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— En effet.

— Donc, je peux me permettre un gueuleton à tout casser sans faillir à mon devoir ?

— Tu y as droit ! Fais ton menu, Pinaud ira au pays chercher ce que tu désires…

Une immense béatitude se lit aussitôt sur la frime ravagée du fakir.

— Eh bien ? demande gentiment la Vieillasse en lui bassinant les tempes où perlent encore les ultimes gouttes de sueur.

— Bouscule-moi pas : je pense, susurre le Désenflé d'une voix lointaine.

Il remue faiblement les lèvres.

— Pour commencer, avant toute chose, y me faudrait une bouteille de Muscadet bien frappée, annonce-t-il.

— Tu l'auras, promet la Pinuche.

— Ensuite, mon repas, je compte l'attaquer à la sournoise, dans le léger pour me réduquer les mandibules. Tiens, je démarrerais bien par une paire d'andouillettes…

— D'accord.

— Et puis tu ramèneras une choucroute garnie, Pinaud. Mais pas garnie façon petite bêcheuse, surtout ? Je vois du lard, beaucoup de lard, du fumé, du pas fumé, du demi-sel ; un jambonneau, aussi et surtout : bien gras…

— Avec des francforts ?

— Un chapelet complet, comme pour une neuvaine, Mec ! Le reste du menu, je le laisse à ton espérience, mais une supposition que tu dénichasses une belle côte de bœuf, ce serait pas plus bête qu'aut' chose…

Nous le portons sur son lit. Maintenant je sais qu'il passera à travers les barreaux ! Il convient donc de préserver cette marge de sécurité si rudement acquise.

— Ne rapporte que la côte de bœuf, chuchoté-je à l'oreille de Pinuche.

— Mais que dira-t-il ? s'inquiète le Trémoleur.

— Rien, puisqu'il aura la bouche pleine.

J'ajoute, pour calmer les scrupules du bonhomme.

— Un trop gros repas, dans son état, pourrait avoir de funestes conséquences.

Le bigophone grelotte. C'est le Vieux qui me rancarde à propos d'Alfred. Le pommadin vient d'être placé sous une tente à oxygène. On lui file du sérum et du raisin par tous les tuyaux pour essayer de le requinquer. Si dans 48 plombes il s'est cramponné, on se risquera à le trépaner. Le Raclé a filé une méchante Armada de Roycos sur cette affaire ; mais il exige qu'on s'embarque dure-dure pour l'Amérique du Sud, Béru, Marie-Marie et Bibi. Il sait que lorsque le Tout-maigre sera rendu à la vie civile il voudra revoir son équipière. On serait obligé de le mettre au parfum et, dès lors, fou d'anxiété, il deviendrait bon à nibe pour sa mission. Le plus sage est de lui préserver le mental en l'embarquant dès cette noye. Nos places sont retenues. On parachèvera son entraînement là-bas…

A mon sens, la précaution est bonne.

— Pinaud n'est pas du voyage ? m'enquièrs-je.

— Non, fait le Boss ; tout comte fait je préfère le mettre également sur l'enquête du salon de coiffure car il offre l'avantage de parfaitement connaître les protagonistes de ce drame.

Je toussote avant de déballer le plus gros.

— Vous savez, monsieur le directeur, que Bérurier a encore perdu neuf kilos. Il peut désormais passer sans difficulté entre ces satanées cellules photo-électriques, si bien qu'il est superflu que nous nous encombrions de cette gosse.

Une espèce de petit léopard fulgure dans la pièce. C'est Marie-Marie.

Avant que j'aie eu le temps de la reconnaître, elle m'a déjà arraché l'appareil des mains.

— C't' un menteur, m'sieur ! clame le monstre. Mon oncle' a maigri, c'est vrai, seulement il est tellement ramolli qu'il pourrait pas traverser, le terrain de fotebal de Savigny sans déclencher les signals électriques si on en mettrait seulement un à chaque bout. Non, croyez-moi : vous feriez une connerie en m'envoyant pas là-bas !

CHAPITRE IV

C'EST AU PIED DU MUR QU'ON VOIT LE COLIMAÇON

L'hacienda de don Enhespez, notre correspondant rondubrazien, est située à une quarantaine de kilomètres à vol d'oiseau, à une cinquantaine à reptation de serpent et à une soixantaine à marche de facteur rural, de la base Santa-Maria Kestuféla.

C'est un vaste domaine qui s'étend sur la rive opposée du lac Papabezpa, lequel aurait pu être le plus grand d'Europe s'il ne se trouvait en Amérique du Sud.

Étrange homme en vérité que ce don Enhespez. Très grand, très maigre, très jaune de peau, très blanc de poil, très ridé de partout il fait penser, aux dires de Béru, à un serment de vigne. Vêtu d'un pantalon de velours et, comme l'a écrit Ponson du Terrail, d'une chemise de la même couleur, chaussé de bottes de gaucho — en accordéon —, la taille ceinte d'une cartouchière aux incrustations de cuivre, le personnage a tout ce qu'il faut pour entrer dans la légende et y trouver une place assise.

Je connais son curriculum dans les grandes lignes, comme disait un gars travaillant aux P. et T. En réalité don Enhespez est français. C'est un ancien bagnard expédié à Saint-Laurent-du-Maroni pour y purger vingt ans malgré ses protestations d'innocence. Comprenant que ça n'est pas avec une forte dose de sulfate de soude qu'il les purgerait, le bagnard préféra s'évader et atteignit sans trop d'encombrés (la circulation à l'époque n'étant pas ce qu'elle est devenue, dirait Monseigneur Françaijevousai, l'homme au pif en forme de Bretagne), le Rondubraz. Pérégrinateur-né, il parvint jusqu'à San-Kriégar où il se plaça comme valet d'écurie dans ce domaine qui maintenant est le sien. A l'époque, la propriété appartenait à une riche vieille veuve du nom d'Isabelle Silroa-Savéssa y Godré, dont les aïeux, non seulement remontaient à Christophe Colomb, mais encore plus haut ! Histoire classique du plongeur devenant patron de l'hôtel. Notre ami s'embourba mémère, la réussit admirablement et la dame, les yeux cernés par la reconnaissance, le coucha sur son testament après l'avoir couché dans son plumezingue. Mais cette réussite sociale n'apaisa pas l'amertume de don Enhespez. Il refusait d'être un bagnard en rupture de bang et continua à distance de clamer son innocence, tant est si bien que le Vieux (encore jeune à l'époque), intéressé par son cas, se livra à une contre-enquête et démontra l'innocence de notre hôte. Réhabilitation, musique et morgues ! Entre les deux hommes, ce fut à la vie à la mort.

Vous comprenez donc que nous possédons en don Enhespez un allié à toute épreuve. C'est pour vous démontrer la chose que je me suis permis ce bref résumé de sa vie. Ne m'en veuillez pas, j'agis pour votre bien.

Assis à califourchon sur une selle de cheval servant de tabouret, don Enhespez regarde évoluer le maigre Bérurier, quasiment nu dans un slip trop grand. La peau du Mastar fait des vagues. Il pend comme un pébroque à la renverse, le chéri. Fini son durillon de comptoir ! Envolé ses cuissots plantureux. Il ressemble désormais à un tube de pâte dentifrice vidé. Il a le dos arqué par la faiblesse, les oreilles trop grandes, le nez perdu dans un visage où s'obstinent des roseurs… Il se déplace en grand malade pour qui aller aux voitères représente une traversée saharienne.

— Eh bien, Pépère, l'encouragé-je : qu'attends-tu pour passer tes nouvelles fringues ?

Béru, hoche la tête.

— Je veux bien que j'ai fondu, mais de là à entrer dans ce futal, Mec… Même avec un chausse-pattes et de la vaseline j'y parviendrais pas !

— Ce sont pourtant des vêtements à vos mesures, observe don Enhespez.

— Allons, allons ! Les mesures d'un garçonnet, voui ! ronchonne le Transparent.

Lentement il passe ses cannes dans le pantalon, remonte celui-ci et s'éberlue en constatant qu'il peut le fermer.

— Calamitas, soupire-t-il, c'est donc si grave !

Il secoue tristement la tête.

— Je me remonterai jamais, Gars. J' sus devenu de la graine de sana avec vos saunas.

— Dis donc, Krackzek…