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Cet homme, c’était Cromwell.

Cromwell avait dans Londres, on le sait, deux ou trois de ces retraites inconnues même au commun de ses amis, et dont il ne livrait le secret qu’à ses plus intimes. Or, Mordaunt, on se le rappelle, pouvait être compté au nombre de ces derniers.

Lorsqu’il entra, Cromwell leva la tête.

– C’est vous, Mordaunt, lui dit-il, vous venez tard.

– Général, répondit Mordaunt, j’ai voulu voir la cérémonie jusqu’au bout, cela m’a retardé.

– Ah ! dit Cromwell, je ne vous croyais pas d’ordinaire aussi curieux que cela.

– Je suis toujours curieux de voir la chute d’un des ennemis de Votre Honneur, et celui-là n’était pas compté au nombre

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des plus petits. Mais vous, général, n’étiez-vous pas à White-Hall ?

– Non, dit Cromwell.

Il y eut un moment de silence.

– Avez-vous eu des détails ? demanda Mordaunt.

– Aucun. Je suis ici depuis le matin. Je sais seulement qu’il y avait un complot pour sauver le roi.

– Ah ! vous saviez cela ? dit Mordaunt.

– Peu importe. Quatre hommes déguisés en ouvriers de-

vaient tirer le roi de prison et le conduire à Greenwich, où une barque l’attendait.

– Et sachant tout cela, Votre Honneur se tenait ici, loin de la Cité, tranquille et inactif !

– Tranquille, oui, répondit Cromwell ; mais qui vous dit inactif ?

– Cependant, si le complot avait réussi ?

– Je l’eusse désiré.

– Je pensais que Votre Honneur regardait la mort de Charles Ier comme un malheur nécessaire au bien de l’Angleterre.

– Eh bien ! dit Cromwell, c’est toujours mon avis. Mais, pourvu qu’il mourût, c’était tout ce qu’il fallait ; mieux eût valu, peut-être, que ce ne fût point sur un échafaud.

– Pourquoi cela, Votre Honneur ?

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Cromwell sourit.

– Pardon, dit Mordaunt, mais vous savez, général, que je suis un apprenti politique, et je désire profiter en toutes circonstances des leçons que veut bien me donner mon maître.

– Parce qu’on eût dit que je l’avais fait condamner par justice, et que je l’avais laissé fuir par miséricorde.

– Mais s’il avait fui effectivement ?

– Impossible.

– Impossible ?

– Oui, mes précautions étaient prises.

– Et Votre Honneur connaît-il les quatre hommes qui

avaient entrepris de sauver le roi ?

– Ce sont ces quatre Français dont deux ont été envoyés par Madame Henriette à son mari, et deux par Mazarin à moi.

– Et croyez-vous, monsieur, que Mazarin les ait chargés de faire ce qu’ils ont fait ?

– C’est possible, mais il les désavouera.

– Vous croyez ?

– J’en suis sûr.

– Pourquoi cela ?

– Parce qu’ils ont échoué.

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– Votre Honneur m’avait donné deux de ces Français alors qu’ils n’étaient coupables que d’avoir porté les armes en faveur de Charles Ier. Maintenant qu’ils sont coupables de complot contre l’Angleterre, Votre Honneur veut-il me les donner tous les quatre ?

– Prenez-les, dit Cromwell.

Mordaunt s’inclina avec un sourire de triomphale férocité.

– Mais, dit Cromwell, voyant que Mordaunt s’apprêtait à le remercier, revenons, s’il vous plaît, à ce malheureux Charles. A-t-on crié parmi le peuple ?

– Fort peu, si ce n’est : « Vive Cromwell ! »

– Où étiez-vous placé ?

Mordaunt regarda un instant le général pour essayer de lire dans ses yeux s’il faisait une question inutile et s’il savait tout.

Mais le regard ardent de Mordaunt ne put pénétrer dans les sombres profondeurs du regard de Cromwell.

– J’étais placé de manière à tout voir et à tout entendre, répondit Mordaunt.

Ce fut au tour de Cromwell de regarder fixement Mordaunt et au tour de Mordaunt de se rendre impénétrable. Après quelques secondes d’examen, il détourna les yeux avec indifférence.

– Il paraît, dit Cromwell, que le bourreau improvisé a fort bien fait son devoir. Le coup, à ce qu’on m’a rapporté du moins, a été appliqué de main de maître.

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Mordaunt se rappela que Cromwell lui avait dit n’avoir aucun détail, et il fut dès lors convaincu que le général avait assisté à l’exécution, caché derrière quelque rideau ou quelque jalousie.

– En effet, dit Mordaunt d’une voix calme et avec un visage impassible, un seul coup a suffi.

– Peut-être, dit Cromwell, était-ce un homme du métier.

– Le croyez-vous, monsieur ?

– Pourquoi pas ?

– Cet homme n’avait pas l’air d’un bourreau.

– Et quel autre qu’un bourreau, demanda Cromwell, eût

voulu exercer cet affreux métier ?

– Mais, dit Mordaunt, peut-être quelque ennemi personnel du roi Charles, qui aura fait vœu de vengeance et qui aura accompli ce vœu, peut-être quelque gentilhomme qui avait de graves raisons de haïr le roi déchu, et qui, sachant qu’il allait fuir et lui échapper, s’est placé ainsi sur sa route, le front masqué et la hache à la main, non plus comme suppléant du bourreau, mais comme mandataire de la fatalité.

– C’est possible, dit Cromwell.

– Et si cela était ainsi, dit Mordaunt, Votre Honneur

condamnerait-il son action ?

– Ce n’est point à moi de juger, dit Cromwell. C’est une affaire entre lui et Dieu.

– Mais si Votre Honneur connaissait ce gentilhomme ?

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– Je ne le connais pas, monsieur, répondit Cromwell, et ne veux pas le connaître. Que m’importe à moi que ce soit celui-là ou un autre ? Du moment où Charles était condamné, ce n’est point un homme qui a tranché la tête, c’est une hache.

– Et cependant, sans cet homme, dit Mordaunt, le roi était sauvé.

Cromwell sourit.

– Sans doute, vous l’avez dit vous-même, on l’enlevait.

– On l’enlevait jusqu’à Greenwich. Là il s’embarquait sur une felouque avec ses quatre sauveurs. Mais sur la felouque étaient quatre hommes à moi, et cinq tonneaux de poudre à la nation. En mer, les quatre hommes descendaient dans la chaloupe, et vous êtes déjà trop habile politique, Mordaunt, pour que je vous explique le reste.

– Oui, en mer ils sautaient tous.

– Justement. L’explosion faisait ce que la hache n’avait pas voulu faire. Le roi Charles disparaissait anéanti. On disait qu’échappé à la justice humaine, il avait été poursuivi et atteint par la vengeance céleste ; nous n’étions plus que ses juges et c’était Dieu qui était son bourreau. Voilà ce que m’a fait perdre votre gentilhomme masqué, Mordaunt. Vous voyez donc bien que j’avais raison quand je ne voulais pas le connaître ; car, en vérité, malgré ses excellentes intentions, je ne saurais lui être reconnaissant de ce qu’il a fait.

– Monsieur, dit Mordaunt, comme toujours je m’incline et m’humilie devant vous ; vous êtes un profond penseur, et, continua-t-il, votre idée de la felouque minée est sublime.