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– Oh ! oh ! dit Porthos, qu’y a-t-il donc ? est-ce que vous devenez fou, mon pauvre ami ?

– Il y a, dit d’Artagnan, que nous sommes sauvés !

– Je ne vois pas cela le moins du monde, dit Porthos ; je vois au contraire que nous sommes tous pris, à l’exception d’Aramis, et que nos chances de sortir sont diminuées depuis qu’un de plus est entré dans la souricière de M. de Mazarin.

– Pas du tout, Porthos, mon ami, cette souricière était suffisante pour deux ; elle devient trop faible pour trois.

– Je ne comprends pas du tout, dit Porthos.

– Inutile, dit d’Artagnan, mettons-nous à table et prenons des forces, nous en aurons besoin pour la nuit.

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– Que ferons-nous donc cette nuit ? demanda Porthos de plus en plus intrigué.

– Nous voyagerons probablement.

– Mais…

– Mettons-nous à table, cher ami, les idées me viennent en mangeant. Après le souper, quand mes idées seront au grand complet, je vous les communiquerai.

Quelque désir qu’eût Porthos d’être mis au courant du projet de d’Artagnan, comme il connaissait les façons de faire de ce dernier, il se mit à table sans insister davantage et mangea avec un appétit qui faisait honneur à la confiance que lui inspirait l’imaginative de d’Artagnan.

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XC. Le bras et l’esprit

Le souper fut silencieux, mais non pas triste ; car de temps en temps un de ces fins sourires qui lui étaient habituels dans ses moments de bonne humeur illuminait le visage de

d’Artagnan. Porthos ne perdait pas un de ces sourires, et à chacun d’eux il poussait quelque exclamation qui indiquait à son ami que, quoiqu’il ne la comprît pas, il n’abandonnait pas davantage la pensée qui bouillonnait dans son cerveau.

Au dessert, d’Artagnan se coucha sur sa chaise, croisa une jambe sur l’autre, et se dandina de l’air d’un homme parfaitement satisfait de lui-même.

Porthos appuya son menton sur ses deux mains, posa ses deux coudes sur la table et regarda d’Artagnan avec ce regard confiant qui donnait à ce colosse une si admirable expression de bonhomie.

– Eh bien ? fit d’Artagnan au bout d’un instant.

– Eh bien ? répéta Porthos.

– Vous disiez donc, cher ami ?…

– Moi ! je ne disais rien.

– Si fait, vous disiez que vous aviez envie de vous en aller d’ici.

– Ah ! pour cela, oui, ce n’est point l’envie qui me manque.

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– Et vous ajoutiez que, pour vous en aller d’ici, il ne s’agissait que de desceller une porte ou une muraille.

– C’est vrai, je disais cela, et même je le dis encore.

– Et moi je vous répondais, Porthos, que c’était un mauvais moyen, et que nous ne ferions point cent pas sans être repris et assommés, à moins que nous n’eussions des habits pour nous déguiser et des armes pour nous défendre.

– C’est vrai, il nous faudrait des habits et des armes.

– Eh bien ! dit d’Artagnan en se levant, nous les avons, ami Porthos, et même quelque chose de mieux.

– Bah ! dit Porthos en regardant autour de lui.

– Ne cherchez pas, c’est inutile, tout cela viendra nous trouver au moment voulu. À quelle heure à peu près avons-nous vu se promener hier les deux gardes suisses ?

– Une heure, je crois, après que la nuit fut tombée.

– S’ils sortent aujourd’hui comme hier, nous ne serons donc pas un quart d’heure à attendre le plaisir de les voir.

– Le fait est que nous serons un quart d’heure tout au plus.

– Vous avez toujours le bras assez bon, n’est-ce pas, Porthos ?

Porthos déboutonna sa manche, releva sa chemise, et regarda avec complaisance ses bras nerveux, gros comme la cuisse d’un homme ordinaire.

– Mais oui, dit-il, assez bon.

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– De sorte que vous feriez, sans trop vous gêner, un cer-ceau de cette pincette et un tire-bouchon de cette pelle ?

– Certainement, dit Porthos.

– Voyons, dit d’Artagnan.

Le géant prit les deux objets désignés et opéra avec la plus grande facilité et sans aucun effort apparent les deux métamorphoses désirées par son compagnon.

– Voilà ! dit-il.

– Magnifique ! dit d’Artagnan, et véritablement vous êtes doué, Porthos.

– J’ai entendu parler, dit Porthos, d’un certain Milon de Crotone qui faisait des choses fort extraordinaires, comme de serrer son front avec une corde et de la faire éclater, de tuer un bœuf d’un coup de poing et de l’emporter chez lui sur ses épaules, d’arrêter un cheval par les pieds de derrière, etc., etc. Je me suis fait raconter toutes ses prouesses, là-bas à Pierrefonds, et j’ai fait tout ce qu’il faisait, excepté de briser une corde en en-flant mes tempes.

– C’est que votre force n’est pas dans votre tête, Porthos, dit d’Artagnan.

– Non, elle est dans mes bras et dans mes épaules, répondit naïvement Porthos.

– Eh bien ! mon ami, approchons de la fenêtre et servez-vous de votre force pour desceller un barreau. Attendez que j’éteigne la lampe.

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XCI. Le bras et l’esprit (Suite)

Porthos s’approcha de la fenêtre, prit un barreau à deux mains, s’y cramponna, l’attira vers lui et le fit plier comme un arc, si bien que les deux bouts sortirent de l’alvéole de pierre où depuis trente ans le ciment les tenait scellés.

– Eh bien ! mon ami, dit d’Artagnan, voilà ce que n’aurait jamais pu faire le cardinal, tout homme de génie qu’il est.

– Faut-il en arracher d’autres ? demanda Porthos.

– Non pas, celui-ci nous suffira ; un homme peut passer maintenant.

Porthos essaya et sortit son torse tout entier.

– Oui, dit-il.

– En effet, c’est une assez jolie ouverture. Maintenant passez votre bras.

– Par où ?

– Par cette ouverture.

– Pourquoi faire ?

– Vous le saurez tout à l’heure. Passez toujours.

Porthos obéit, docile comme un soldat, et passa son bras à travers les barreaux.

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– À merveille ! dit d’Artagnan.

– Il paraît que cela marche ?

– Sur des roulettes, cher ami.

– Bon. Maintenant que faut-il que je fasse ?

– Rien.

– C’est donc fini ?

– Pas encore.

– Je voudrais cependant bien comprendre, dit Porthos.

– Écoutez, mon cher ami, et en deux mots vous serez au fait. La porte du poste s’ouvre, comme vous voyez.

– Oui, je vois.

– On va envoyer dans notre cour, que traverse

M. de Mazarin pour se rendre à l’orangerie, les deux gardes qui l’accompagnent.

– Les voilà qui sortent.

– Pourvu qu’ils referment la porte du poste. Bon ! ils la referment.

– Après ?

– Silence ! ils pourraient nous entendre.

– Je ne saurai rien, alors.

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– Si fait, car à mesure que vous exécuterez vous comprendrez. – Cependant, j’aurais préféré…

– Vous aurez le plaisir de la surprise.