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– Eh bien ?

– Eh bien ! de cette fenêtre vous verriez M. de La Fère à la sienne.

– M. de La Fère est donc logé au château ?

– Oui.

– À quel titre ?

– Au même titre que vous.

– Athos est prisonnier ?

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– Vous savez bien, dit en riant Comminges, qu’il n’y a pas de prisonniers à Rueil, puisqu’il n’y a pas de prison.

– Ne jouons pas sur les mots, monsieur ; Athos a été arrê-

té ?

– Hier, à Saint-Germain, en sortant de chez la reine.

Les bras de d’Artagnan retombèrent inertes à son côté. On eût dit qu’il était foudroyé.

La pâleur courut comme un nuage blanc sur son teint bru-ni, mais disparut presque aussitôt.

– Prisonnier ! répéta-t-il.

– Prisonnier ! répéta après lui Porthos abattu.

Tout à coup d’Artagnan releva la tête et on vit luire en ses yeux un éclair imperceptible pour Porthos lui-même. Puis, le même abattement qui l’avait précédé suivit cette fugitive lueur.

– Allons, allons, dit Comminges, qui avait un sentiment ré-

el d’affection pour d’Artagnan depuis le service signalé que celui-ci lui avait rendu le jour de l’arrestation de Broussel en le tirant des mains des Parisiens ; allons, ne vous désolez pas, je n’ai pas prétendu vous apporter une triste nouvelle, tant s’en faut. Par la guerre qui court, nous sommes tous des êtres incertains. Riez donc du hasard qui rapproche votre ami de vous et de M. du Vallon, au lieu de vous désespérer.

Mais cette invitation n’eut aucune influence sur

d’Artagnan, qui conserva son air lugubre.

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– Et quelle mine faisait-il ? demanda Porthos, qui, voyant que d’Artagnan laissait tomber la conversation, en profita pour placer son mot.

– Mais fort bonne mine, dit Comminges. D’abord, comme

vous, il avait paru assez désespéré ; mais quand il a su que M. le cardinal devait lui faire une visite ce soir même…

– Ah ! fit d’Artagnan, M. le cardinal doit faire visite au comte de La Fère ?

– Oui, il l’en a fait prévenir, et M. le comte de La Fère, en apprenant cette nouvelle, m’a chargé de vous dire, à vous, qu’il profiterait de cette faveur que lui faisait le cardinal pour plaider votre cause et la sienne.

– Ah ! ce cher comte ! dit d’Artagnan.

– Belle affaire, grogna Porthos, grande faveur ! Pardieu !

M. le comte de La Fère, dont la famille a été alliée aux Montmorency et aux Rohan, vaut bien M. de Mazarin.

– N’importe, dit, d’Artagnan avec son ton le plus câlin, en y réfléchissant, mon cher du Vallon, c’est beaucoup d’honneur pour M. le comte de La Fère, c’est surtout beaucoup d’espérance à concevoir, une visite ! et même, à mon avis, c’est un honneur si grand pour un prisonnier, que je crois que M. de Comminges se trompe.

– Comment ! je me trompe !

– Ce sera non pas M. de Mazarin qui ira visiter le comte de La Fère, mais M. le comte de La Fère qui sera appelé par M. de Mazarin ?

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– Non, non, non, dit Comminges, qui tenait à rétablir les faits dans toute leur exactitude. J’ai parfaitement entendu ce que m’a dit le cardinal. Ce sera lui qui ira visiter le comte de La Fère.

D’Artagnan essaya de surprendre un des regards de

l’importance de cette visite, mais Porthos ne regardait pas même de son côté.

– C’est donc l’habitude de M. le cardinal de se promener dans son orangerie ? demanda d’Artagnan.

– Chaque soir il s’y enferme, dit Comminges. Il paraît que c’est là qu’il médite sur les affaires de l’État.

– Alors, dit d’Artagnan, je commence à croire que M. de La Fère recevra la visite de Son Éminence ; d’ailleurs, il se fera accompagner, sans doute.

– Oui, par deux soldats.

– Et il causera ainsi d’affaires devant deux étrangers ?

– Les soldats sont des Suisses des petits cantons et ne parlent qu’allemand. D’ailleurs, selon toute probabilité, ils attendront à la porte.

D’Artagnan s’enfonçait les ongles dans les paumes des

mains pour que son visage n’exprimât pas autre chose que ce qu’il voulait lui permettre d’exprimer.

– Que M. de Mazarin prenne garde d’entrer ainsi seul chez M. le comte de La Fère, dit d’Artagnan, car le comte de La Fère doit être furieux.

Comminges se mit à rire.

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– Ah çà ! mais, en vérité, on dirait que vous êtes des an-thropophages ! M. de La Fère est courtois, il n’a point d’armes, d’ailleurs ; au premier cri de Son Éminence, les deux soldats qui l’accompagnent toujours accourraient.

– Deux soldats, dit d’Artagnan paraissant rappeler ses souvenirs, deux soldats, oui ; c’est donc cela que j’entends appeler deux hommes chaque soir, et que je les vois se promener pendant une demi-heure quelquefois sous ma fenêtre.

– C’est cela, ils attendent le cardinal, ou plutôt Bernouin, qui vient les appeler quand le cardinal sort.

– Beaux hommes, ma foi ! dit d’Artagnan.

– C’est le régiment qui était à Lens, et que M. le Prince a donné au cardinal pour lui faire honneur.

– Ah ! monsieur, dit d’Artagnan comme pour résumer en

un mot toute cette longue conversation, pourvu que Son Éminence s’adoucisse et accorde notre liberté à M. de La Fère.

– Je le désire de tout mon cœur, dit Comminges.

– Alors, s’il oubliait cette visite, vous ne verriez aucun inconvénient à la lui rappeler ?

– Aucun, au contraire.

– Ah ! voilà qui me tranquillise un peu.

Cet habile changement de conversation eût paru une man-

œuvre sublime à quiconque eût pu lire dans l’âme du Gascon.

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– Maintenant, continua-t-il, une dernière grâce, je vous prie, mon cher monsieur de Comminges.

– Tout à votre service, monsieur.

– Vous reverrez M. le comte de La Fère ?

– Demain matin.

– Voulez-vous lui souhaiter le bonjour pour nous, et lui dire qu’il sollicite pour moi la même faveur qu’il aura obtenue ?

– Vous désirez que M. le cardinal vienne ici ?

– Non ; je me connais et ne suis point si exigeant. Que Son Éminence me fasse l’honneur de m’entendre, c’est tout ce que je désire.

– Oh ! murmura Porthos en secouant la tête, je n’aurais jamais cru cela de sa part. Comme l’infortune vous abat un homme !

– Cela sera fait, dit Comminges.

– Assurez aussi le comte que je me porte à merveille, et que vous m’avez vu triste, mais résigné.

– Vous me plaisez, monsieur, en disant cela.

– Vous direz la même chose pour M. du Vallon.

– Pour moi, non pas ! s’écria Porthos. Moi, je ne suis pas résigné du tout.

– Mais vous vous résignerez, mon ami.

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– Jamais !

– Il se résignera, monsieur de Comminges. Je le connais mieux qu’il ne se connaît lui-même, et je lui sais mille excellentes qualités qu’il ne se soupçonne même pas. Taisez-vous, cher du Vallon, et résignez-vous.

– Adieu, messieurs, dit Comminges. Bonne nuit !

– Nous y tâcherons.

Comminges salua et sortit. D’Artagnan le suivit des yeux dans la même posture humble et avec le même visage résigné.

Mais à peine la porte fut-elle refermée sur le capitaine des gardes, que, s’élançant vers Porthos, il le serra dans ses bras avec une expression de joie sur laquelle il n’y avait pas à se tromper.