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– Eh bien ! tenez, mon cher, dit d’Artagnan, votre philosophie me gagne, parole d’honneur, et je ne sais pas quelle diable de mouche d’ambition m’avait piqué ; j’ai une espèce de charge qui me nourrit ; je puis, à la mort de ce pauvre M. de Tréville, qui se fait vieux, devenir capitaine ; c’est un fort joli bâton de maréchal pour un cadet de Gascogne, et je sens que je me rattache aux charmes du pain modeste mais quotidien : au lieu de courir les aventures, eh bien ! j’accepterai les invitations de Porthos, j’irai chasser dans ses terres ; vous savez qu’il a des terres, Porthos ?

– Comment donc ! je crois bien. Dix lieues de bois, de marais et de vallées ; il est seigneur du mont et de la plaine, et il plaide pour droits féodaux contre l’évêque de Noyon.

– Bon, dit d’Artagnan à lui-même, voilà ce que je voulais savoir ; Porthos est en Picardie.

Puis tout haut :

– Et il a repris son ancien nom de du Vallon ?

– Auquel il a ajouté celui de Bracieux, une terre qui a été baronnie, par ma foi !

– De sorte que nous verrons Porthos baron.

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– Je n’en doute pas. La baronne Porthos surtout est admirable.

Les deux amis éclatèrent de rire.

– Ainsi, reprit d’Artagnan, vous ne voulez pas passer au Mazarin ?

– Ni vous aux princes ?

– Non. Ne passons à personne, alors, et restons amis ; ne soyons ni cardinalistes ni frondeurs.

– Oui, dit Aramis, soyons mousquetaires.

– Même avec le petit collet, reprit d’Artagnan.

– Surtout avec le petit collet ! s’écria Aramis, c’est ce qui en fait le charme.

– Alors donc, adieu, dit d’Artagnan.

– Je ne vous retiens pas, mon cher, dit Aramis, vu que je ne saurais où vous coucher, et que je ne puis décemment vous offrir la moitié du hangar de Planchet.

– D’ailleurs je suis à trois lieues à peine de Paris, les chevaux sont reposés, et en moins d’une heure je serai rendu.

Et d’Artagnan se versa un dernier verre de vin.

– À notre ancien temps ! dit-il.

– Oui, reprit Aramis, malheureusement c’est un temps passé… fugit irreparabile tempus …

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– Bah ! dit d’Artagnan, il reviendra peut-être. En tout cas, si vous avez besoin de moi, rue Tiquetonne, hôtel de La Chevrette.

– Et moi au couvent des jésuites : de six heures du matin à huit heures du soir, par la porte ; de huit heures du soir à six heures du matin, par la fenêtre.

– Adieu, mon cher.

– Oh ! je ne vous quitte pas ainsi, laissez-moi vous reconduire.

Et il prit son épée et son manteau.

– Il veut s’assurer que je pars, dit en lui-même d’Artagnan.

Aramis siffla Bazin, mais Bazin dormait dans l’antichambre sur les restes de son souper, et Aramis fut forcé de le secouer par l’oreille pour le réveiller.

Bazin étendit les bras, se frotta les yeux et essaya de se ren-dormir.

– Allons, allons, maître dormeur, vite l’échelle.

– Mais, dit Bazin en bâillant à se démonter la mâchoire, elle est restée à la fenêtre, l’échelle.

– L’autre, celle du jardinier : n’as-tu pas vu que d’Artagnan a eu peine à monter et aura encore plus grand’peine à descendre ?

D’Artagnan allait assurer Aramis qu’il descendrait fort bien, lorsqu’il lui vint une idée ; cette idée fit qu’il se tut.

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Bazin poussa un profond soupir et sortit pour aller chercher l’échelle. Un instant après, une bonne et solide échelle de bois était posée contre la fenêtre.

– Allons donc, dit d’Artagnan, voilà ce qui s’appelle un moyen de communication, une femme monterait à une échelle comme celle-là.

Un regard perçant d’Aramis sembla vouloir aller chercher la pensée de son ami jusqu’au fond de son cœur, mais

d’Artagnan soutint ce regard avec un air d’admirable naïveté.

D’ailleurs en ce moment il mettait le pied sur le premier échelon de l’échelle et descendait.

En un instant il fut à terre. Quant à Bazin, il demeura à la fenêtre.

– Reste là, dit Aramis, je reviens.

Tous deux s’acheminèrent vers le hangar : à leur approche Planchet sortit, tenant en bride les deux chevaux.

– À la bonne heure, dit Aramis, voilà un serviteur actif et vigilant ; ce n’est pas comme ce paresseux de Bazin, qui n’est plus bon à rien depuis qu’il est homme d’Église Suivez-nous, Planchet ; nous allons en causant jusqu’au bout du village.

Effectivement, les deux amis traversèrent tout le village en causant de choses indifférentes ; puis, aux dernières maisons :

– Allez donc, cher ami, dit Aramis, suivez votre carrière, la fortune vous sourit, ne la laissez pas échapper ; souvenez-vous que c’est une courtisane, et traitez-la en conséquence ; quant à moi, je reste dans mon humilité et dans ma paresse ; adieu.

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– Ainsi, c’est bien décidé, dit d’Artagnan, ce que je vous ai offert ne vous agrée point ?

– Cela m’agréerait fort, au contraire, dit Aramis, si j’étais un homme comme un autre, mais, je vous le répète, en vérité je suis un composé de contrastes : ce que je hais aujourd’hui, je l’adorerai demain, et vice versa. Vous voyez bien que je ne puis m’engager comme vous, par exemple, qui avez des idées arrê-

tées. – Tu mens, sournois, se dit à lui-même d’Artagnan : tu es le seul, au contraire, qui saches choisir un but et qui y marches obscurément.

– Adieu donc, mon cher, continua Aramis, et merci de vos excellentes intentions, et surtout des bons souvenirs que votre présence a éveillés en moi.

Ils s’embrassèrent. Planchet était déjà à cheval. D’Artagnan se mit en selle à son tour, puis ils se serrèrent encore une fois la main. Les cavaliers piquèrent leurs chevaux et s’éloignèrent du côté de Paris.

Aramis resta debout et immobile sur le milieu du pavé jusqu’à ce qu’il les eût perdus de vue.

Mais, au bout de deux cents pas, d’Artagnan s’arrêta court, sauta à terre, jeta la bride de son cheval au bras de Planchet, et prit ses pistolets dans ses fontes, qu’il passa à sa ceinture.

– Qu’avez-vous donc, monsieur ? dit Planchet tout effrayé.

– J’ai que, si fin qu’il soit, dit d’Artagnan, il ne sera pas dit que je serai sa dupe. Reste ici et ne bouge pas ; seulement mets-toi sur le revers du chemin et attends-moi.

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À ces mots, d’Artagnan s’élança de l’autre côté du fossé qui bordait la route, et piqua à travers la plaine de manière à tourner le village. Il avait remarqué entre la maison qu’habitait madame de Longueville et le couvent des jésuites un espace vide qui n’était fermé que par une haie.

Peut-être une heure auparavant eût-il eu de la peine à retrouver cette haie, mais la lune venait de se lever, et quoique de temps en temps elle fût couverte par des nuages, on y voyait, même pendant les obscurcies, assez clair pour retrouver son chemin.

D’Artagnan gagna donc la haie et se cacha derrière. En passant devant la maison où avait eu lieu la scène que nous avons racontée, il avait remarqué que la même fenêtre s’était éclairée de nouveau, et il était convaincu qu’Aramis était pas encore rentré chez lui, et que, lorsqu’il y rentrerait, il n’y rentrerait pas seul.