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Porthos entra derrière lui ; il avait étendu le bras et décroché la lampe du plafond ; à l’aide de cette première lampe il alluma la seconde.

Athos et Aramis parurent à la porte, qu’ils refermèrent à clef.

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– Prenez donc la peine de vous asseoir, dit d’Artagnan en présentant un siège au jeune homme.

Celui-ci prit la chaise des mains de d’Artagnan et s’assit, pâle mais calme. À trois pas de lui, Aramis approcha trois sièges pour lui, d’Artagnan et Porthos.

Athos alla s’asseoir dans un coin, à l’angle le plus éloigné de la chambre, paraissant résolu de rester spectateur immobile de ce qui allait se passer.

Porthos s’assit à la gauche et Aramis à la droite de

d’Artagnan.

Athos paraissait accablé. Porthos se frottait les paumes des mains avec une impatience fiévreuse.

Aramis se mordait, tout en souriant, les lèvres jusqu’au sang.

D’Artagnan seul se modérait, du moins en apparence.

– Monsieur Mordaunt, dit-il au jeune homme, puisque,

après tant de jours perdus à courir les uns après les autres, le hasard nous rassemble enfin, causons un peu, s’il vous plaît.

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LXXIV. Conversation

Mordaunt avait été surpris si inopinément, il avait monté les degrés sous l’impression d’un sentiment si confus encore, que sa réflexion n’avait pu être complète ; ce qu’il y avait de réel, c’est que son premier sentiment avait été tout entier à l’émotion, à la surprise et à l’invincible terreur qui saisit tout homme dont un ennemi mortel et supérieur en force étreint le bras au moment même où il croit cet ennemi dans un autre lieu et occupé d’autres soins.

Mais une fois assis, mais du moment qu’il s’aperçut qu’un sursis lui était accordé, n’importe dans quelle intention, il concentra toutes ses idées et rappela toutes ses forces.

Le feu du regard de d’Artagnan, au lieu de l’intimider, l’électrisa pour ainsi dire, car ce regard, tout brûlant de menace qu’il se répandît sur lui, était franc dans sa haine et dans sa co-lère. Mordaunt, prêt à saisir toute occasion qui lui serait offerte de se tirer d’affaire, soit par la force, soit par la ruse, se ramassa donc sur lui-même, comme fait l’ours acculé dans sa tanière, et qui suit d’un œil en apparence immobile tous les gestes du chasseur qui l’a traqué.

Cependant cet œil, par un mouvement rapide, se porta sur l’épée longue et forte qui battait sur sa hanche ; il posa sans affectation sa main gauche sur la poignée, la ramena à la portée de la main droite et s’assit, comme l’en priait d’Artagnan.

Ce dernier attendait sans doute quelque parole agressive pour entamer une de ces conversations railleuses ou terribles comme il les soutenait si bien. Aramis se disait tout bas : « Nous

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allons entendre des banalités. » Porthos mordait sa moustache en murmurant : « Voilà bien des façons, mordieu ! pour écraser ce serpenteau ! » Athos s’effaçait dans l’angle de la chambre, immobile et pâle comme un bas-relief de marbre, et sentant malgré son immobilité son front se mouiller de sueur.

Mordaunt ne disait rien ; seulement lorsqu’il se fut bien assuré que son épée était toujours à sa disposition, il croisa imper-turbablement les jambes et attendit.

Ce silence ne pouvait se prolonger plus longtemps sans devenir ridicule ; d’Artagnan le comprit ; et comme il avait invité Mordaunt à s’asseoir pour causer, il pensa que c’était à lui de commencer la conversation.

– Il me paraît, monsieur, dit-il avec sa mortelle politesse, que vous changez de costume presque aussi rapidement que je l’ai vu faire aux mimes italiens que M. le cardinal Mazarin fit venir de Bergame, et qu’il vous a sans doute mené voir pendant votre voyage en France.

Mordaunt ne répondit rien.

– Tout à l’heure, continua d’Artagnan, vous étiez déguisé, je veux dire habillé en assassin, et maintenant…

– Et maintenant, au contraire, j’ai tout l’air d’être dans l’habit d’un homme qu’on va assassiner, n’est-ce pas ? répondit Mordaunt de sa voix calme et brève.

– Oh ! monsieur, répondit d’Artagnan, comment pouvez-

vous dire de ces choses-là, quand vous êtes en compagnie de gentilshommes et que vous avez une si bonne épée au côté !

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– Il n’y a pas si bonne épée monsieur, qui vaille quatre épées et quatre poignards ; sans compter les épées et les poignards de vos acolytes qui vous attendent à la porte.

– Pardon, monsieur, reprit d’Artagnan, vous faites erreur, ceux qui nous attendent à la porte ne sont point nos acolytes, mais nos laquais. Je tiens à rétablir les choses dans leur plus scrupuleuse vérité.

Mordaunt ne répondit que par un sourire qui crispa ironiquement ses lèvres.

– Mais ce n’est point de cela qu’il s’agit, reprit d’Artagnan, et j’en reviens à ma question. Je me faisais donc l’honneur de vous demander, monsieur, pourquoi vous aviez changé

d’extérieur. Le masque vous était assez commode, ce me semble ; la barbe grise vous seyait à merveille, et quant à cette hache dont vous avez fourni un si illustre coup, je crois qu’elle ne vous irait pas mal non plus dans ce moment. Pourquoi donc vous en êtes-vous dessaisi ?

– Parce qu’en me rappelant la scène d’Armentières, j’ai pensé que je trouverais quatre haches pour une, puisque j’allais me trouver entre quatre bourreaux.

– Monsieur, répondit d’Artagnan avec le plus grand calme, bien qu’un léger mouvement de ses sourcils annonçât qu’il commençait à s’échauffer, monsieur, quoique profondément vicieux et corrompu, vous êtes excessivement jeune, ce qui fait que je ne m’arrêterai pas à vos discours frivoles. Oui frivoles, car ce que vous venez de dire à propos d’Armentières n’a pas le moindre rapport avec la situation présente. En effet, nous ne pouvions pas offrir une épée à madame votre mère et la prier de s’escrimer contre nous ; mais à vous, monsieur, à un jeune cavalier qui joue du poignard et du pistolet comme nous vous avons

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vu faire, et qui porte une épée de la taille de celle-ci, il n’y a personne qui n’ait le droit de demander la faveur d’une rencontre.

– Ah ! ah ! dit Mordaunt, c’est donc un duel que vous voulez ?

Et il se leva, l’œil étincelant, comme s’il était disposé à ré-

pondre à l’instant même à la provocation.

Porthos se leva aussi, prêt comme toujours à ces sortes d’aventures.

– Pardon, pardon, dit d’Artagnan avec le même sang-froid ; ne nous pressons pas, car chacun de nous doit désirer que les choses se passent dans toutes les règles. Rasseyez-vous donc, cher Porthos, et vous, monsieur Mordaunt, veuillez demeurer tranquille. Nous allons régler au mieux cette affaire, et je vais être franc avec vous. Avouez, monsieur Mordaunt, que vous avez bien envie de nous tuer les uns ou les autres ?

– Les uns et les autres, répondit Mordaunt.

D’Artagnan se retourna vers Aramis et lui dit :

– C’est un bien grand bonheur, convenez-en, cher Aramis, que M. Mordaunt connaisse si bien les finesses de la langue française ; au moins il n’y aura pas de malentendu entre nous, et nous allons tout régler merveilleusement.