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D’Artagnan transmit à Porthos et à Aramis l’invitation de le suivre, et ceux-ci firent signe à leurs gens de mettre pied à terre et de détacher leurs porte-manteaux.

Parry se sépara, non sans regret, de ses amis ; on lui avait proposé de venir en France, mais il avait opiniâtrement refusé.

– C’est tout simple, avait dit Mousqueton, il a son idée à l’endroit de Groslow.

On se rappelle que c’était le capitaine Groslow qui lui avait cassé la tête.

La petite troupe rejoignit Athos. Mais déjà d’Artagnan avait repris sa méfiance naturelle ; il trouvait le quai trop désert, la nuit trop noire, le patron trop facile.

Il avait raconté à Aramis l’incident que nous avons dit, et Aramis, non moins défiant que lui, n’avait pas peu contribué à augmenter ses soupçons.

Un petit claquement de la langue contre ses dents traduisit à Athos les inquiétudes du Gascon.

– Nous n’avons pas le temps d’être défiants, dit Athos, la barque nous attend, entrons.

– D’ailleurs, dit, Aramis, qui nous empêche d’être défiants et d’entrer tout de même ? on surveillera le patron.

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– Et s’il ne marche pas droit, je l’assommerai. Voilà tout.

– Bien dit, Porthos, reprit d’Artagnan. Entrons donc.

Passe, Mousqueton.

Et d’Artagnan arrêta ses amis, faisant passer les valets les premiers afin qu’ils essayassent la planche qui conduisait de la jetée à la barque.

Les trois valets passèrent sans accident.

Athos les suivit, puis Porthos, puis Aramis. D’Artagnan passa le dernier, tout en continuant de secouer la tête.

– Que diable avez-vous donc, mon ami ? dit Porthos ; sur ma parole, vous feriez peur à César.

– J’ai, répondit d’Artagnan, que je ne vois sur ce port ni inspecteur, ni sentinelle, ni gabelou.

– Plaignez-vous donc ! dit Porthos, tout va comme sur une pente fleurie.

– Tout va trop bien, Porthos. Enfin, n’importe, à la grâce de Dieu.

Aussitôt que la planche fut retirée, le patron s’assit au gouvernail et fit signe à l’un de ses matelots, qui, armé d’une gaffe, commença à manœuvrer pour sortir du dédale de bâtiments au milieu duquel la petite barque était engagée.

L’autre matelot se tenait déjà à bâbord, son aviron à la main.

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Lorsqu’on put se servir des rames, son compagnon vint le rejoindre, et la barque commença de filer plus rapidement.

– Enfin, nous partons ! dit Porthos.

– Hélas ! répondit le comte de La Fère, nous partons seuls !

– Oui ; mais nous partons tous quatre ensemble, et sans une égratignure ; c’est une consolation.

– Nous ne sommes pas encore arrivés, dit d’Artagnan ; gare les rencontres !

– Eh ! mon cher, dit Porthos, vous êtes comme les cor-

beaux, vous ! vous chantez toujours malheur. Qui peut nous rencontrer par cette nuit sombre, où l’on ne voit pas à vingt pas de distance ?

– Oui, mais demain matin ? dit d’Artagnan.

– Demain matin nous serons à Boulogne.

– Je le souhaite de tout mon cœur, dit le Gascon, et j’avoue ma faiblesse. Tenez, Athos, vous allez rire ! mais tant que nous avons été à portée de fusil de la jetée ou des bâtiments qui la bordaient, je me suis attendu à quelque effroyable mousquetade qui nous écrasait tous.

– Mais, dit Porthos avec un gros bon sens, c’était chose impossible, car on eût tué en même temps le patron et les matelots.

– Bah ! voilà une belle affaire pour M. Mordaunt croyez-vous qu’il y regarde de si près ?

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– Enfin, dit Porthos, je suis bien aise que d’Artagnan avoue qu’il ait eu peur.

– Non seulement je l’avoue, mais je m’en vante. Je ne suis pas un rhinocéros comme vous. Ohé ! qu’est-ce que cela ?

L’Éclair, dit le patron.

– Nous sommes donc arrivés ? demanda Athos en anglais.

– Nous arrivons, dit le capitaine.

En effet, après trois coups de rame, on se trouvait côte à côte avec le petit bâtiment.

Le matelot attendait, l’échelle était préparée ; il avait reconnu la barque.

Athos monta le premier avec une habileté toute marine ; Aramis, avec l’habitude qu’il avait depuis longtemps des échelles de corde et des autres moyens plus ou moins ingénieux qui existent pour traverser les espaces défendus ; d’Artagnan comme un chasseur d’isard et de chamois ; Porthos, avec ce dé-

veloppement de force qui chez lui suppléait à tout.

Chez les valets l’opération fut plus difficile ; non pas pour Grimaud, espèce de chat de gouttière, maigre et effilé, qui trouvait toujours moyen de se hisser partout, mais pour Mousqueton et pour Blaisois, que les matelots furent obligés de soulever dans leurs bras à la portée de la main de Porthos, qui les empoi-gna par le collet de leur justaucorps et les déposa tout debout sur le pont du bâtiment.

Le capitaine conduisit ses passagers à l’appartement qui leur était préparé, et qui se composait d’une seule pièce qu’ils

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devaient habiter en communauté ; puis il essaya de s’éloigner sous le prétexte de donner quelques ordres.

– Un instant, dit d’Artagnan ; combien d’hommes avez-

vous à bord, patron ?

– Je ne comprends pas, répondit celui-ci en anglais.

– Demandez-lui cela dans sa langue, Athos.

Athos fit la question que désirait d’Artagnan.

– Trois, répondit Groslow, sans me compter, bien entendu.

D’Artagnan comprit, car en répondant le patron avait levé trois doigts.

– Oh ! dit d’Artagnan, trois, je commence à me rassurer.

N’importe, pendant que vous vous installerez, moi, je vais faire un tour dans le bâtiment.

– Et moi, dit Porthos, je vais m’occuper du souper.

– Ce projet est beau et généreux, Porthos, mettez-le à exé-

cution. Vous, Athos, prêtez-moi Grimaud, qui, dans la compagnie de son ami Parry, a appris à baragouiner un peu d’anglais ; il me servira d’interprète.

– Allez, Grimaud, dit Athos.

Une lanterne était sur le pont, d’Artagnan la souleva d’une main, prit un pistolet de l’autre et dit au patron :

Come.

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C’était, avec Goddam, tout ce qu’il avait pu retenir de la langue anglaise.

D’Artagnan gagna l’écoutille et descendit dans l’entrepont.

L’entrepont était divisé en trois compartiments : celui dans lequel d’Artagnan descendait et qui pouvait s’étendre du troisième mâtereau à l’extrémité de la poupe, et qui par conséquent était recouvert par le plancher de la chambre dans laquelle Athos, Porthos et Aramis se préparaient à passer la nuit ; le second, qui occupait le milieu du bâtiment, et qui était destiné au logement des domestiques ; le troisième qui s’allongeait sous la proue, c’est-à-dire sous la cabine improvisée par le capitaine et dans laquelle Mordaunt se trouvait caché.

– Oh ! oh ! dit d’Artagnan, descendant l’escalier de

l’écoutille et se faisant précéder de sa lanterne, qu’il tenait étendue de toute la longueur du bras, que de tonneaux ! on dirait la caverne d’Ali-Baba.