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rêt à dissimuler, d’Artagnan apprit de lui qu’il exerçait de six à neuf heures du matin la profession d’enfant de chœur et de neuf heures à minuit celle de garçon de cabaret.

Pendant qu’il causait avec l’enfant, on amena un cheval à la porte de la maison de Bazin. Le cheval était tout sellé et bridé.

Un instant après, Bazin descendit.

– Tiens ! dit l’enfant, voilà notre bedeau qui va se mettre en route.

– Et où va-t-il comme cela ? demanda d’Artagnan.

– Dame, je n’en sais rien.

– Une demi-pistole, dit d’Artagnan, si tu peux le savoir.

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– Pour moi ! dit l’enfant dont les yeux étincelèrent de joie, si je puis savoir où va Bazin ! ce n’est pas difficile. Vous ne vous moquez pas de moi ?

– Non, foi d’officier, tiens, voilà la demi-pistole.

Et il lui montra la pièce corruptrice, mais sans cependant la lui donner.

– Je vais lui demander.

– C’est justement le moyen de ne rien savoir, dit

d’Artagnan ; attends qu’il soit parti, et puis après, dame ! questionne, interroge, informe-toi. Cela te regarde, la demi-pistole est là. Et il la remit dans sa poche.

– Je comprends, dit l’enfant avec ce sourire narquois qui n’appartient qu’au gamin de Paris ; eh bien ! on attendra.

On n’eut pas à attendre longtemps. Cinq minutes après, Bazin partit au petit trot, activant le pas de son cheval à coups de parapluie.

Bazin avait toujours eu l’habitude de porter un parapluie en guise de cravache.

À peine eut-il tourné le coin de la rue de la Juiverie, que l’enfant s’élança comme un limier sur sa trace.

D’Artagnan reprit sa place à la table où il s’était assis en entrant, parfaitement sûr qu’avant dix minutes il saurait ce qu’il voulait savoir.

En effet, avant que ce temps fût écoulé, l’enfant rentrait.

– Eh bien ? demanda d’Artagnan.

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– Eh bien, dit le petit garçon, on sait la chose.

– Et où est-il allé ?

– La demi-pistole est toujours pour moi ?

– Sans doute ! réponds.

– Je demande à la voir. Prêtez-la-moi, que je voie si elle n’est pas fausse.

– La voilà.

– Dites donc, bourgeois, dit l’enfant, monsieur demande de la monnaie.

Le bourgeois était à son comptoir, il donna la monnaie et prit la demi-pistole.

L’enfant mit la monnaie dans sa poche.

– Et maintenant, où est-il allé ? dit d’Artagnan, qui l’avait regardé faire son petit manège en riant.

– Il est allé à Noisy.

– Comment sais-tu cela ?

– Ah ! pardié ! il n’a pas fallu être bien malin. J’avais reconnu le cheval pour être celui du boucher qui le loue de temps en temps à M. Bazin. Or, j’ai pensé que le boucher ne louait pas son cheval comme cela sans demander où on le conduisait, quoique je ne croie pas M. Bazin capable de surmener un cheval.

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– Et il t’a répondu que M. Bazin…

– Allait à Noisy. D’ailleurs il paraît que c’est son habitude, il y va deux ou trois fois par semaine.

– Et connais-tu Noisy ?

– Je crois bien, j’y ai ma nourrice.

– Y a-t-il un couvent à Noisy ?

– Et un fier, un couvent de jésuites.

– Bon, fit d’Artagnan, plus de doute !

– Alors, vous êtes content ?

– Oui. Comment t’appelle-t-on ?

– Friquet.

D’Artagnan prit ses tablettes et écrivit le nom de l’enfant et l’adresse du cabaret.

– Dites donc, monsieur l’officier, dit l’enfant, est-ce qu’il y a encore d’autres demi-pistoles à gagner ?

– Peut-être, dit d’Artagnan.

Et comme il avait appris ce qu’il voulait savoir, il paya la mesure d’hypocras, qu’il n’avait point bue, et reprit vivement le chemin de la rue Tiquetonne.

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IX. Comment d’Artagnan, en cherchant bien

loin Aramis, s’aperçut qu’il était en croupe

derrière Planchet

En rentrant, d’Artagnan vit un homme assis au coin du

feu : c’était Planchet, mais Planchet si bien métamorphosé, grâce aux vieilles hardes qu’en fuyant le mari avait laissées, que lui-même avait peine à le reconnaître. Madeleine le lui présenta à la vue de tous les garçons. Planchet adressa à l’officier une belle phrase flamande, l’officier lui répondit par quelques paroles qui n’étaient d’aucune langue, et le marché fut conclu. Le frère de Madeleine entrait au service de d’Artagnan.

Le plan de d’Artagnan était parfaitement arrêté : il ne voulait pas arriver de jour à Noisy, de peur d’être reconnu. Il avait donc du temps devant lui, Noisy n’étant situé qu’à trois ou quatre lieues de Paris, sur la route de Meaux.

Il commença par déjeuner substantiellement, ce qui peut être un mauvais début quand on veut agir de la tête, mais ce qui est une excellente précaution lorsqu’on veut agir de son corps ; puis il changea d’habit, craignant que sa casaque de lieutenant de mousquetaires n’inspirât de la défiance ; puis il prit la plus forte et la plus solide de ses trois épées, qu’il ne prenait qu’aux grands jours ; puis, vers les deux heures, il fit seller les deux chevaux, et, suivi de Planchet, il sortit par la barrière de la Vil-lette. On faisait toujours, dans la maison voisine de l’hôtel de La Chevrette, les perquisitions les plus actives pour retrouver Planchet.

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À une lieue et demie de Paris, d’Artagnan, voyant que dans son impatience il était encore parti trop tôt, s’arrêta pour faire souffler les chevaux ; l’auberge était pleine de gens d’assez mauvaise mine qui avaient l’air d’être sur le point de tenter quelque expédition nocturne. Un homme enveloppé d’un manteau parut à la porte ; mais voyant un étranger, il fit un signe de la main et deux buveurs sortirent pour s’entretenir avec lui.

Quant à d’Artagnan, il s’approcha de la maîtresse de la maison insoucieusement, vanta son vin, qui était d’un horrible cru de Montreuil, lui fit quelques questions sur Noisy, et apprit qu’il n’y avait dans le village que deux maisons de grande apparence : l’une qui appartenait à monseigneur l’archevêque de Paris, et dans laquelle se trouvait en ce moment sa nièce, madame la duchesse de Longueville ; l’autre qui était un couvent de jé-

suites, et qui, selon l’habitude, était la propriété de ces dignes pères ; il n’y avait pas à se tromper.

À quatre heures, d’Artagnan se remit en route, marchant au pas, car il ne voulait arriver qu’à nuit close. Or, quand on marche au pas à cheval, par une journée d’hiver, par un temps gris, au milieu d’un paysage sans accident, on n’a guère rien de mieux à faire que ce que fait, comme dit La Fontaine, un lièvre dans son gîte : à songer ; d’Artagnan songeait donc, et Planchet aussi. Seulement, comme on va le voir, leurs rêveries étaient différentes.

Un mot de l’hôtesse avait imprimé une direction particu-lière aux pensées de d’Artagnan ; ce mot, c’était le nom de madame de Longueville.

En effet, madame de Longueville avait tout ce qu’il fallait pour faire songer : c’était une des plus grandes dames du royaume, c’était une des plus belles femmes de la cour. Mariée au vieux duc de Longueville qu’elle n’aimait pas, elle avait d’abord passé pour être la maîtresse de Coligny, qui s’était fait