Выбрать главу

– Adieu, Majesté sainte et martyre, balbutia Athos glacé de terreur.

– 1004 –

Il se fit alors un instant de silence, pendant lequel il sembla à Athos que le roi se relevait et changeait de position.

Puis d’une voix pleine et sonore, de manière qu’on

l’entendît non seulement sur l’échafaud, mais encore sur la place :

Remember, dit le roi.

Il achevait à peine ce mot qu’un coup terrible ébranla le plancher de l’échafaud ; la poussière s’échappa du drap et aveu-gla le malheureux gentilhomme. Puis soudain, comme par un mouvement machinal il levait les yeux et la tête, une goutte chaude tomba sur son front. Athos recula avec un frisson d’épouvante, et au même instant, les gouttes se changèrent en une noire cascade, qui rejaillit sur le plancher.

Athos, tombé lui-même à genoux, demeura pendant quel-

ques instants comme frappé de folie et d’impuissance. Bientôt, à son murmure décroissant, il s’aperçut que la foule s’éloignait ; il demeura encore un instant immobile, muet et consterné. Alors se retournant, il alla tremper le bout de son mouchoir dans le sang du roi martyr ; puis, comme la foule s’éloignait de plus en plus, il descendit, fendit le drap, et se glissa entre deux chevaux, se mêla au peuple dont il portait le vêtement, et arriva le premier à la taverne.

Monté à sa chambre, il se regarda dans une glace, vit son front marqué d’une large tache rouge, porta la main à son front, la retira pleine du sang du roi et s’évanouit.

– 1005 –

LXXII. L’homme masqué

Quoiqu’il ne fût que quatre heures du soir, il faisait nuit close ; la neige tombait épaisse et glacée. Aramis rentra à son tour et trouva Athos, sinon sans connaissance, du moins anéan-ti.

Aux premiers mots de son ami, le comte sortit de l’espèce de léthargie où il était tombé.

– Eh bien ! dit Aramis, vaincus par la fatalité.

– Vaincus ! dit Athos. Noble et malheureux roi !

– Êtes-vous donc blessé ? demanda Aramis.

– Non, ce sang est le sien.

Le comte s’essuya le front.

– Où étiez-vous donc ?

– Où vous m’aviez laissé, sous l’échafaud.

– Et vous avez tout vu ?

– Non, mais tout entendu ; Dieu me garde d’une autre

heure pareille à celle que je viens de passer ! N’ai-je point les cheveux blancs ?

– Alors vous savez que je ne l’ai point quitté ?

– 1006 –

– J’ai entendu votre voix jusqu’au dernier moment.

– Voici la plaque qu’il m’a donnée, dit Aramis, voici la croix que j’ai retirée de sa main ; il désirait qu’elles fussent remises à la reine.

– Et voilà un mouchoir pour les envelopper, dit Athos.

Et il tira de sa poche le mouchoir qu’il avait trempé dans le sang du roi.

– Maintenant, demanda Athos, qu’a-t-on fait de ce pauvre cadavre ?

– Par ordre de Cromwell, les honneurs royaux lui seront rendus. Nous avons placé le corps dans un cercueil de plomb ; les médecins s’occupent d’embaumer ces malheureux restes, et, leur œuvre finie, le roi sera déposé dans une chapelle ardente.

– Dérision ! murmura sombrement Athos ; les honneurs

royaux à celui qu’ils ont assassiné !

– Cela prouve, dit Aramis, que le roi meurt, mais que la royauté ne meurt pas.

– Hélas ! dit Athos, c’est peut-être le dernier roi chevalier qu’aura eu le monde.

– Allons, ne vous désolez pas, comte, dit une grosse voix dans l’escalier, où retentissaient les larges pas de Porthos, nous sommes tous mortels, mes pauvres amis.

– Vous arrivez tard, mon cher Porthos, dit le comte de La Fère.

– 1007 –

– Oui, dit Porthos, il y avait des gens sur ma route qui m’ont retardé. Ils dansaient, les misérables ! J’en ai pris un par le cou et je crois l’avoir un peu étranglé. Juste en ce moment une patrouille est venue. Heureusement, celui à qui j’avais eu particulièrement affaire a été quelques minutes sans pouvoir parler. J’ai profité de cela pour me jeter dans une petite rue.

Cette petite rue m’a conduit dans une autre plus petite encore.

Alors je me suis perdu. Je ne connais pas Londres, je ne sais pas l’anglais, j’ai cru que je ne me retrouverais jamais ; enfin me voilà.

– Mais d’Artagnan, dit Aramis, ne l’avez-vous point vu et ne lui serait-il rien arrivé ?

– Nous avons été séparés par la foule, dit Porthos, et, quelques efforts que j’aie faits, je n’ai pas pu le rejoindre.

– Oh ! dit Athos avec amertume, je l’ai vu, moi ; il était au premier rang de la foule, admirablement placé pour ne rien perdre ; et comme, à tout prendre, le spectacle était curieux, il aura voulu voir jusqu’au bout.

– Oh ! comte de La Fère, dit une voix calme, quoique étouffée par la précipitation de la course, est-ce bien vous qui calom-niez les absents ?

Ce reproche atteignit Athos au cœur. Cependant, comme

l’impression que lui avait produite d’Artagnan aux premiers rangs de ce peuple stupide et féroce était profonde, il se contenta de répondre :

– Je ne vous calomnie pas, mon ami. On était inquiet de vous ici, et j’ai dit où vous étiez. Vous ne connaissiez pas le roi Charles, ce n’était qu’un étranger pour vous, et vous n’étiez pas forcé de l’aimer.

– 1008 –

Et en disant ces mots il tendit la main à son ami. Mais d’Artagnan fit semblant de ne point voir le geste d’Athos et garda sa main sous son manteau.

Athos laissa retomber lentement la sienne près de lui.

– Ouf ! je suis las, dit d’Artagnan, et il s’assit.

– Buvez un verre de porto, dit Aramis en prenant une bouteille sur une table et en remplissant un verre ; buvez, cela vous remettra.

– Oui, buvons, dit Athos, qui, sensible au mécontentement du Gascon, voulait choquer son verre contre le sien, buvons et quittons cet abominable pays. La felouque nous attend, vous le savez ; partons ce soir, nous n’avons plus rien à faire ici.

– Vous êtes bien pressé, monsieur le comte, dit d’Artagnan.

– Ce sol sanglant me brûle les pieds, dit Athos.

– La neige ne me fait pas cet effet, à moi, dit tranquillement le Gascon.

– Mais que voulez-vous donc que nous fassions, dit Athos, maintenant que le roi est mort ?

– Ainsi, monsieur le comte, dit d’Artagnan avec négligence, vous ne voyez point qu’il vous reste quelque chose à faire en Angleterre ?

– Rien, rien, dit Athos, qu’à douter de la bonté divine et à mépriser mes propres forces.

– Eh bien ! moi, dit d’Artagnan, moi chétif, moi badaud sanguinaire, qui suis allé me placer à trente pas de l’échafaud

– 1009 –

pour mieux voir tomber la tête de ce roi que je ne connaissais pas, et qui, à ce qu’il paraît, m’était indifférent, je pense autrement que monsieur le comte… je reste !

Athos pâlit extrêmement ; chaque reproche de son ami vibrait jusqu’au plus profond de son cœur.

– Ah ! vous restez à Londres ? dit Porthos à d’Artagnan.

– Oui, dit celui-ci. Et vous ?

– Dame ! dit Porthos un peu embarrassé vis-à-vis d’Athos et d’Aramis, dame ! si vous restez, comme je suis venu avec vous, je ne m’en irai qu’avec vous ; je ne vous laisserai pas seul dans cet abominable pays.