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– Absurde, dit Cromwell, puisqu’elle est devenue inutile. Il n’y a d’idée sublime en politique que celle qui porte ses fruits ; toute idée qui avorte est folle et aride. Vous irez donc ce soir à Greenwich, Mordaunt, dit Cromwell en se levant ; vous demanderez le patron de la felouque l’Éclair, vous lui montrerez un mouchoir blanc noué par les quatre bouts, c’était le signe convenu ; vous direz aux gens de reprendre terre, et vous ferez reporter la poudre à l’arsenal, à moins que…
– À moins que… répondit Mordaunt, dont le visage s’était illuminé d’une joie sauvage pendant que Cromwell parlait.
– À moins que cette felouque telle qu’elle est ne puisse servir à vos projets personnels.
– Ah ! milord, milord ! s’écria Mordaunt, Dieu, en vous faisant son élu, vous a donné son regard, auquel rien ne peut échapper.
– Je crois que vous m’appelez milord ! dit Cromwell en riant. C’est bien, parce que nous sommes entre nous, mais il faudrait faire attention qu’une pareille parole ne vous échappât devant nos imbéciles de puritains.
– N’est-ce pas ainsi que Votre Honneur sera appelé bien-tôt ?
– Je l’espère du moins, dit Cromwell, mais il n’est pas encore temps.
Cromwell se leva et prit son manteau.
– Vous vous retirez, monsieur, demanda Mordaunt.
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– Oui, dit Cromwell, j’ai couché ici hier et avant-hier, et vous savez que ce n’est pas mon habitude de coucher trois fois dans le même lit.
– Ainsi, dit Mordaunt, Votre Honneur me donne toute liberté pour la nuit ?
– Et même pour la journée de demain si besoin est, dit Cromwell. Depuis hier soir, ajouta-t-il en souriant, vous avez assez fait pour mon service, et si vous avez quelques affaires personnelles à régler, il est juste que je vous laisse votre temps.
– Merci, monsieur ; il sera bien employé, je l’espère.
Cromwell fit à Mordaunt un signe de la tête ; puis, se retournant :
– Êtes-vous armé ? demanda-t-il.
– J’ai mon épée, dit Mordaunt.
– Et personne qui vous attende à la porte ?
– Personne.
– Alors vous devriez venir avec moi, Mordaunt.
– Merci, monsieur ; les détours que vous êtes obligé de faire en passant par le souterrain me prendraient du temps, et, d’après ce que vous venez de me dire, je n’en ai peut-être que trop perdu. Je sortirai par l’autre porte.
– Allez donc, dit Cromwell.
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Et posant la main sur un bouton caché, il fit ouvrir une porte si bien perdue dans la tapisserie qu’il était impossible à l’œil le plus exercé de la reconnaître.
Cette porte, mue par un ressort d’acier, se referma sur lui.
C’était une de ces issues secrètes comme l’histoire nous dit qu’il en existait dans toutes les mystérieuses maisons qu’habitait Cromwell.
Celle-là passait sous la rue déserte et allait s’ouvrir au fond d’une grotte, dans le jardin d’une autre maison située à cent pas de celle que le futur protecteur venait de quitter.
C’était pendant cette dernière partie de la scène, que, par l’ouverture que laissait un pan du rideau mal tiré, Grimaud avait aperçu les deux hommes et avait successivement reconnu Cromwell et Mordaunt.
On a vu l’effet qu’avait produit la nouvelle sur les quatre amis.
D’Artagnan fut le premier qui reprit la plénitude de ses facultés.
– Mordaunt, dit-il ; ah ! par le ciel ! c’est Dieu lui-même qui nous l’envoie.
– Oui, dit Porthos, enfonçons la porte et tombons sur lui.
– Au contraire, dit d’Artagnan, n’enfonçons rien, pas de bruit, le bruit appelle du monde ; car, s’il est, comme le dit Grimaud, avec son digne maître, il doit y avoir, caché à une cinquantaine de pas d’ici, quelque poste des côtes de fer. Holà !
Grimaud, venez ici, et tâchez de vous tenir sur vos jambes.
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Grimaud s’approcha. La fureur lui était revenue avec le sentiment, mais il était ferme.
– Bien, continua d’Artagnan. Maintenant montez de nou-
veau à ce balcon, et dites-nous si le Mordaunt est encore en compagnie, s’il s’apprête à sortir ou à se coucher ; s’il est en compagnie, nous attendrons qu’il soit seul ; s’il sort, nous le prendrons à la sortie ; s’il reste, nous enfoncerons la fenêtre.
C’est toujours moins bruyant et moins difficile qu’une porte.
Grimaud commença à escalader silencieusement la fenêtre.
– Gardez l’autre issue, Athos et Aramis ; nous restons ici avec Porthos.
Les deux amis obéirent.
– Eh bien ! Grimaud ! demanda d’Artagnan.
– Il est seul, dit Grimaud.
– Tu en es sûr ?
– Oui.
– Nous n’avons pas vu sortir son compagnon.
– Peut-être est-il sorti par l’autre porte.
– Que fait-il ?
– Il s’enveloppe de son manteau et met ses gants.
– À nous ! murmura d’Artagnan.
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Porthos mit la main à son poignard, qu’il tira machinalement du fourreau.
– Rengaine, ami Porthos, dit d’Artagnan, il ne s’agit point ici de frapper d’abord. Nous le tenons, procédons avec ordre.
Nous avons quelques explications mutuelles à nous demander, et ceci est un pendant de la scène d’Armentières ; seulement, espérons que celui-ci n’aura point de progéniture, et que, si nous l’écrasons, tout sera bien écrasé avec lui.
– Chut ! dit Grimaud ; le voilà qui s’apprête à sortir. Il s’approche de la lampe. Il la souffle. Je ne vois plus rien.
– À terre, alors, à terre !
Grimaud sauta en arrière et tomba sur ses pieds. La neige assourdissait le bruit. On n’entendit rien.
– Va prévenir Athos et Aramis qu’ils se placent de chaque côté de la porte, comme nous allons faire Porthos et moi ; qu’ils frappent dans leurs mains s’ils le tiennent, nous frapperons dans les nôtres si nous le tenons.
Grimaud disparut.
– Porthos, Porthos, dit d’Artagnan, effacez mieux vos larges épaules, cher ami ; il faut qu’il sorte sans rien voir.
– Pourvu qu’il sorte par ici !
– Chut ! dit d’Artagnan.
Porthos se colla contre le mur à croire qu’il y voulait rentrer. D’Artagnan en fit autant.
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On entendit alors retentir le pas de Mordaunt dans
l’escalier sonore. Un guichet inaperçu glissa en grinçant dans son coulisseau. Mordaunt regarda, et, grâce aux précautions prises par les deux amis, il ne vit rien. Alors il introduisit la clef dans la serrure ; la porte s’ouvrit et il parut sur le seuil.
Au même instant, il se trouva face à face avec d’Artagnan.
Il voulut repousser la porte. Porthos s’élança sur le bouton et la rouvrit toute grande.
Porthos frappa trois fois dans ses mains. Athos et Aramis accoururent.
Mordaunt devint livide, mais il ne poussa point un cri, mais n’appela point au secours.
D’Artagnan marcha droit sur Mordaunt, et, le repoussant pour ainsi dire avec sa poitrine, lui fit remonter à reculons tout l’escalier, éclairé par une lampe qui permettait au Gascon de ne pas perdre de vue les mains de Mordaunt ; mais Mordaunt comprit que, d’Artagnan tué, il lui resterait encore à se défaire de ses trois autres ennemis. Il ne fit donc pas un seul mouvement de défense, pas un seul geste de menace. Arrivé à la porte, Mordaunt se sentit acculé contre elle, et sans doute il crut que c’était là que tout allait finir pour lui ; mais il se trompait, d’Artagnan étendit la main et ouvrit la porte. Mordaunt et lui se trouvèrent donc dans la chambre où dix minutes auparavant le jeune homme causait avec Cromwell.