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– Qu’est-ce que ça fait ? dit Porthos, allons-nous-en toujours.

– Mon cher, dit d’Artagnan, savez-vous pourquoi les maî-

tres pâtissiers ne travaillent jamais de leurs mains ?

– Non, dit Porthos ; mais je serais flatté de le savoir.

– C’est que devant leurs élèves ils craindraient de faire quelques tartes trop rôties ou quelques crèmes tournées.

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– Après ?

– Après, on se moquerait d’eux, et il ne faut jamais qu’on se moque des maîtres pâtissiers.

– Et pourquoi les maîtres pâtissiers à propos de nous ?

– Parce que nous devons, en fait d’aventures, jamais

n’avoir d’échec ni prêter à rire de nous. En Angleterre derniè-

rement nous avons échoué, nous avons été battus, et c’est une tache à notre réputation.

– Par qui donc avons-nous été battus ? demanda Porthos.

– Par Mordaunt.

– Oui, mais nous avons noyé M. Mordaunt.

– Je le sais bien, et cela nous réhabilitera un peu dans l’esprit de la postérité, si toutefois la postérité s’occupe de nous.

Mais écoutez-moi, Porthos ; quoique M. Mordaunt ne fût pas à mépriser, M. Mazarin me paraît bien autrement fort que M. Mordaunt, et nous ne le noierons pas aussi facilement. Ob-servons-nous donc bien et jouons serré ; car, ajouta d’Artagnan avec un soupir, à nous deux, nous en valons huit autres peut-

être, mais nous ne valons pas les quatre que vous savez.

– C’est vrai, dit Porthos en correspondant par un soupir au soupir de d’Artagnan.

– Eh bien ! Porthos, faites comme moi, promenez-vous de long en large jusqu’à ce qu’une nouvelle de nos amis nous arrive ou qu’une bonne idée nous vienne ; mais ne dormez pas toujours comme vous le faites, il n’y a rien qui alourdisse l’esprit comme le sommeil. Quant à ce qui nous attend, c’est peut-être

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moins grave que nous ne le pensions d’abord. Je ne crois pas que M. de Mazarin songe à nous faire couper la tête, parce qu’on ne nous couperait pas la tête sans procès, que le procès ferait du bruit, que le bruit attirerait nos amis, et qu’alors ils ne laisseraient pas faire M. de Mazarin.

– Que vous raisonnez bien ! dit Porthos avec admiration.

– Mais oui, pas mal, dit d’Artagnan. Et puis, voyez-vous, si l’on ne nous fait pas notre procès, si l’on ne nous coupe pas la tête, il faut qu’on nous garde ici ou qu’on nous transporte ailleurs.

– Oui, il le faut nécessairement, dit Porthos.

– Eh bien ! il est impossible que maître Aramis, ce fin limier, et qu’Athos, ce sage gentilhomme, ne découvrent pas notre retraite ; alors, ma foi, il sera temps.

– Oui, d’autant plus qu’on n’est pas absolument mal ici ; à l’exception d’une chose, cependant.

– De laquelle ?

– Avez-vous remarqué, d’Artagnan, qu’on nous a donné du mouton braisé trois jours de suite ?

– Non, mais s’il s’en présente une quatrième fois, je m’en plaindrai, soyez tranquille.

– Et puis quelquefois ma maison me manque ; il y a bien longtemps que je n’ai visité mes châteaux.

– Bah ! oubliez-les momentanément ; nous les retrouve-

rons, à moins que M. de Mazarin ne les ait fait raser.

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– Croyez-vous qu’il se soit permis cette tyrannie ? demanda Porthos avec inquiétude.

– Non ; c’était bon pour l’autre cardinal, ces résolutions-là.

Le nôtre est trop mesquin pour risquer de pareilles choses.

– Vous me tranquillisez, d’Artagnan.

– Eh bien ! alors faites bon visage comme je le fais ; plaisantons avec les gardiens ; intéressons les soldats, puisque nous ne pouvons les corrompre ; cajolez-les plus que vous ne faites, Porthos, quand ils viendront sous nos barreaux. Jusqu’à présent vous n’avez fait que leur montrer le poing, et plus votre poing est respectable, Porthos, moins il est attirant. Ah ! je donnerais beaucoup pour avoir cinq cents louis seulement.

– Et moi aussi, dit Porthos, qui ne voulait pas demeurer en reste de générosité avec d’Artagnan, je donnerais bien cent pistoles.

Les deux prisonniers en étaient là de leur conversation, quand Comminges entra, précédé d’un sergent et de deux hommes qui portaient le souper dans une manne remplie de bassins et de plats.

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LXXXIX. L’esprit et le bras (Suite)

– Bon ! dit Porthos, encore du mouton !

– Mon cher monsieur de Comminges, dit d’Artagnan, vous saurez que mon ami, M. du Vallon, est décidé à se porter aux plus dures extrémités, si M. de Mazarin s’obstine à le nourrir de cette sorte de viande.

– Je déclare même, dit Porthos, que je ne mangerai de rien autre chose si on ne l’emporte pas.

– Emportez le mouton, dit Comminges, je veux que M. du Vallon soupe agréablement, d’autant plus que j’ai à lui annoncer une nouvelle qui, j’en suis sûr, va lui donner de l’appétit.

– M. de Mazarin serait-il trépassé ? demanda Porthos.

– Non, j’ai même le regret de vous annoncer qu’il se porte à merveille.

– Tant pis, dit Porthos.

– Et quelle est cette nouvelle ? demanda d’Artagnan. C’est du fruit si rare qu’une nouvelle en prison, que vous excuserez, je l’espère, mon impatience, n’est-ce pas, monsieur de Comminges ? d’autant plus que vous nous avez laissé entendre que la nouvelle était bonne.

– Seriez-vous aise de savoir que M. le comte de La Fère se porte bien ? répondit Comminges.

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Les petits yeux de d’Artagnan s’ouvrirent démesurément.

– Si j’en serais aise ! s’écria-t-il, j’en serais plus qu’aise, j’en serais heureux.

– Eh bien ! je suis chargé par lui-même de vous présenter tous ses compliments et de vous dire qu’il est en bonne santé.

D’Artagnan faillit bondir de joie. Un coup d’œil rapide traduisit à Porthos sa pensée : « Si Athos sait où nous sommes, disait ce regard, s’il nous fait parler, avant peu Athos agira. »

Porthos n’était pas très habile à comprendre les coups d’œil ; mais cette fois, comme il avait, au nom d’Athos, éprouvé la même impression que d’Artagnan, il comprit.

– Mais, demanda timidement le Gascon, M. le comte de La Fère, dites-vous, vous a chargé de tous ses compliments pour M. du Vallon et moi ?

– Oui, monsieur.

– Vous l’avez donc vu ?

– Sans doute.

– Où cela ? sans indiscrétion.

– Bien près d’ici, répondit Comminges en souriant.

– Bien près d’ici ! répéta d’Artagnan, dont les yeux étincelèrent.

– Si près, que si les fenêtres qui donnent dans l’orangerie n’étaient pas bouchées, vous pourriez le voir de la place où vous êtes.

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Il rôde aux environs du château, pensa d’Artagnan. Puis tout haut :

– Vous l’avez rencontré à la chasse, dit-il, dans le parc peut-être ?

– Non pas, plus près, plus près encore. Tenez, derrière ce mur, dit Comminges en frappant contre ce mur.

– Derrière ce mur ? Qu’y a-t-il donc derrière ce mur ? On m’a amené ici de nuit, de sorte que le diable m’emporte si je sais où je suis.

– Eh bien ! dit Comminges, supposez une chose.

– Je supposerai tout ce que vous voudrez.

– Supposez qu’il y ait une fenêtre à ce mur.