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Les Mille et Une Nuits venaient d’être traduites pour la première fois et étaient fort à la mode à cette époque.

– Que dites-vous ? demanda en anglais le capitaine.

D’Artagnan comprit à l’intonation de la voix.

– Je désire savoir ce qu’il y a dans ces tonneaux ? demanda d’Artagnan en posant sa lanterne sur l’une des futailles.

Le patron fit un mouvement pour remonter l’échelle, mais il se contint.

– Porto, répondit-il.

– 1065 –

– Ah ! du vin de Porto ? dit d’Artagnan, c’est toujours une tranquillité, nous ne mourrons pas de soif.

Puis se retournant vers Groslow, qui essuyait sur son front de grosses gouttes de sueur :

– Et elles sont pleines ? demanda-t-il.

Grimaud traduisit la question.

Les unes pleines, les autres vides, dit Groslow d’une voix dans laquelle, malgré ses efforts, se trahissait son inquiétude.

D’Artagnan frappa du doigt sur les tonneaux, reconnut

cinq tonneaux pleins et les autres vides ; puis il introduisit, toujours à la grande terreur de l’Anglais, sa lanterne dans les intervalles des barriques, et reconnaissant que ces intervalles étaient inoccupés :

– Allons, passons, dit-il, et il s’avança vers la porte qui donnait dans le second compartiment.

– Attendez, dit l’Anglais, qui était resté derrière, toujours en proie à cette émotion que nous avons indiquée ; attendez, c’est moi qui ai la clef de cette porte.

Et, passant rapidement devant d’Artagnan et Grimaud, il introduisit d’une main tremblante la clef dans la serrure et l’on se trouva dans le second compartiment, où Mousqueton et Blaisois s’apprêtaient à souper.

Dans celui-là ne se trouvait évidemment rien à chercher ni à reprendre : on en voyait tous les coins et tous les recoins à la lueur de la lampe qui éclairait ces dignes compagnons.

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On passa donc rapidement et l’on visita le troisième compartiment.

Celui-là était la chambre des matelots.

Trois ou quatre hamacs pendus au plafond, une table soutenue par une double corde passée à chacune de ses extrémités, deux bancs vermoulus et boiteux en formaient tout

l’ameublement. D’Artagnan alla soulever deux ou trois vieilles voiles pendantes contre les parois, et, ne voyant encore rien de suspect, regagna par l’écoutille le pont du bâtiment.

– Et cette chambre ? demanda d’Artagnan.

Grimaud traduisit à l’Anglais les paroles du mousquetaire.

– Cette chambre est la mienne, dit le patron ; y voulez-vous entrer ?

– Ouvrez la porte, dit d’Artagnan.

L’Anglais obéit : d’Artagnan allongea son bras armé de la lanterne, passa la tête par la porte entrebâillée, et voyant que cette chambre était un véritable réduit :

– Bon, dit-il, s’il y a une armée à bord, ce n’est point ici qu’elle sera cachée. Allons voir si Porthos a trouvé de quoi souper.

En remerciant le patron d’un signe de tête, il regagna la chambre d’honneur, où étaient ses amis.

Porthos n’avait rien trouvé, à ce qu’il paraît, ou, s’il avait trouvé quelque chose, la fatigue l’avait emporté sur la faim, et, couché dans son manteau, il dormait profondément lorsque d’Artagnan rentra.

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Athos et Aramis, bercés par les mouvements moelleux des premières vagues de la mer, commençaient de leur côté à fermer les yeux ; ils les rouvrirent au bruit que fit leur compagnon.

– Eh bien ? fit Aramis.

– Tout va bien, dit d’Artagnan, et nous pouvons dormir tranquilles.

Sur cette assurance, Aramis laissa retomber sa tête ; Athos fit de la sienne un signe affectueux ; et d’Artagnan, qui, comme Porthos, avait encore plus besoin de dormir que de manger, congédia Grimaud, et se coucha dans son manteau l’épée nue, de telle façon que son corps barrait le passage et qu’il était impossible d’entrer dans la chambre sans le heurter.

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LXXVI. Le vin de Porto

Au bout de dix minutes, les maîtres dormaient, mais il n’en était pas ainsi des valets, affamés et surtout altérés.

Blaisois et Mousqueton s’apprêtaient à préparer leur lit, qui consistait en une planche et une valise, tandis que sur une table suspendue comme celle de la chambre voisine se balan-

çaient, au roulis de la mer, un pot de bière et trois verres.

– Maudit roulis ! disait Blaisois. Je sens que cela va me reprendre comme en venant.

– Et n’avoir pour combattre le mal de mer, répondit Mousqueton, que du pain d’orge et du vin de houblon ! pouah !

– Mais votre bouteille d’osier, monsieur Mousqueton, demanda Blaisois, qui venait d’achever la préparation de sa couche et qui s’approchait en trébuchant de la table devant laquelle Mousqueton était déjà assis et où il parvint à s’asseoir ; mais votre bouteille d’osier, l’avez-vous perdue ?

– Non pas, dit Mousqueton, mais Parry l’a gardée. Ces diables d’Écossais ont toujours soif. Et vous, Grimaud, demanda Mousqueton à son compagnon, qui venait de rentrer après avoir accompagné d’Artagnan dans sa tournée, avez-vous soif ?

– Comme un Écossais, répondit laconiquement Grimaud.

Et il s’assit près de Blaisois et de Mousqueton, tira un car-net de sa poche et se mit à faire les comptes de la société, dont il était l’économe.

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– Oh ! là, là ! dit Blaisois, voilà mon cœur qui s’embrouille !

– S’il en est ainsi, dit Mousqueton d’un ton doctoral, prenez un peu de nourriture.

– Vous appelez cela de la nourriture ? dit Blaisois en accompagnant d’une mine piteuse le doigt dédaigneux dont il montrait le pain d’orge et le pot de bière.

– Blaisois, reprit Mousqueton, souvenez-vous que le pain est la vraie nourriture du Français ; encore le Français n’en a-t-il pas toujours, demandez à Grimaud.

– Oui, mais la bière, reprit Blaisois avec une promptitude qui faisait honneur à la vivacité de son esprit de repartie, mais la bière, est-ce là sa vraie boisson ?

– Pour ceci, dit Mousqueton, pris par le dilemme et assez embarrassé d’y répondre, je dois avouer que non, et que la bière lui est aussi antipathique que le vin l’est aux Anglais.

– Comment, monsieur Mouston, dit Blaisois, qui cette fois doutait des profondes connaissances de Mousqueton, pour lesquelles, dans les circonstances ordinaires de la vie, il avait cependant l’admiration la plus entière ; comment : monsieur Mouston, les Anglais n’aiment pas le vin ?

– Ils le détestent.

– Mais je leur en ai vu boire, cependant.

– Par pénitence ; et la preuve, continua Mousqueton en se rengorgeant, c’est qu’un prince anglais est mort un jour parce qu’on l’avait mis dans un tonneau de malvoisie. J’ai entendu raconter le fait à M. l’abbé d’Herblay.

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– L’imbécile ! dit Blaisois, je voudrais bien être à sa place !

– Tu le peux, dit Grimaud tout en alignant ses chiffres.

– Comment cela, dit Blaisois, je le peux ?

– Oui, continua Grimaud tout en retenant quatre et en re-portant ce nombre à la colonne suivante.

– Je le peux ? expliquez-vous, monsieur Grimaud.

Mousqueton gardait le silence pendant les interrogations de Blaisois, mais il était facile de voir à l’expression de son visage que ce n’était point par indifférence.

Grimaud continua son calcul et posa son total.