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– Vous croyez, dit Aramis en riant, c’est possible ; vous n’imaginez pas, mon cher, combien dans ces maudits couvents on prend de mauvaises habitudes et quelles méchantes façons ont tous ces gens d’Église avec lesquels je suis forcé de vivre !

mais vous ne montez pas ?

– Passez devant, je vous suis.

– Comme disait le feu cardinal au feu roi : « Pour vous montrer le chemin, sire. »

Et Aramis monta lestement à l’échelle, et en un instant il eut atteint la fenêtre.

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D’Artagnan monta derrière lui, mais plus doucement ; on voyait que ce genre de chemin lui était moins familier qu’à son ami.

– Pardon, dit Aramis en remarquant sa gaucherie : si

j’avais su avoir l’honneur de votre visite, j’aurais fait apporter l’échelle du jardinier ; mais pour moi seul, celle-ci est suffisante.

– Monsieur, dit Planchet lorsqu’il vit d’Artagnan sur le point d’achever son ascension, cela va bien pour M. Aramis, cela va encore pour vous, cela, à la rigueur, irait aussi pour moi, mais les deux chevaux ne peuvent pas monter l’échelle.

– Conduisez-les sous ce hangar, mon ami, dit Aramis en montrant à Planchet une espèce de fabrique qui s’élevait dans la plaine, vous y trouverez de la paille et de l’avoine pour eux.

– Mais pour moi ? dit Planchet.

– Vous reviendrez sous cette fenêtre, vous frapperez trois fois dans vos mains, et nous vous ferons passer des vivres. Soyez tranquille, morbleu ! on ne meurt pas de faim ici, allez !

Et Aramis, retirant l’échelle, ferma la fenêtre.

D’Artagnan examinait la chambre.

Jamais il n’avait vu appartement plus guerrier à la fois et plus élégant. À chaque angle étaient des trophées d’armes offrant à la vue et à la main des épées de toutes sortes, et quatre grands tableaux représentaient dans leurs costumes de bataille le cardinal de Lorraine, le cardinal de Richelieu, le cardinal de La Valette et l’archevêque de Bordeaux. Il est vrai qu’au surplus rien n’indiquait la demeure d’un abbé ; les tentures étaient de damas, les tapis venaient d’Alençon et le lit surtout avait plutôt

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l’air du lit d’une petite-maîtresse, avec sa garniture de dentelle et son couvre-pied, que de celui d’un homme qui avait fait vœu de gagner le ciel par l’abstinence et la macération.

– Vous regardez mon bouge, dit Aramis. Ah ! mon cher, excusez-moi. Que voulez-vous ! je suis logé comme un chartreux.

Mais que cherchez-vous des yeux ?

– Je cherche qui vous a jeté l’échelle ; je ne vois personne, et cependant l’échelle n’est pas venue toute seule.

– Non, c’est Bazin.

– Ah ! ah ! fit d’Artagnan.

– Mais, continua Aramis, monsieur Bazin est un garçon

bien dressé, qui, voyant que je ne rentrais pas seul, se sera retiré par discrétion. Asseyez-vous, mon cher, et causons.

Et Aramis poussa à d’Artagnan un large fauteuil, dans lequel celui-ci s’allongea en s’accoudant.

– D’abord, vous soupez avec moi, n’est-ce pas ? demanda Aramis.

– Oui, si vous le voulez bien, dit d’Artagnan, et même ce se-ra avec grand plaisir, je vous l’avoue ; la route m’a donné un appétit de diable.

– Ah ! mon pauvre ami ! dit Aramis, vous trouverez maigre chère, on ne vous attendait pas.

– Est-ce que je suis menacé de l’omelette de Crèvecœur et des théobromes en question ? N’est-ce pas comme cela que vous appeliez autrefois les épinards ?

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– Oh ! il faut espérer, dit Aramis, qu’avec l’aide de Dieu et de Bazin nous trouverons quelque chose de mieux dans le garde-manger des dignes pères jésuites.

– Bazin, mon ami, dit Aramis, Bazin, venez ici.

La porte s’ouvrit et Bazin parut ; mais, en apercevant d’Artagnan, il poussa une exclamation qui ressemblait à un cri de désespoir.

– Mon cher Bazin, dit d’Artagnan, je suis bien aise de voir avec quel admirable aplomb vous mentez, même dans une

église.

– Monsieur, dit Bazin, j’ai appris des dignes pères jésuites qu’il était permis de mentir lorsqu’on mentait dans une bonne intention.

– C’est bien, c’est bien, Bazin, d’Artagnan meurt de faim et moi aussi, servez-nous à souper de votre mieux, et surtout, montez-nous du bon vin.

Bazin s’inclina en signe d’obéissance, poussa un gros soupir et sortit.

– Maintenant que nous voilà seuls, mon cher Aramis, dit d’Artagnan en ramenant ses yeux de l’appartement au proprié-

taire et en achevant par les habits l’examen commencé par les meubles, dites-moi, d’où diable veniez-vous lorsque vous êtes tombé en croupe derrière Planchet ?

– Eh ! corbleu ! dit Aramis, vous le voyez bien, du ciel !

– Du ciel ! reprit d’Artagnan en hochant la tête, vous ne m’avez pas plus l’air d’en revenir que d’y aller.

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– Mon cher, dit Aramis avec un air de fatuité que

d’Artagnan ne lui avait jamais vu du temps qu’il était mousquetaire, si je ne venais pas du ciel, au moins je sortais du paradis : ce qui se ressemble beaucoup.

– Alors voilà les savants fixés, reprit d’Artagnan. Jusqu’à présent on n’avait pas su s’entendre sur la situation positive du paradis : les uns l’avaient placé sur le mont Ararat ; les autres entre le Tigre et l’Euphrate ; il parait qu’on le cherchait bien loin tandis qu’il était bien près. Le paradis est à Noisy-le-Sec, sur l’emplacement du château de M. l’archevêque de Paris. On en sort non point par la porte, mais par la fenêtre ; on en descend non par les degrés de marbre d’un péristyle, mais par les branches d’un tilleul, et l’ange à l’épée flamboyante qui le garde m’a bien l’air d’avoir changé son nom céleste de Gabriel en celui plus terrestre de prince de Marcillac.

Aramis éclata de rire.

– Vous êtes toujours joyeux compagnon, mon cher, dit-il, et votre spirituelle humeur gasconne ne vous a pas quitté. Oui, il y a bien un peu de tout cela dans ce que vous me dites ; seulement, n’allez pas croire au moins que ce soit de madame de Longueville que je sois amoureux.

– Peste, je m’en garderai bien ! dit d’Artagnan. Après avoir été si longtemps amoureux de madame de Chevreuse, vous n’auriez pas été porter votre cœur à sa plus mortelle ennemie.

– Oui, c’est vrai, dit Aramis d’un air détaché, oui, cette pauvre duchesse, je l’ai fort aimée autrefois, et il faut lui rendre cette justice, qu’elle nous a été fort utile ; mais, que voulez-vous ! il lui a fallu quitter la France. C’était un si rude jouteur que ce damné cardinal ! continua Aramis en jetant un coup d’œil sur le portrait de l’ancien ministre : il avait donné l’ordre de l’arrêter et de la conduire au château de Loches ; il lui eût fait

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trancher la tête, sur ma foi, comme à Chalais, à Montmorency et à Cinq-Mars ; elle s’est sauvée déguisée en homme, avec sa femme de chambre, cette pauvre Ketty ; il lui est même arrivé, à ce que j’ai entendu dire, une étrange aventure dans je ne sais quel village, avec je ne sais quel curé à qui elle demandait l’hospitalité, et qui, n’ayant qu’une chambre et la prenant pour un cavalier, lui a offert de la partager avec elle. C’est qu’elle portait d’une façon incroyable l’habit d’homme, cette chère Marie.

Je ne connais qu’une femme qui le porte aussi bien ; aussi avait-on fait ce couplet sur elle :

Laboissière, dis-moi…

– Vous le connaissez ?