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Ce fut ainsi qu’Athos et Aramis abordèrent dans

l’antichambre du prélat. Cette antichambre était encombrée de laquais, car une douzaine de seigneurs étaient entassés dans le salon d’attente.

– Mon Dieu ! dit Aramis, regardez donc, Athos ! est-ce que ce fat de coadjuteur va se donner le plaisir de nous faire faire antichambre ?

Athos sourit.

– Mon cher ami, lui dit-il, il faut prendre les gens avec tous les inconvénients de leur position ; le coadjuteur est en ce moment un des sept ou huit rois qui règnent à Paris, il a une cour.

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– Oui, dit Aramis ; mais nous ne sommes pas des courtisans, nous.

– Aussi allons-nous lui faire passer nos noms, et s’il ne fait pas en les voyant une réponse convenable, eh bien ! nous le lais-serons aux affaires de la France et aux siennes. Il ne s’agit que d’appeler un laquais et de lui mettre une demi-pistole dans la main.

– Eh ! justement, s’écria Aramis, je ne me trompe pas…

oui… non… si fait, Bazin ; venez ici, drôle !

Bazin, qui dans ce moment traversait l’antichambre, majestueusement revêtu de ses habits d’église, se retourna, le sourcil froncé, pour voir quel était l’impertinent qui l’apostrophait de cette manière. Mais à peine eut-il reconnu Aramis, que le tigre se fit agneau, et que s’approchant des deux gentilshommes :

– Comment ! dit-il, c’est vous, monsieur le chevalier ! c’est vous, monsieur le comte ! Vous voilà tous deux au moment où nous étions si inquiets de vous ! Oh ! que je suis heureux de vous revoir !

– C’est bien, c’est bien, maître Bazin, dit Aramis ; trêve de compliments. Nous venons pour voir M. le coadjuteur, mais nous sommes pressés, et il faut que nous le voyions à l’instant même.

– Comment donc ! dit Bazin, à l’instant même, sans doute ; ce n’est point à des seigneurs de votre sorte qu’on fait faire antichambre. Seulement en ce moment il est en conférence secrète avec un M. de Bruy.

– De Bruy ! s’écrièrent ensemble Athos et Aramis.

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– Oui ! c’est moi qui l’ai annoncé, et je me rappelle parfaitement son nom. Le connaissez-vous, monsieur ? ajouta Bazin en se retournant vers Aramis.

– Je crois le connaître.

– Je n’en dirai pas autant, moi, reprit Bazin, car il était si bien enveloppé dans son manteau, que, quelque persistance que j’y aie mise, je n’ai pas pu voir le plus petit coin de son visage.

Mais je vais entrer pour annoncer, et cette fois peut-être serai-je plus heureux.

– Inutile, dit Aramis, nous renonçons à voir M. le coadjuteur pour ce soir, n’est-ce pas, Athos ?

– Comme vous voudrez, dit le comte.

– Oui, il a de trop grandes affaires à traiter avec ce M. de Bruy.

– Et lui annoncerai-je que ces messieurs étaient venus à l’archevêché ?

– Non, ce n’est pas la peine, dit Aramis ; venez, Athos.

Et les deux amis, fendant la foule des laquais, sortirent de l’archevêché suivis de Bazin, qui témoignait de leur importance en leur prodiguant les salutations.

– Eh bien ! demanda Athos lorsque Aramis et lui furent dans la barque, commencez-vous à croire, mon ami, que nous aurions joué un bien mauvais tour à tous ces gens-là en arrêtant M. de Mazarin ?

– Vous êtes la sagesse incarnée, Athos, répondit Aramis.

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Ce qui avait surtout frappé les deux amis, c’était le peu d’importance qu’avaient pris à la cour de France les événements terribles qui s’étaient passés en Angleterre et qui leur semblaient, à eux, devoir occuper l’attention de toute l’Europe.

En effet, à part une pauvre veuve et une orpheline royale qui pleuraient dans un coin du Louvre, personne ne paraissait savoir qu’il eût existé un roi Charles Ier et que ce roi venait de mourir sur un échafaud.

Les deux amis s’étaient donné rendez-vous pour le lendemain matin à dix heures, car, quoique la nuit fût fort avancée lorsqu’ils étaient arrivés à la porte de l’hôtel, Aramis avait pré-

tendu qu’il avait encore quelques visites d’importance à faire et avait laissé Athos entrer seul.

Le lendemain à dix heures sonnantes ils étaient réunis. Depuis six heures du matin Athos était sorti de son côté.

– Eh bien ! avez-vous eu quelques nouvelles ? demanda

Athos.

– Aucune ; on n’a vu d’Artagnan nulle part, et Porthos n’a pas encore paru. Et chez vous ?

– Rien.

– Diable ! fit Aramis.

– En effet, dit Athos, ce retard n’est point naturel ; ils ont pris la route la plus directe, et par conséquent ils auraient dû arriver avant nous.

– Ajoutez à cela, dit Aramis, que nous connaissons

d’Artagnan pour la rapidité de ses manœuvres, et qu’il n’est pas homme à avoir perdu une heure, sachant que nous l’attendons…

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– Il comptait, si vous vous rappelez, être ici le cinq.

– Et nous voilà au neuf. C’est ce soir qu’expire le délai.

– Que comptez-vous faire, demanda Athos, si ce soir nous n’avons pas de nouvelles ?

– Pardieu ! nous mettre à sa recherche.

– Bien, dit Athos.

– Mais Raoul ? demanda Aramis.

Un léger nuage passa sur le front du comte.

– Raoul me donne beaucoup d’inquiétude, dit-il, il a reçu hier un message du prince de Condé, il est allé le rejoindre à Saint-Cloud et n’est pas revenu.

– N’avez-vous point vu madame de Chevreuse ?

– Elle n’était point chez elle. Et vous, Aramis, vous deviez passer, je crois, chez madame de Longueville ?

– J’y ai passé en effet.

– Eh bien ?

– Elle n’était point chez elle non plus, mais au moins elle avait laissé l’adresse de son nouveau logement.

– Où était-elle ?

– Devinez, je vous le donne en mille.

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– Comment voulez-vous que je devine où est à minuit, car je présume que c’est en me quittant que vous vous êtes présenté chez elle, comment, dis-je, voulez-vous que je devine où est à minuit la plus belle et la plus active de toutes les frondeuses ?

– À l’Hôtel de Ville ! mon cher !

– Comment, à l’Hôtel de Ville ! Est-elle donc nommée pré-

vôt des marchands ?

– Non, mais elle s’est faite reine de Paris par intérim, et comme elle n’a pas osé de prime abord aller s’établir au Palais-Royal ou aux Tuileries, elle s’est installée à l’Hôtel de Ville, où elle va donner incessamment un héritier ou une héritière à ce cher duc.

– Vous ne m’aviez pas fait part de cette circonstance, Aramis, dit Athos.

– Bah ! vraiment ! C’est un oubli alors, excusez-moi.

– Maintenant, demanda Athos, qu’allons-nous faire d’ici à ce soir ? Nous voici fort désœuvrés, ce me semble.

– Vous oubliez, mon ami, que nous avons de la besogne

toute taillée.

– Où cela ?

– Du côté de Charenton, morbleu ! J’ai l’espérance, d’après sa promesse, de rencontrer là un certain M. de Châtillon que je déteste depuis longtemps.

– Et pourquoi cela ?

– Parce qu’il est frère d’un certain M. de Coligny.

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– Ah ! c’est vrai, j’oubliais… lequel a prétendu à l’honneur d’être votre rival. Il a été bien cruellement puni de cette audace, mon cher, et, en vérité, cela devrait vous suffire.