Je me toussote dans le creux de la pogne ainsi que se doit de le faire un orateur pour montrer à son auditoire qu'il se surmène les muqueuses.
— Ce qu'est le sulfocradingue, messieurs, est-il besoin de le préciser ? Ce minerai récemment expérimenté dans la recherche nucléaire, et dont la rareté fait peine à voir, constitue un élément primordial de décafotillage inducteur dans la fabrication de la bombe H 2S. En résumé, il est absolument certain que la nation possédant une certaine réserve de sulfocradingue se hissera rapidement à la première place dans le domaine nucléaire. Est-ce clair ?
Ils opinent avec la gravité souhaitée.
— Parfait, ponctué-je. Lorsque les deux géologues français firent cette découverte, ils en informèrent notre gouvernement, lequel prit aussitôt contact avec le gouvernement rondubrazien afin de lui proposer une exploitation commune du gisement. Alors que les pourparlers prenaient un tour favorable, le gouvernement de ce pays fut renversé le parti socialo-hystérico-moileté s'empara du pouvoir.
— Hélas, hélas, hélas, soupire don Enhespez qui a des lettres.
Je continue en montant la voix car Bérurier parait s'assoupir.
— Les pourparlers avec notre vaillant pays venu du fond des âges, fort de quatorze siècles de grandeur et si sublimement personnifié par cet instrument du destin qu'est le général de Gaulle…
Un bruit de fuite. C'est Enhespez qui pleure sur le parquet.
— Les pourparlers avec notre pays furent rompus, reprends-je. Et le nouveau régime se tourna dès lors vers la Chine. Si bien qu'à l'heure où je parle, ce sont les Chinois qui extraient le sulfocradingue. Comme le soulignait si pertinemment le président Enhespez il y a un instant au plus, les Américains sont au courant du fait mais ne font rien pour enrayer ce stockage d'une matière minérale propre à faire sauter la planète qui l'a engendrée. La Russie a bien tenté quelques discrets coups de main sur la base : las, ceux-ci furent annihilés par les mesures de protection chinoises. Ce que voyant, la France éternelle, consciente de sa responsabilité, prit la décision de détruire le sulfocradingue déjà extrait du sol rondubrazien. Les circonstances allaient nous aider dans une certaine mesure ; en ce sens que la base de Santa-Maria Kestuféla a besoin de techniciens pour le raffinement du sulfocradingue. Je m'explique, et si je me trompe, arrêtez-moi ! Ce minerai, vous le savez sans doute, se présente sous une forme quasi liquide, dans le genre du mercure. Il se trouve pris dans une gangue de silicose-pourneriendyr qui le maintient sous sa forme liquide en le mettant à l'abri de l'oxygène ; car, messieurs, le, sulfocradingue présente la particularité de se transformer en gaz au contact de l'oxygène perdant de ce fait ses propriétés décafouilleuses-inductrices. Rares sont les spécialistes capables de l'extraire correctement de la roche dont il est prisonnier. Or, rappelons-nous qu'un gramme de sulfocradingue est généralement au cœur d'un bloc pesant entre trois et cinq cents kilos, ce qui rend son stockage à l'état brut extrêmement difficile. Selon nos renseignements, les Chinois essaient de le récupérer au fur et à mesure de son extraction, mais la pénurie de techniciens fait que le stockage de la matière brute est plus rapide que celui de la matière purifiée. D'où nécessité pour eux de recruter de la main-d'œuvre étrangère. Un certain Krackzek, sujet d'origine tchèque, mais qui vit en France fut contacté récemment. Il accepta les propositions qui lui furent faites, mais nos services eurent vent de la chose et, à la suite d'une discrète opération, nous interceptâmes et l'homme et le document l'accréditant auprès de la base.
Je cherche de quoi étancher ma soif. Mon hôte comprend mon regard déshydraté et me sert un Bourbon carabiné. Bérurier bâille bruyamment.
— Tout ça, on le savait gros mot seau d'eau, dit-il en se fourbissant les orbites pour se dépêtrer la somnolence.
— Il est utile de le rappeler afin que tout soit bien clair, tranché-je.
J'écluse un certain volume d'alcool sobrement additionnée d'eau gazeuse.
— Le génial inspecteur Bérurier, ici présent, se porta volontaire et le voici donc a pied d'œuvre. Comment se présente le coup de main et en quoi consiste-t-il ? Nous allons tâcher à l'établir. Pour dire vrai, il se présente assez mal. Certes, Bérurier, a en main une sorte de sésame qui va lui permettre l'accès de la base, seulement il ne parle pas un mot de tchèque (qui est officiellement sa langue maternelle), et il ne connaît rien de l'extraction du sulfocradingue. Pour que sa mission réussisse, il convient qu'elle s'accomplisse dans le plus bref délai. Béru arrivera donc au camp en fin de journée, et prétextera une grande fatigue consécutive au voyage, ce qui lui épargnera d'aborder immédiatement les questions techniques dont il ignore tout. De plus, étant accompagné de Marie-Marie, il aura un bon motif pour ne s'occuper que de leur installation.
J'ouvre une trousse de cuir et y cueille un gros bouton noir.
— Ce bouton est en réalité un petit poste émetteur capable de retransmettre tous les sons dans un rayon de deux kilomètres. Déguisé en pêcheur, sur le lac Papabezpa, je pourrai donc suivre le déroulement des opérations. En quoi consisteront-elles ?
Je déroule le plan de la base remis par le Vieux.
— Ici, l'immense entrepôt où l'on accumule le minerai brut. Là, l'atelier de raffinage. Tout autour, les bâtiments d'habitation, cantines, etc. Au centre, une construction octogonale, sans autre ouverture que la porte. C'est le saint des saints, l'endroit où est entreposé le sulfocradingue à l'état pur. Selon nos estimations, il y en a environ huit cents grammes, ce qui est peu lorsqu'il s'agit de pommes de terre, mais extravagant quand il est question d'une matière dont la puissance décafouilleuse-inductrice est de trois goménol-privatifs par milligramme. Au milieu de cette construction, un coffre-fort au-dessus du quel une couronne de cellules photo-électriques espacées l'une de l'autre de 38 centimètres constitue une barrière difficilement franchissable. Le poste est plein de gardes vigilants, armés et prêts à faire feu à la plus légère alerte.
Je puise une seconde fois dans ma trousse de cuir.
— Voici deux berlingots, Béru, dis-je en les déposant sur la table de non-travail (car il n'écrit jamais), de don Enhespez. Si tu parviens à briser l'un d'eux dans le poste avant que les argousins défouraillent, ils s'endormiront en un peu moins de deux secondes pour une durée variant de vingt à trente minutes. Évidemment il faudra que tu sois immunisé contre ce produit hypnotique… La seule chose que nos laboratoires aient à te proposer, la voici…
Je sors de ma pochette miracle deux petites boules de verre percées de minuscules trous, et serties dans une petite gaine caoutchoutée.
— Faudra te filer ça dans les narines et te foutre de l'albuplast sur la bouche de façon à être bien certain de ne respirer qu'avec le pif, vu ?
— Banco ! grogne le funambule.
— Si tu parviens à endormir le poste, à passer à travers les rayons lumineux et à ouvrir le coffiot, enchaîné-je, il te suffira de briser les éprouvettes de verre placées sur le rayon pour que le sulfocradingue s'évapore au contact de l'air. Ensuite de quoi, la petite et toi quitterez immédiatement la base.
J'ajoute, d'une voix blessée :
— Si vous le pouvez…
Un silence suit. C'est encore le gars Mézigue, enfant choyé de Félicie qui le rompt.
— Le Vieux pense que la gosse devra tenter d'ouvrir le coffre toute seule, Gros. Mais je compte sur ta dignité d'homme pour que tu agisses en personne, mon pote. Marie-Marie ne doit te servir que de couverture. Elle est chargée d'endormir les soupçons, un point c'est tout !