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– Oui, ils viennent d’avoir audience du duc ; ils venaient de la part du Mazarin sans doute, mais ils auront trouvé à qui parler, je vous en réponds.

– À la bonne heure ! dit Athos. Et ne pourrait-on avoir l’honneur de voir Son Altesse ?

– Comment donc ! à l’instant même. Vous savez que pour vous elle est toujours visible. Suivez-moi, je réclame l’honneur de vous présenter.

Rochefort marcha devant. Toutes les portes s’ouvrirent devant lui et devant les deux amis. Ils trouvèrent M. de Beaufort près de se mettre à table. Les mille occupations de la soirée avaient retardé son souper jusqu’à ce moment-là ; mais, malgré la gravité de la circonstance, le prince n’eut pas plus tôt entendu les deux noms que lui annonçait Rochefort, qu’il se leva de la chaise qu’il était en train d’approcher de la table, et que s’avançant vivement au-devant des deux amis :

– Ah ! pardieu, dit-il, soyez les bienvenus, messieurs. Vous venez prendre votre part de mon souper, n’est-ce pas ? Boisjoli, préviens Noirmont que j’ai deux convives. Vous connaissez Noirmont, n’est-ce pas, messieurs ? c’est mon maître d’hôtel, le successeur du père Marteau, qui confectionne les excellents pâ-

tés que vous savez. Boisjoli, qu’il envoie un de sa façon, mais pas dans le genre de celui qu’il avait fait pour La Ramée. Dieu merci ! nous n’avons plus besoin d’échelles de corde, de poignards ni de poires d’angoisse.

– Monseigneur, dit Athos, ne dérangez pas pour nous votre illustre maître d’hôtel, dont nous connaissons les talents nombreux et variés. Ce soir, avec la permission de Votre Altesse, nous aurons seulement l’honneur de lui demander des nouvelles de sa santé et de prendre ses ordres.

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– Oh ! quant à ma santé, vous voyez, messieurs, excellente.

Une santé qui a résisté à cinq ans de Vincennes accompagnés de M. de Chavigny est capable de tout. Quant à mes ordres, ma foi, j’avoue que je serais fort embarrassé de vous en donner, attendu que chacun donne les siens de son côté, et que je finirai, si cela continue, par n’en pas donner du tout.

– Vraiment ? dit Athos, je croyais cependant que c’était sur votre union que le parlement comptait.

– Ah ! oui, notre union ! elle est belle ! Avec le duc de Bouillon, ça va encore, il a la goutte et ne quitte pas son lit, il y a moyen de s’entendre ; mais avec M. d’Elbeuf et ses éléphants de fils… Vous connaissez le triolet sur le duc d’Elbeuf, messieurs ?

– Non, Monseigneur.

– Vraiment !

Le duc se mit à chanter :

Monsieur d’Elbeuf et ses enfants

Font rage à la place Royale.

Ils vont tous quatre piaffant,

Monsieur d’Elbeuf et ses enfants.

Mais sitôt qu’il faut battre aux champs,

Adieu leur humeur martiale.

Monsieur d’Elbeuf et ses enfants

Font rage à la place Royale

– Mais, reprit Athos, il n’en est pas ainsi avec le coadjuteur, j’espère ?

– Ah ! bien oui ! avec le coadjuteur, c’est pis encore. Dieu vous garde des prélats brouillons, surtout quand ils portent une cuirasse sous leur simarre ! Au lieu de se tenir tranquille dans

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son évêché à chanter des Te Deum pour les victoires que nous ne remportons pas, ou pour les victoires où nous sommes battus, savez-vous ce qu’il fait ?

– Non.

– Il lève un régiment auquel il donne son nom, le régiment de Corinthe. Il fait des lieutenants et des capitaines ni plus ni moins qu’un maréchal de France, et des colonels comme le roi.

– Oui, dit Aramis ; mais lorsqu’il faut se battre, j’espère qu’il se tient à son archevêché ?

– Eh bien ! pas du tout, voilà ce qui vous trompe, mon cher d’Herblay ! Lorsqu’il faut se battre, il se bat ; de sorte que comme la mort de son oncle lui a donné siège au parlement, maintenant on l’a sans cesse dans les jambes ; au parlement, au conseil, au combat. Le prince de Conti est général en peinture, et quelle peinture ! Un prince bossu ! Ah ! tout cela va bien mal, messieurs, tout cela va bien mal !

– De sorte, Monseigneur, que Votre Altesse est mé-

contente ? dit Athos en échangeant un regard avec Aramis.

– Mécontente, comte ! dites que Mon Altesse est furieuse.

C’est au point, tenez, je le dis à vous, je ne le dirais point à d’autres, c’est au point que si la reine, reconnaissant ses torts envers moi, rappelait ma mère exilée et me donnait la survivance de l’amirauté, qui est à monsieur mon père et qui m’a été promise à sa mort, eh bien ! je ne serais pas bien éloigné de dresser des chiens à qui j’apprendrais à dire qu’il y a encore en France de plus grands voleurs que M. de Mazarin.

Ce ne fut plus un regard seulement, ce furent un regard et un sourire qu’échangèrent Athos et Aramis ; et ne les eussent-ils pas rencontrés, ils eussent deviné que MM. de Châtillon et de

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Flamarens avaient passé par là. Aussi ne soufflèrent-ils pas mot de la présence à Paris de M. de Mazarin.

– Monseigneur, dit Athos, nous voilà satisfaits. Nous

n’avions, en venant à cette heure chez Votre Altesse, d’autre but que de faire preuve de notre dévouement, et de lui dire que nous nous tenions à sa disposition comme ses plus fidèles serviteurs.

– Comme mes plus fidèles amis, messieurs, comme mes

plus fidèles amis ! vous l’avez prouvé ; et si jamais je me raccommode avec la cour, je vous prouverai, je l’espère, que moi aussi je suis resté votre ami ainsi que celui de ces messieurs ; comment diable les appelez-vous, d’Artagnan et Porthos ?

– D’Artagnan et Porthos.

– Ah ! oui, c’est cela. Ainsi donc, vous comprenez, comte de La Fère, vous comprenez, chevalier d’Herblay, tout et toujours à vous.

Athos et Aramis s’inclinèrent et sortirent.

– Mon cher Athos, dit Aramis, je crois que vous n’avez consenti à m’accompagner, Dieu me pardonne ! que pour me donner une leçon ?

– Attendez donc, mon cher, dit Athos, il sera temps de vous en apercevoir quand nous sortirons de chez le coadjuteur.

– Allons donc à l’archevêché, dit Aramis.

Et tous deux s’acheminèrent vers la Cité.

En se rapprochant du berceau de Paris, Athos et Aramis trouvèrent les rues inondées, et il fallut reprendre une barque.

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Il était onze heures passées, mais on savait qu’il n’y avait pas d’heure pour se présenter chez le coadjuteur ; son incroyable activité faisait, selon les besoins, de la nuit le jour, et du jour la nuit.

Le palais archiépiscopal sortait du sein de l’eau, et on eût dit, au nombre des barques amarrées de tous côtés autour de ce palais, qu’on était, non à Paris, mais à Venise. Ces barques allaient, venaient, se croisaient en tous sens, s’enfonçant dans le dédale des rues de la Cité, ou s’éloignant dans la direction de l’Arsenal ou du quai Saint-Victor, et alors nageaient comme sur un lac. De ces barques les unes étaient muettes et mystérieuses, les autres étaient bruyantes et éclairées. Les deux amis glissè-

rent au milieu de ce monde d’embarcations et abordèrent à leur tour.

Tout le rez-de-chaussée de l’archevêché était inondé, mais des espèces d’escaliers avaient été adaptés aux murailles ; et tout le changement qui était résulté de l’inondation, c’est qu’au lieu d’entrer par les portes on entrait par les fenêtres.