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– Oh ! Monseigneur, s’écria-t-il en saisissant les mains de Juxon, où est Dieu ? où est Dieu ?

– Mon fils, dit avec fermeté l’évêque, vous ne le voyez point, parce que les passions de la terre le cachent.

– Mon enfant, dit le roi à Aramis, ne te désole pas ainsi. Tu demandes ce que fait Dieu ? Dieu regarde ton dévouement et

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mon martyre, et, crois-moi, l’un et l’autre auront leur récompense ; prends-t’en donc de ce qui arrive aux hommes, et non à Dieu. Ce sont les hommes qui me font mourir, ce sont les hommes qui te font pleurer.

– Oui, sire, dit Aramis, oui, vous avez raison ; c’est aux hommes qu’il faut que je m’en prenne, et c’est à eux que je m’en prendrai.

– Asseyez-vous, Juxon, dit le roi en tombant à genoux, car il vous reste à m’entendre, et il me reste à me confesser. Restez, monsieur, dit-il à Aramis qui faisait un mouvement pour se retirer ; restez, Parry, je n’ai rien à dire, même dans le secret de la pénitence, qui ne puisse se dire en face de tous ; restez, et je n’ai qu’un regret, c’est que le monde entier ne puisse pas m’entendre comme vous et avec vous.

Juxon s’assit, et le roi, agenouillé devant lui comme le plus humble des fidèles, commença sa confession.

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LXXI. Remember

La confession royale achevée, Charles communia, puis il demanda à voir ses enfants. Dix heures sonnaient ; comme l’avait dit le roi, ce n’était donc pas un grand retard.

Cependant le peuple était déjà prêt ; il savait que dix heures étaient le moment fixé pour l’exécution, il s’entassait dans les rues adjacentes au palais, et le roi commençait à distinguer ce bruit lointain que font la foule et la mer, quand l’une est agitée par ses passions, l’autre par ses tempêtes.

Les enfants du roi arrivèrent : c’était d’abord la princesse Charlotte, puis le duc de Glocester, c’est-à-dire une petite fille blonde, belle et les yeux mouillés de larmes, puis un jeune gar-

çon de huit à neuf ans, dont l’œil sec et la lèvre dédaigneusement relevée accusaient la fierté naissante. L’enfant avait pleuré toute la nuit, mais devant tout ce monde il ne pleurait pas.

Charles sentit son cœur se fondre à l’aspect de ces deux enfants qu’il n’avait pas vus depuis deux ans, et qu’il ne revoyait qu’au moment de mourir. Une larme vint à ses yeux et il se retourna pour l’essuyer, car il voulait être fort devant ceux à qui il léguait un si lourd héritage de souffrance et de malheur.

Il parla à la jeune fille d’abord ; l’attirant à lui, il lui recommanda la piété, la résignation et l’amour filial ; puis, passant de l’un à l’autre, il prit le jeune duc de Glocester, et l’asseyant sur son genou pour qu’à la fois il pût le presser sur son cœur et baiser son visage :

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– Mon fils, lui dit-il, vous avez vu par les rues et dans les antichambres beaucoup de gens en venant ici ; ces gens vont couper la tête à votre père, ne l’oubliez jamais. Peut-être un jour, vous voyant près d’eux et vous ayant en leur pouvoir, voudront-ils vous faire roi à l’exclusion du prince de Galles ou du duc d’York, vos frères aînés qui sont, l’un en France, l’autre je ne sais où ; mais vous n’êtes pas le roi, mon fils, et vous ne pouvez le devenir que par leur mort. Jurez-moi donc de ne pas vous laisser mettre la couronne sur la tête, que vous n’ayez légitime-ment droit à cette couronne ; car un jour, écoutez bien, mon fils, si vous faisiez cela, tête et couronne, ils abattraient tout, et ce jour-là vous ne pourriez mourir calme et sans remords, comme je meurs. Jurez, mon fils.

L’enfant étendit sa petite main dans celle de son père, et dit :

– Sire, je jure à Votre Majesté…

Charles l’interrompit.

– Henri, dit-il, appelle-moi ton père.

– Mon père, reprit l’enfant, je vous jure qu’ils me tueront avant de me faire roi.

– Bien, mon fils, dit Charles. Maintenant embrassez-moi, et vous aussi, Charlotte, et ne m’oubliez point.

– Oh ! non, jamais ! jamais ! s’écrièrent les deux enfants en lançant leurs bras au cou du roi.

– Adieu, dit Charles ; adieu, mes enfants. Emmenez-les, Juxon ; leurs larmes m’ôteraient le courage de mourir.

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Juxon arracha les pauvres enfants des bras de leur père et les remit à ceux qui les avaient amenés.

Derrière eux les portes s’ouvrirent, et tout le monde put entrer.

Le roi, se voyant seul au milieu de la foule des gardes et des curieux qui commençaient à envahir la chambre, se rappela que le comte de La Fère était là bien près, sous le parquet de l’appartement, ne le pouvant voir et espérant peut-être toujours.

Il tremblait que le moindre bruit ne semblât un signal pour Athos, et que celui-ci, en se remettant au travail, ne se trahit lui-même. Il affecta donc l’immobilité et contint par son exemple tous les assistants dans le repos.

Le roi ne se trompait point, Athos était réellement sous ses pieds : il écoutait, il se désespérait de ne pas entendre le signal ; il commençait parfois, dans son impatience, à déchiqueter de nouveau la pierre ; mais, craignant d’être entendu, il s’arrêtait aussitôt.

Cette horrible inaction dura deux heures. Un silence de mort régnait dans la chambre royale.

Alors Athos se décida à chercher la cause de cette sombre et muette tranquillité que troublait seule l’immense rumeur de la foule. Il entr’ouvrit la tenture qui cachait le trou de la cre-vasse, et descendit sur le premier étage de l’échafaud. Au-dessus de sa tête, à quatre pouces à peine, était le plancher qui s’étendait au niveau de la plate-forme et qui faisait l’échafaud.

Ce bruit qu’il n’avait entendu que sourdement jusque-là et qui dès lors parvint à lui, sombre et menaçant, le fit bondir de terreur. Il alla jusqu’au bord de l’échafaud, entr’ouvrit le drap noir à la hauteur de son œil et vit les cavaliers acculés à la terri-

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ble machine ; au-delà des cavaliers, une rangée de pertuisaniers ; au-delà des pertuisaniers, des mousquetaires ; et au-delà des mousquetaires les premières files du peuple, qui, pareil à un sombre océan, bouillonnait et mugissait.

– Qu’est-il donc arrivé ? se demanda Athos plus tremblant que le drap dont il froissait les plis. Le peuple se presse, les soldats sont sous les armes, et parmi les spectateurs, qui tous ont les yeux fixés sur la fenêtre, j’aperçois d’Artagnan ! Qu’attend-il ? Que regarde-t-il ? Grand Dieu auraient-ils laissé échapper le bourreau !

Tout à coup le tambour roula sourd et funèbre sur la place ; un bruit de pas pesants et prolongés retentit au-dessus de sa tête. Il lui sembla que quelque chose de pareil à une procession immense foulait les parquets de White-Hall ; bientôt il entendit craquer les planches mêmes de l’échafaud. Il jeta un dernier regard sur la place, et l’attitude des spectateurs lui apprit ce qu’une dernière espérance restée au fond de son cœur

l’empêchait encore de deviner.

Le murmure de la place avait cessé entièrement. Tous les yeux étaient fixés sur la fenêtre de White-Hall, les bouches entr’ouvertes et les haleines suspendues indiquaient l’attente de quelque terrible spectacle.

Ce bruit de pas que, de la place qu’il occupait alors sous le parquet de l’appartement du roi, Athos avait entendu au-dessus de sa tête se reproduisit sur l’échafaud, qui plia sous le poids, de façon à ce que les planches touchèrent presque la tête du malheureux gentilhomme. C’était évidemment deux files de soldats qui prenaient leur place.