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Un immense éclat de rire accueillit ces paroles prononcées avec cette audace que les femmes puisent dans leur propre faiblesse, faiblesse qui les soustrait à toute vengeance.

– C’est une voix de femme, s’écria Aramis. Ah ! par ma foi, je donnerais beaucoup pour qu’elle fût jeune et jolie.

Et il monta sur le gradin pour tâcher de voir dans la tribune d’où la voix était partie.

– Sur mon âme, dit Aramis, elle est charmante ! regardez donc, d’Artagnan, tout le monde la regarde, et malgré le regard de Bradshaw, elle n’a point pâli.

– C’est lady Fairfax elle-même, dit d’Artagnan ; vous la rappelez-vous, Porthos ? nous l’avons vue avec son mari chez le général Cromwell.

Au bout d’un instant le calme troublé par cet étrange épi-sode se rétablit, et l’appel continua.

– Ces drôles vont lever la séance, quand ils s’apercevront qu’ils ne sont pas en nombre suffisant, dit le comte de La Fère.

– Vous ne les connaissez pas, Athos ; remarquez donc le sourire de Mordaunt, voyez comme il regarde le roi. Ce regard est-il celui d’un homme qui craint que sa victime lui échappe ?

Non, non, c’est le sourire de la haine satisfaite, de la vengeance sûre de s’assouvir. Ah ! basilic maudit, ce sera un heureux jour pour moi que celui où je croiserai avec toi autre chose que le regard !

– Le roi est véritablement beau, dit Porthos ; et puis voyez, tout prisonnier qu’il est, comme il est vêtu avec soin.

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La plume de son chapeau vaut au moins cinquante pistoles, regardez-la donc, Aramis.

L’appel achevé, le président donna ordre de passer à la lecture de l’acte d’accusation.

Athos, pâlit : il était trompé encore une fois dans son attente. Quoique les juges fussent en nombre insuffisant, le procès allait s’instruire, le roi était donc condamné d’avance.

– Je vous l’avais dit, Athos, fit d’Artagnan en haussant les épaules. Mais vous doutez toujours. Maintenant prenez votre courage à deux mains et écoutez, sans vous faire trop de mauvais sang, je vous prie, les petites horreurs que ce monsieur en noir va dire de son roi avec licence et privilège.

En effet, jamais plus brutale accusation, jamais injures plus basses, jamais plus sanglant réquisitoire n’avaient encore flétri la majesté royale. Jusque-là on s’était contenté d’assassiner les rois, mais ce n’était du moins qu’à leurs cadavres qu’on avait prodigué l’insulte.

Charles Ier écoutait le discours de l’accusateur avec une attention toute particulière, laissant passer les injures, retenant les griefs, et, quand la haine débordait par trop, quand l’accusateur se faisait bourreau par avance, il répondait par un sourire de mépris. C’était, après tout, une œuvre capitale et terrible que celle où ce malheureux roi retrouvait toutes ses imprudences changées en guet-apens, ses erreurs transformées en crimes.

D’Artagnan, qui laissait couler ce torrent d’injures avec tout le dédain qu’elles méritaient, arrêta cependant son esprit judicieux sur quelques-unes des inculpations de l’accusateur.

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– Le fait est, dit-il, que si l’on punit pour imprudence et lé-

gèreté, ce pauvre roi mérite punition ; mais il me semble que celle qu’il subit en ce moment est assez cruelle.

– En tout cas, répondit Aramis, la punition ne saurait atteindre le roi, mais ses ministres, puisque la première loi de la constitution est : Le roi ne peut faillir.

Pour moi, pensait Porthos en regardant Mordaunt et ne

s’occupant que de lui, si ce n’était troubler la majesté de la situation, je sauterais de la tribune en bas, je tomberais en trois bonds sur M. Mordaunt, que j’étranglerais ; je le prendrais par les pieds et j’en assommerais tous ces mauvais mousquetaires qui parodient les mousquetaires de France. Pendant ce temps-là, d’Artagnan, qui est plein d’esprit et d’à-propos, trouverait peut-être un moyen de sauver le roi. Il faudra que je lui en parle.

Quant à Athos, le feu au visage, les poings crispés, les lè-

vres ensanglantées par ses propres morsures, il écumait sur son banc, furieux de cette éternelle insulte parlementaire et de cette longue patience royale, et ce bras inflexible, ce cœur inébranlable s’étaient changés en une main tremblante et un corps frissonnant.

À ce moment l’accusateur terminait son office par ces

mots :

« La présente accusation est portée par nous au nom du peuple anglais. »

Il y eut à ces paroles un murmure dans les tribunes, et une autre voix, non pas une voix de femme, mais une voix d’homme, mâle et furieuse, tonna derrière d’Artagnan.

– Tu mens ! s’écria cette voix, et les neuf dixièmes du peuple anglais ont horreur de ce que tu dis !

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Cette voix était celle d’Athos, qui, hors de lui, debout, le bras étendu, interpellait ainsi l’accusateur public.

À cette apostrophe, roi, juges, spectateurs, tout le monde tourna les yeux vers la tribune où étaient les quatre amis. Mordaunt fit comme les autres et reconnut le gentilhomme autour duquel s’étaient levés les trois autres Français, pâles et mena-

çants. Ses yeux flamboyèrent de joie, il venait de retrouver ceux à la recherche et à la mort desquels il avait voué sa vie. Un mouvement furieux appela près de lui vingt de ses mousquetaires, et montrant du doigt la tribune où étaient ses ennemis :

– Feu sur cette tribune ! dit-il.

Mais alors, rapides comme la pensée, d’Artagnan saisissant Athos par le milieu du corps, Porthos emportant Aramis, sautè-

rent à bas des gradins, s’élancèrent dans les corridors, descendirent rapidement les escaliers et se perdirent dans la foule ; tandis qu’à l’intérieur de la salle les mousquets abaissés mena-

çaient trois mille spectateurs, dont les cris de miséricorde et les bruyantes terreurs arrêtèrent l’élan déjà donné au carnage.

Charles avait aussi reconnu les quatre Français ; il mit une main sur son cœur pour en comprimer les battements, l’autre sur ses yeux pour ne pas voir égorger ses fidèles amis.

Mordaunt, pâle et tremblant de rage, se précipita hors de la salle, l’épée nue à la main, avec dix hallebardiers, fouillant la foule, interrogeant, haletant, puis il revint sans avoir rien trouvé.

Le trouble était inexprimable. Plus d’une demi-heure se passa sans que personne pût se faire entendre. Les juges croyaient chaque tribune prête à tonner. Les tribunes voyaient

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les mousquets dirigés sur elles, et, partagées entre la crainte et la curiosité, demeuraient tumultueuses et agitées.

Enfin le calme se rétablit.

– Qu’avez-vous à dire pour votre défense ? demanda

Bradshaw au roi.

Alors, du ton d’un juge et non de celui d’un accusé, la tête toujours couverte, se levant, non point par humilité, mais par domination :

– Avant de m’interroger, dit Charles, répondez-moi. J’étais libre à Newcastle, j’y avais conclu un traité avec les deux chambres. Au lieu d’accomplir de votre part ce traité que

j’accomplissais de la mienne, vous m’avez acheté aux Écossais, pas cher, je le sais, et cela fait honneur à l’économie de votre gouvernement. Mais pour m’avoir payé le prix d’un esclave, es-pérez-vous que j’aie cessé d’être votre roi ? Non pas. Vous ré-

pondre serait l’oublier. Je ne vous répondrai donc que lorsque vous m’aurez justifié de vos droits à m’interroger. Vous répondre serait vous reconnaître pour mes juges, et je ne vous reconnais que pour mes bourreaux.