux dire que mes amis les officiers aux gardes et aux mousquetaires me venaient tenir compagnie, et que nous passions nos nuits à boire et à jouer.

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– Ah ! oui, dit l’Anglais avec un soupir, c’est vrai, vous êtes joyeux compagnons, vous autres Français.

– Ne jouez-vous donc pas aussi, quand vous êtes de garde ?

– Jamais, dit l’Anglais.

– En ce cas vous devez fort vous ennuyer et je vous plains, dit d’Artagnan.

– Le fait est, reprit l’officier, que je vois arriver mon tour avec une certaine terreur. C’est fort long, une nuit tout entière à veiller.

– Oui, quand on veille seul ou avec des soldats stupides ; mais quand on veille avec un joyeux partner, quand on fait rouler l’or et les dés sur une table, la nuit passe comme un rêve.