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m’informer de vous où il est, pour qu’il m’aide par ses conseils à faire le mien.

– Dites plutôt pour le ramener avec vous vers le monde.

Heureusement, ajouta Bazin, que j’ignore où il est, car, comme nous sommes dans un saint lieu, je n’oserais pas mentir.

– Comment ! s’écria d’Artagnan au comble du désappoin-

tement, vous ignorez où est Aramis ?

– D’abord, dit Bazin, Aramis était son nom de perdition, dans Aramis on trouve Simara, qui est un nom de démon, et, par bonheur pour lui, il a quitté à tout jamais ce nom.

– Aussi, dit d’Artagnan décidé à être patient jusqu’au bout, n’est-ce point Aramis que je cherchais, mais l’abbé d’Herblay.

Voyons, mon cher Bazin, dites-moi où il est.

– N’avez-vous pas entendu, monsieur d’Artagnan, que je vous ai répondu que je l’ignorais ?

– Oui, sans doute ; mais à ceci je vous réponds, moi, que c’est impossible.

– C’est pourtant la vérité, monsieur, la vérité pure, la vérité du bon Dieu.

D’Artagnan vit bien qu’il ne tirerait rien de Bazin ; il était évident que Bazin mentait, mais il mentait avec tant d’ardeur et de fermeté, qu’on pouvait deviner facilement qu’il ne reviendrait pas sur son mensonge.

– C’est bien, Bazin ! dit d’Artagnan ; puisque vous ignorez où demeure votre maître, n’en parlons plus, quittons-nous bons amis, et prenez cette demi-pistole pour boire à ma santé.

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– Je ne bois pas, monsieur, dit Bazin en repoussant majestueusement la main de l’officier, c’est bon pour des laïques.

– Incorruptible ! murmura d’Artagnan. En vérité, je joue de malheur.

Et comme d’Artagnan, distrait par ses réflexions, avait lâ-

ché la robe de Bazin, Bazin profita de la liberté pour battre vivement en retraite vers la sacristie, dans laquelle il ne se crut encore en sûreté qu’après avoir fermé la porte derrière lui.

D’Artagnan restait immobile, pensif et les yeux fixés sur la porte qui avait mis une barrière entre lui et Bazin, lorsqu’il sentit qu’on lui touchait légèrement l’épaule du bout du doigt.

Il se retourna et allait pousser une exclamation de surprise, lorsque celui qui l’avait touché du bout du doigt ramena ce doigt sur ses lèvres en signe de silence.

– Vous ici, mon cher Rochefort ! dit-il à demi-voix.

– Chut ! dit Rochefort. Saviez-vous que j’étais libre !

– Je l’ai su de première main.

– Et par qui ?

– Par Planchet.

– Comment, par Planchet ?

– Sans doute ! C’est lui qui vous a sauvé.

– Planchet !… En effet, j’avais cru le reconnaître. Voilà ce qui prouve, mon cher, qu’un bienfait n’est jamais perdu.

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– Et que venez-vous faire ici ?

– Je viens remercier Dieu de mon heureuse délivrance, dit Rochefort.

– Et puis quoi encore ? car je présume que ce n’est pas tout. – Et puis prendre les ordres du coadjuteur, pour voir si nous ne pourrons pas quelque peu faire enrager Mazarin.

– Mauvaise tête ! vous allez vous faire fourrer encore à la Bastille.

– Oh ! quant à cela, j’y veillerai, je vous en réponds ! c’est si bon, le grand air ! Aussi, continua Rochefort en respirant à pleine poitrine, je vais aller me promener à la campagne, faire un tour en province.

– Tiens ! dit d’Artagnan, et moi aussi !

– Et sans indiscrétion, peut-on vous demander où vous allez ?

– À la recherche de mes amis.

– De quels amis ?

– De ceux dont vous me demandiez des nouvelles hier.

– D’Athos, de Porthos et d’Aramis ? Vous les cherchez ?

– Oui.

– D’honneur ?

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– Qu’y a-t-il donc là d’étonnant ?

– Rien. C’est drôle. Et de la part de qui les cherchez-vous ?

– Vous ne vous en doutez pas.

– Si fait.

– Malheureusement je ne sais où ils sont.

– Et vous n’avez aucun moyen d’avoir de leurs nouvelles ?

Attendez huit jours, et je vous en donnerai, moi.

– Huit jours, c’est trop ; il faut qu’avant trois jours je les aie trouvés.

– Trois jours, c’est court, dit Rochefort, et la France est grande.

– N’importe, vous connaissez le mot il faut ; avec ce mot-là on fait bien des choses.

– Et quand vous mettez-vous à leur recherche ?

– J’y suis.

– Bonne chance !

– Et vous, bon voyage !

– Peut-être nous rencontrerons-nous par les chemins.

– Ce n’est pas probable.

– Qui sait ! le hasard est si capricieux.

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– Adieu.

– Au revoir. À propos, si le Mazarin vous parle de moi, dites-lui que je vous ai chargé de lui faire savoir qu’il verrait avant peu si je suis, comme il le dit, trop vieux pour l’action.

Et Rochefort s’éloigna avec un de ces sourires diaboliques qui autrefois avaient si souvent fait frissonner d’Artagnan ; mais d’Artagnan le regarda cette fois sans angoisse, et souriant à son tour avec une expression de mélancolie que ce souvenir seul peut-être pouvait donner à son visage :

– Va, démon, dit-il, et fais ce que tu voudras, peu m’importe : il n’y a pas une seconde Constance au monde !

En se retournant, d’Artagnan vit Bazin qui, après avoir dé-

posé ses habits ecclésiastiques, causait avec le sacristain à qui lui, d’Artagnan, avait parlé en entrant dans l’église. Bazin paraissait fort animé et faisait avec ses gros petits bras courts force gestes. D’Artagnan comprit que, selon toute probabilité, il lui recommandait la plus grande discrétion à son égard.

D’Artagnan profita de la préoccupation des deux hommes d’Église pour se glisser hors de la cathédrale et aller s’embusquer au coin de la rue des Canettes. Bazin ne pouvait, du point où était caché d’Artagnan, sortir sans qu’on le vît.

Cinq minutes après, d’Artagnan étant à son poste, Bazin apparut sur le parvis ; il regarda de tous côtés pour s’assurer s’il n’était pas observé ; mais il n’avait garde d’apercevoir notre officier, dont la tête seule passait à l’angle d’une maison à cinquante pas de là. Tranquillisé par les apparences, il se hasarda dans la rue Notre-Dame. D’Artagnan s’élança de sa cachette et arriva à temps pour lui voir tourner la rue de la Juiverie et entrer, rue de la Calandre, dans une maison d’honnête apparence.

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Aussi notre officier ne douta point que ce ne fût dans cette maison que logeait le digne bedeau.

D’Artagnan n’avait garde d’aller s’informer à cette maison ; le concierge, s’il y en avait un, devait déjà être prévenu ; et s’il n’y en avait point, à qui s’adresserait-il ?

Il entra dans un petit cabaret qui faisait le coin de la rue Saint-Éloi et de la rue de la Calandre, et demanda une mesure d’hypocras. Cette boisson demandait une bonne demi-heure de préparation ; d’Artagnan avait tout le temps d’épier Bazin sans éveiller aucun soupçon.

Il avisa dans l’établissement un petit drôle de douze à quinze ans à l’air éveillé, qu’il crut reconnaître pour l’avoir vu vingt minutes auparavant sous l’habit d’enfant de chœur. Il l’interrogea, et comme l’apprenti sous-diacre n’avait aucun inté-