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– Si fait, mon cher, mais la nature l’a emporté. Quand je suis en chaire et que par hasard une jolie femme me regarde, je la regarde ; si elle sourit, je souris aussi. Alors je bats la campagne ; au lieu de parler des tourments de l’enfer, je parle des joies du paradis. Eh ! tenez, la chose m’est arrivée un jour à l’église Saint-Louis au Marais… Un cavalier m’a ri au nez, je me suis interrompu pour lui dire qu’il était un sot. Le peuple est sorti

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pour ramasser des pierres ; mais pendant ce temps j’ai si bien retourné l’esprit des assistants, que c’est lui qu’ils ont lapidé. Il est vrai que le lendemain il s’est présenté chez moi, croyant avoir affaire à un abbé comme tous les abbés.

– Et qu’est-il résulté de sa visite ? dit d’Artagnan en se tenant les côtes de rire.

– Il en est résulté que nous avons pris pour le lendemain soir rendez-vous sur la place Royale ! Eh ! pardieu, vous en savez quelque chose.

– Serait-ce, par hasard, contre cet impertinent que je vous aurais servi de second ? demanda d’Artagnan.

– Justement. Vous avez vu comme je l’ai arrangé.

– En est-il mort ?

– Je n’en sais rien. Mais en tout cas je lui avais donné l’absolution in articulo mortis. C’est assez de tuer le corps sans tuer l’âme.

Bazin fit un signe de désespoir qui voulait dire qu’il approuvait peut-être cette morale, mais qu’il désapprouvait fort le ton dont elle était faite.

– Bazin, mon ami, vous ne remarquez pas que je vous vois dans cette glace, et qu’une fois pour toutes je vous ai interdit tout signe d’approbation ou d’improbation. Vous allez donc me faire le plaisir de nous servir le vin d’Espagne et de vous retirer chez vous. D’ailleurs, mon ami d’Artagnan a quelque chose de secret à me dire. N’est-ce pas, d’Artagnan ?

D’Artagnan fit signe de la tête que oui, et Bazin se retira après avoir posé le vin d’Espagne sur la table.

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Les deux amis, restés seuls, demeurèrent un instant silencieux en face l’un de l’autre. Aramis semblait attendre une douce digestion. D’Artagnan préparait son exorde. Chacun d’eux, lorsque l’autre ne le regardait pas, risquait un coup d’œil en dessous.

Aramis rompit le premier le silence.

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XI. Les deux Gaspards

– À quoi songez-vous, d’Artagnan, dit-il, et quelle pensée vous fait sourire ?

– Je songe, mon cher, que lorsque vous étiez mousquetaire, vous tourniez sans cesse à l’abbé, et qu’aujourd’hui que vous êtes abbé, vous me paraissez tourner fort au mousquetaire.

– C’est vrai, dit Aramis en riant. L’homme, vous le savez, mon cher d’Artagnan, est un étrange animal, tout composé de contrastes. Depuis que je suis abbé, je ne rêve plus que batailles.

– Cela se voit à votre ameublement : vous avez là des rapiè-

res de toutes les formes et pour les goûts les plus difficiles. Est-ce que vous tirez toujours bien ?

– Moi, je tire comme vous tiriez autrefois, mieux encore peut-être. Je ne fais que cela toute la journée.

– Et avec qui ?

– Avec un excellent maître d’armes que nous avons ici.

– Comment, ici ?

– Oui, ici, dans ce couvent, mon cher. Il y a de tout dans un couvent de jésuites.

– Alors vous auriez tué M. de Marcillac s’il fût venu vous attaquer seul, au lieu de tenir tête à vingt hommes ?

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– Parfaitement, dit Aramis, et même à la tête de ses vingt hommes, si j’avais pu dégainer sans être reconnu.

– Dieu me pardonne, dit tout bas d’Artagnan, je crois qu’il est devenu plus Gascon que moi.

Puis tout haut :

– Eh bien ! mon cher Aramis, vous me demandez pourquoi je vous cherchais ?

– Non, je ne vous le demandais pas, dit Aramis avec son air fin, mais j’attendais que vous me le dissiez.

– Eh bien, je vous cherchais pour vous offrir tout uniquement un moyen de tuer M. de Marcillac, quand cela vous fera plaisir, tout prince qu’il est.

– Tiens, tiens, tiens ! dit Aramis, c’est une idée, cela.

– Dont je vous invite à faire votre profit, mon cher.

Voyons ! avec votre abbaye de mille écus et les douze mille livres que vous vous faites en vendant des sermons, êtes-vous riche ?

répondez franchement.

– Moi ! je suis gueux comme Job, et en fouillant poches et coffres, je crois que vous ne trouveriez pas ici cent pistoles.

– Peste, cent pistoles ! se dit tout bas d’Artagnan, il appelle cela être gueux comme Job ! Si je les avais toujours devant moi, je me trouverais riche comme Crésus.

Puis, tout haut :

– Êtes-vous ambitieux ?

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– Comme Encelade.

– Eh bien ! mon ami, je vous apporte de quoi être riche, puissant, et libre de faire tout ce que vous voudrez.

L’ombre d’un nuage passa sur le front d’Aramis aussi rapide que celle qui flotte en août sur les blés ; mais si rapide qu’elle fût, d’Artagnan la remarqua.

– Parlez, dit Aramis.

– Encore une question auparavant. Vous occupez-vous de politique ?

Un éclair passa dans les yeux d’Aramis, rapide comme

l’ombre qui avait passé sur son front, mais pas si rapide cependant que d’Artagnan ne le vit.

– Non, répondit Aramis.

– Alors toutes propositions vous agréeront, puisque vous n’avez pour le moment d’autre maître que Dieu, dit en riant le Gascon.

– C’est possible.

– Avez-vous, mon cher Aramis, songé quelquefois à ces

beaux jours de notre jeunesse que nous passions riant, buvant ou nous battant ?

– Oui, certes, et plus d’une fois je les ai regrettés. C’était un heureux temps, delectabile tempus !

– Eh bien, mon cher, ces beaux jours peuvent renaître, cet heureux temps peut revenir ! J’ai reçu mission d’aller trouver

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mes compagnons, et j’ai voulu commencer par vous, qui étiez l’âme de notre association.

Aramis s’inclina plus poliment qu’affectueusement.

– Me remettre dans la politique ! dit-il d’une voix mou-rante et en se renversant sur son fauteuil. Ah ! cher d’Artagnan, voyez comme je vis régulièrement et à l’aise. Nous avons essuyé l’ingratitude des grands, vous le savez !

– C’est vrai, dit d’Artagnan ; mais peut-être les grands se repentent-ils d’avoir été ingrats.

– En ce cas, dit Aramis, ce serait autre chose. Voyons ! à tout péché miséricorde. D’ailleurs, vous avez raison sur un point : c’est que si l’envie nous reprenait de nous mêler des affaires d’État, le moment, je crois, serait venu.

– Comment savez-vous cela, vous qui ne vous occupez pas de politique ?

– Eh ! mon Dieu ! sans m’en occuper personnellement, je vis dans un monde où l’on s’en occupe. Tout en cultivant la poé-

sie, tout en faisant l’amour, je me suis lié avec M. Sarazin, qui est à M. de Conti ; avec M. Voiture qui est au coadjuteur, et avec M. de Bois-Robert, qui, depuis qu’il n’est plus à M. le cardinal de Richelieu, n’est à personne ou est à tout le monde, comme vous voudrez ; en sorte que le mouvement politique ne m’a pas tout à fait échappé.

– Je m’en doutais, dit d’Artagnan.

– Au reste, mon cher, ne prenez tout ce que je vais vous dire que pour parole de cénobite, d’homme qui parle comme un écho, en répétant purement et simplement ce qu’il a entendu dire, reprit Aramis. J’ai entendu dire que dans ce moment-ci le