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– Et vous êtes sûr, monsieur de Comminges, dit Athos, que le cardinal me fera l’honneur de me visiter ?

– Il me l’a assuré, du moins, monsieur.

Athos soupira en regardant ses fenêtres grillées.

– Oui, c’est vrai, dit Comminges, c’est presque une prison, rien n’y manque, pas même les barreaux. Mais aussi quelle singulière idée vous a-t-il pris, à vous qui êtes une fleur de noblesse, d’aller épanouir votre bravoure et votre loyauté parmi tous ces champignons de la Fronde ! Vraiment, comte, si j’eusse jamais cru avoir quelque ami dans les rangs de l’armée royale, c’est à vous que j’eusse pensé. Un frondeur, vous, le comte de La Fère, du parti d’un Broussel, d’un Blancmesnil, d’un Viole ! Fi donc ! cela ferait croire que madame votre mère était quelque petite robine. Vous êtes un frondeur !

– Ma foi, mon cher monsieur, dit Athos, il fallait être mazarin ou frondeur. J’ai longtemps fait résonner ces deux noms à mon oreille, et je me suis prononcé pour le dernier ; c’est un

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nom français, au moins. Et puis, je suis frondeur, non pas avec M. Broussel, avec M. Blancmesnil et avec M. Viole, mais avec M. de Beaufort, M. de Bouillon et M. d’Elbeuf, avec des princes et non avec des présidents, des conseillers, des robins.

D’ailleurs, l’agréable résultat que de servir M. le cardinal ! Regardez ce mur sans fenêtres, monsieur de Comminges, il vous en dira de belles sur la reconnaissance mazarine.

– Oui, reprit en riant Comminges, et surtout s’il répète ce que M. d’Artagnan lui lance depuis huit jours de malédictions.

– Pauvre d’Artagnan ! dit Athos avec cette mélancolie

charmante qui faisait une des faces de son caractère, un homme si brave, si bon, si terrible à ceux qui n’aiment pas ceux qu’il aime ! Vous avez là deux rudes prisonniers, monsieur de Comminges, et je vous plains si l’on a mis sous votre responsabilité ces deux hommes indomptables.

– Indomptables ! dit en souriant à son tour Comminges, eh ! monsieur, vous voulez me faire peur.

Le premier jour de son emprisonnement, M. d’Artagnan a provoqué tous les soldats et tous les bas officiers, sans doute afin d’avoir une épée ; cela a duré le lendemain, s’est étendu même jusqu’au surlendemain, mais ensuite il est devenu calme et doux comme un agneau. À présent il chante des chansons gasconnes qui nous font mourir de rire.

– Et M. du Vallon ? demanda Athos.

– Ah ! celui-là, c’est autre chose. J’avoue que c’est un gentilhomme effrayant. Le premier jour, il a enfoncé toutes les portes d’un seul coup d’épaule, et je m’attendais à le voir sortir de Rueil comme Samson est sorti de Gaza. Mais son humeur a suivi la même marche que celle de M. d’Artagnan. Maintenant, non

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seulement il s’accoutume à sa captivité, mais encore il en plaisante.

– Tant mieux, dit Athos, tant mieux.

– En attendiez-vous donc autre chose ? demanda Commin-

ges, qui, rapprochant ce qu’avait dit Mazarin de ses prisonniers avec ce qu’en disait le comte de La Fère, commençait à concevoir quelques inquiétudes.

De son côté, Athos réfléchissait que très certainement cette amélioration dans le moral de ses amis naissait de quelque plan formé par d’Artagnan. Il ne voulut donc pas leur nuire pour trop les exalter.

– Eux ? dit-il, ce sont des têtes inflammables ; l’un est Gascon, l’autre Picard ; tous deux s’allument facilement, mais s’éteignent vite. Vous en avez la preuve, et ce que vous venez de me raconter tout à l’heure fait foi de ce que je vous dis maintenant.

C’était l’opinion de Comminges ; aussi se retira-t-il plus rassuré, et Athos demeura seul dans la vaste chambre, où, suivant l’ordre du cardinal, il fut traité avec les égards dus à un gentilhomme.

Il attendait, au reste, pour se faire une idée précise de sa situation, cette fameuse visite promise par Mazarin lui-même.

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LXXXVIII. L’esprit et le bras

Maintenant passons de l’orangerie au pavillon de chasse.

Au fond de la cour, où, par un portique fermé de colonnes ioniennes, on découvrait les chenils, s’élevait un bâtiment oblong qui semblait s’étendre comme un bras au-devant de cet autre bras, le pavillon de l’orangerie, demi-cercle enserrant la cour d’honneur.

C’est dans ce pavillon, au rez-de-chaussée, qu’étaient renfermés Porthos et d’Artagnan, partageant les longues heures d’une captivité antipathique à ces deux tempéraments.

D’Artagnan se promenait comme un tigre, l’œil fixe, et ru-gissant parfois sourdement le long des barreaux d’une large fe-nêtre donnant sur la cour de service.

Porthos ruminait en silence un excellent dîner dont on venait de desservir les restes.

L’un semblait privé de raison, et il méditait ; l’autre semblait méditer profondément, et il dormait. Seulement, son sommeil était un cauchemar, ce qui pouvait se deviner à la ma-nière incohérente et entrecoupée dont il ronflait.

– Voilà, dit d’Artagnan, le jour qui baisse. Il doit être quatre heures à peu près. Il y a tantôt cent quatre-vingt-trois heures que nous sommes là-dedans.

– Hum ! fit Porthos pour avoir l’air de répondre.

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– Entendez-vous, éternel dormeur ? dit d’Artagnan, impatienté qu’un autre pût se livrer au sommeil le jour, quand il avait, lui, toutes les peines du monde à dormir la nuit.

– Quoi ? dit Porthos.

– Ce que je dis ?

– Que dites-vous ?

– Je dis, reprit d’Artagnan, que voilà tantôt cent quatre-vingt-trois heures que nous sommes ici.

– C’est votre faute, dit Porthos.

– Comment ! c’est ma faute ?…

– Oui, je vous ai offert de nous en aller.

– En descellant un barreau ou en enfonçant une porte ?

– Sans doute.

– Porthos, des gens comme nous ne s’en vont pas pure-

ment et simplement.

– Ma foi, dit Porthos, moi je m’en irais avec cette pureté et cette simplicité que vous me semblez dédaigner par trop.

D’Artagnan haussa les épaules.

– Et puis, dit-il, ce n’est pas le tout que de sortir de cette chambre.

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– Cher ami, dit Porthos, vous me semblez aujourd’hui d’un peu meilleure humeur qu’hier. Expliquez-moi comment ce n’est pas le tout que de sortir de cette chambre.

– Ce n’est pas le tout, parce que n’ayant ni armes ni mot de passe, nous ne ferons pas cinquante pas dans la cour sans heurter une sentinelle.

– Eh bien ! dit Porthos, nous assommerons la sentinelle et nous aurons ses armes.

– Oui, mais avant d’être assommée tout à fait, cela a la vie dure, un Suisse, elle poussera un cri ou tout au moins un gémissement qui fera sortir le poste ; nous serons traqués et pris comme des renards, nous qui sommes des lions, et l’on nous jettera dans quelque cul-de-basse-fosse où nous n’aurons pas même la consolation de voir cet affreux ciel gris de Rueil, qui ne ressemble pas plus au ciel de Tarbes que la lune ne ressemble au soleil. Mordioux ! si nous avions quelqu’un au dehors, quelqu’un qui pût nous donner des renseignements sur la topogra-phie morale et physique de ce château, sur ce que César appelait les mœurs et les lieux, à ce qu’on m’a dit, du moins… Eh ! quand on pense que durant vingt ans, pendant lesquels je ne savais que faire, je n’ai pas eu l’idée d’occuper une de ces heures-là à venir étudier Rueil.