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– Non.

– 1141 –

– Ils ont ricané quand nous avons juré que nous avions fait notre devoir en Angleterre. Or, ils l’ont cru ou ne l’ont pas cru ; s’ils l’ont cru, c’était pour nous insulter qu’ils ricanaient ; s’ils ne l’ont pas cru, ils nous insultaient encore, et il est urgent de leur prouver que nous sommes bons à quelque chose. Au reste, je ne suis pas fâché qu’ils aient remis la chose à demain, je crois que nous avons ce soir quelque chose de mieux à faire que de tirer l’épée.

– Qu’avons-nous à faire ?

– Eh pardieu ! nous avons à faire prendre le Mazarin.

Athos allongea dédaigneusement les lèvres.

– Ces expéditions ne me vont pas, vous le savez, Aramis.

– Pourquoi cela ?

– Parce qu’elles ressemblent à des surprises.

– En vérité, Athos, vous seriez un singulier général

d’armée ; vous ne vous battriez qu’au grand jour ; vous feriez prévenir votre adversaire de l’heure à laquelle vous

l’attaqueriez, et vous vous garderiez bien de rien tenter la nuit contre lui, de peur qu’il ne vous accusât d’avoir profité de l’obscurité.

Athos sourit.

– Vous savez qu’on ne peut pas changer sa nature, dit-il ; d’ailleurs, savez-vous où nous en sommes, et si l’arrestation du Mazarin ne serait pas plutôt un mal qu’un bien, un embarras qu’un triomphe ?

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– Dites, Athos, que vous désapprouvez ma proposition.

– Non pas, je crois au contraire qu’elle est de bonne

guerre ; cependant…

– Cependant, quoi ?

– Je crois que vous n’auriez pas dû faire jurer à ces messieurs de ne rien dire au Mazarin ; car en leur faisant jurer cela, vous avez presque pris l’engagement de ne rien faire.

– Je n’ai pris aucun engagement, je vous jure ; je me regarde comme parfaitement libre. Allons, allons, Athos ! allons !

– Où ?

– Chez M. de Beaufort ou chez M. de Bouillon ; nous leur dirons ce qu’il en est.

– Oui, mais à une condition : c’est que nous commencerons par le coadjuteur. C’est un prêtre ; il est savant sur les cas de conscience, et nous lui conterons le nôtre.

– Ah ! fit Aramis, il va tout gâter, tout s’approprier ; finis-sons par lui au lieu de commencer.

Athos sourit. On voyait qu’il avait au fond du cœur une pensée qu’il ne disait pas.

– Eh bien ! soit, dit-il ; par lequel commençons-nous ?

– Par M. de Bouillon, si vous voulez bien ; c’est celui qui se présente le premier sur notre chemin.

– Maintenant vous me permettrez une chose, n’est-ce pas ?

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– Laquelle ?

– C’est que je passe à l’hôtel du Grand-Roi-Charlemagne pour embrasser Raoul.

– Comment donc ! j’y vais avec vous, nous l’embrasserons ensemble.

Tous deux avaient repris le bateau qui les avait amenés et s’étaient fait conduire aux Halles. Ils y trouvèrent Grimaud et Blaisois, qui leur tenaient leurs chevaux, et tous quatre s’acheminèrent vers la rue Guénégaud.

Mais Raoul n’était point à l’hôtel du Grand-Roi ; il avait re-

çu dans la journée un message de M. le Prince et était parti avec Olivain aussitôt après l’avoir reçu.

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LXXXII. Les trois lieutenants du

généralissime

Selon qu’il avait été convenu et dans l’ordre arrêté entre eux, Athos et Aramis, en sortant de l’auberge du Grand-Roi-Charlemagne, s’acheminèrent vers l’hôtel de M. le duc de Bouillon.

La nuit était noire, et, quoique s’avançant vers les heures silencieuses et solitaires, elle continuait de retentir de ces mille bruits qui réveillent en sursaut une ville assiégée. À chaque pas on rencontrait des barricades, à chaque détour des rues des chaînes tendues, à chaque carrefour des bivouacs ; les patrouilles se croisaient, échangeant les mots d’ordre ; les messagers expédiés par les différents chefs sillonnaient les places ; enfin, des dialogues animés, et qui indiquaient l’agitation des esprits, s’établissaient entre les habitants pacifiques qui se tenaient aux fenêtres et leurs concitoyens plus belliqueux qui couraient les rues la pertuisane sur l’épaule ou l’arquebuse au bras.

Athos et Aramis n’avaient pas fait cent pas sans être arrêtés par les sentinelles placées aux barricades, qui leur avaient demandé le mot d’ordre ; mais ils avaient répondu qu’ils allaient chez M.

de

Bouillon pour lui annoncer une nouvelle

d’importance, et l’on s’était contenté de leur donner un guide qui, sous prétexte de les accompagner et de leur faciliter les passages, était chargé de veiller sur eux. Celui-ci était parti les pré-

cédant et chantant :

Ce brave monsieur de Bouillon

Est incommodé de la goutte.

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C’était un triolet des plus nouveaux et qui se composait de je ne sais combien de couplets où chacun avait sa part.

En arrivant aux environs de l’hôtel de Bouillon, on croisa une petite troupe de trois cavaliers qui avaient tous les mots du monde, car ils marchaient sans guide et sans escorte, et en arrivant aux barricades n’avaient qu’à échanger avec ceux qui les gardaient quelques paroles pour qu’on les laissât passer avec toutes les déférences qui sans doute étaient dues à leur rang. À

leur aspect, Athos et Aramis s’arrêtèrent.

– Oh ! oh ! dit Aramis, voyez-vous, comte ?

– Oui, dit Athos.

– Que vous semble de ces trois cavaliers ?

– Et à vous Aramis ?

– Mais que ce sont nos hommes.

– Vous ne vous êtes pas trompé, j’ai parfaitement reconnu M. de Flamarens.

– Et moi, M. de Châtillon.

– Quant au cavalier au manteau brun…

– C’est le cardinal.

– En personne.

– Comment diable se hasardent-ils ainsi dans le voisinage de l’hôtel de Bouillon ? demanda Aramis.

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Athos sourit, mais il ne répondit point. Cinq minutes après ils frappaient à la porte du prince.

La porte était gardée par une sentinelle, comme c’est

l’habitude pour les gens revêtus de grades supérieurs ; un petit poste se tenait même dans la cour, prêt à obéir aux ordres du lieutenant de M. le prince de Conti.

Comme le disait la chanson, M. le duc de Bouillon avait la goutte et se tenait au lit ; mais malgré cette grave indisposition, qui l’empêchait de monter à cheval depuis un mois, c’est-à-dire depuis que Paris était assiégé, il n’en fit pas moins dire qu’il était prêt à recevoir MM. le comte de La Fère et le chevalier d’Herblay.

Les deux amis furent introduits près de M. le duc de Bouillon. Le malade était dans sa chambre, couché, mais entouré de l’appareil le plus militaire qui se pût voir. Ce n’étaient partout, pendus aux murailles, qu’épées, pistolets, cuirasses et arquebuses, et il était facile de voir que, dès qu’il n’aurait plus la goutte, M. de Bouillon donnerait un joli peloton de fil à retordre aux ennemis du parlement. En attendant, à son grand regret, disait-il, il était forcé de se tenir au lit.

– Ah ! messieurs, s’écria-t-il en apercevant les deux visi-teurs et en faisant pour se soulever sur son lit un effort qui lui arracha une grimace de douleur, vous êtes bien heureux, vous ; vous pouvez monter à cheval, aller, venir, combattre pour la cause du peuple. Mais moi, vous le voyez, je suis cloué sur mon lit. Ah ! diable de goutte ! fit-il en grimaçant de nouveau. Diable de goutte !