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— Cause toujours et bois de l'eau fraîche, comme disait mémé, lance l'infernale fillette en sautant par la fenêtre ouverte. Une fois qu'on sera dans la place, Tonton et moi on fera bien ce qu'on voudra, hein, m'n' oncle ?

— Ainsi tu nous espionnais ?

— Non, je cueillais des fleurs sous la fenêtre…

Elle dégage un bouquet qu'elle tenait caché dans son dos.

— Vise un peu si qu'elles sont baths, tonton !

— Mes orchidées ! beugle don Enhespez ! Mes orchidées royales ! Elle a coupé mes orchidées royales !

Il manque d'air, le vieux bagnard. Paraît que c'est son vice, la culture de l'orchidée ; il venait de mettre au point une nouvelle espèce qu'il comptait offrir à la Reine Yvonne lors de son prochain voyage en France ! Il sanglote sur les fleurs coupées. Il injurie Marie-Marie et la traite de vandale, de fléau, d'Attila, de profane, d'orchidéicide ! La môme, ulcérée, finit par lui flanquer son précieux bouquet sur les genoux en clamant de sa voix de girouette :

— Oh, mince, râlez pas si fort, c'est jamais qu' d' l'herbe ! Non, viens, m'n' onc, allons chez les Chinois, je parie qu'on se marrera mieux qu'ici !

Hagard, le maitre de San Kriégar sort sans crier gare.

Je le laisse vaquer avec indifférence. J'ai hélas d'autres soucis en tronche que les orchidées royales.

— Premier problo à résoudre, dis-je. Planquer ces différents instruments, pour le bouton émetteur, c'est fastoche : on va le coudre à ton veston. Mais les berlingots et les boules nasales ? Car il n'est pas exclu qu'on vous fouille à l'arrivée…

— Oh, dis, nous z'en fais pas des bidons, glousse la pseudo-Natacha. Les boules 'de verre on va les mettre à la place des yeux de ma poupée, et les berlingots, je vas les placer dans la boite de bonbons que vot' patron m'a z'offert. Bougez pas, je fonce chercher Catherine dans ma chambre et on y changera ses mirettes !

Des ondes joyeuses flottent encore dans la pièce quand la môme a disparu…

— Elle est sidérante, ta nièce, Gros, déclaré-je. Franchement, je n'ai jamais encore rencontré une enfant pareille !

Sa Majesté prend une attitude dégagée.

— Ouais, je sais, dit-elle, du côté à Berthe, y sont presque aussi intelligents que chez les Bérurier.

CHAPITRE V

TRAVAIL AVEC ET SANS FILET

Les eaux du lac Papabezpa étincellent autant que le filet de pêche qui me sert d'alibi et que je remonte fréquemment avec l'aide du señor Tassiépa Sanchez, le majordome de don Enhespez. Sanchez est un métis à la voix frêle en qui, selon mon hôte, je puis avoir toute confiance.

Le filet, si j'ose dire, nous sert de paravent. Hélas, l'ironie du sort veut que ça biche à tout berzingue et le poiscaille s'accumuloncèle dans le fond plat de notre barque. La vraie pêche miraculeuse, mes drôles ! Je passerais un contrat avec Amieux, ma fortune serait faite. Au loin, posés sur l'horizon, se découpent les miradors de la base chinetoque.

De temps à autre je tripatouille les boutons de mon poste récepteur planqué dans ma musette afin de vérifier si le ci-devant Gros et sa petite peste de nièce radinent à la base. Mais mon appareil demeure désespérément muet.

Devant ma mine allongée, Tassiépa Sanchez débite des paroles réconfortantes.

— Ils ne peuvent être encore arrivés, affirme-t-il. Rendez-vous compte que le maître les a conduits jusqu'à la gare de Tumarkonu pour qu'ils prennent le train jusqu'à Santa-Maria Kestuféla où ils doivent descendre comme des gens arrivant de Graduronz, la capitale. Les taxis sont rares à Santa-Maria Kestuféla. Ils…

Je lui fais signe de la boucler. Un grésillement perde dans des éloignements sidéraux retentit. Je règle le frémisseur à basse combustion de mon poste et l'organe de Marie-Marie me parvient, haché et faible ; mais l'écoute s'améliore de seconde en seconde.

— A quoi qu' tu penses, tonton ?

— Je réfléchis, rétorque l'organe de l'Inconsistant.

— A quoi ? insiste la môme.

— A ce qu'on peut bien bouffer chez ces Chinois. Je sens qu'on va se farcir du riz à l'eau. Ces gus, je les connais : y se nourrissent d'un courant d'air…

En toile de fond, je décèle le ronron d'un moteur.

— Je crois qu'on arrive, fait Marie-Marie. Oh dis donc, ça n'a pas l'air marrant comme coin !

— Tu parles, maussade le Maigre, c'est pas le clube Méditerranée.

— Y conduit comme un connard, ce pèlerin ! fulmine Marie-Marie, v'là que je m'ai cogné le front contre la vit'. J'ai pas une bosse, dis, m'n' onc ?

— C'est rien, indifférence Béru. Un peu de maintien, môme nous v'là sur le chantier de naguère !

Un bref silence. Un bruit de portière ouverte. Une voix zézayante dit des trucs en espagnol, une autre y répond. Formalités entre le conducteur du taxi et une sentinelle chinoise, je suppose. Ça s'anime.

— Quoi t'est-ce ? demande Alexandre-Benoit. Faut qu'on descende ici ? Le taxi peut pas pénétrer dans le camp ? Mince, se farcir la traversée de c't' esplanade en plein soleil, c'est joyce ! Je croyais en être quitte avec les séances de sauna.

Il bougonne. En arrière-fond, les voix continuent de jacasser.

Je l'entends souffler un bout de temps. Des martèlements de pas cadencés retentissent.

— Allez pas si vite, quoi, bon Dieu ! proteste Marie-Marie… J'ai pas des bottes de cellier comme Barbe-Bleue, moi !

Enfin on doit atteindre un poste de garde. Une nouvelle vois, plus sèche, plus autoritaire que les précédentes, éclate brusquement. Cette voix s'exprime en anglais.

— Scouze-mi, my lord, bredouille Béru, mais je ne me pique pas anglais. Je pique franche on lit. A rapito ?

— Come with me ! rétorque la voix.

— Pas, mal et vous, my lord ? répond le Mastar à tout hasard.

Ça déambule un moment sur une surface cimentée. Des portes s'ouvrent. Des voix échangent des trucs en chinois.

Accroupi au fond de sa barque, votre San-A, a le battant qui se trémousse, mes chéries. Cette fois c'est parti : mes deux lascars sont dans le guêpier.

— Vous êtes monsieur Krackzec ? module un organe doucereux.

— Parfaitement, mon général, répond Bérurier.

— Je ne suis pas général, affirme l'interlocuteur. Ici il n'y a aucun militaire, cher monsieur. Nous sommes de simples techniciens chinois au service du gouvernement de ce pays.

— Mande pardon, bredouille Pépère, je m'ai mépris, vu que vous êtes en bleu de travail.

— Vous avez votre sauf-conduit ?

— Le v'là, mon technicien !

Un blanc. Le chef de camp doit étudier le document.

— Qui est cette enfant ? demande-t-il.

— C'est ma fille, Natacha, mon technicien. Sa pauv' maman est morte, elle a plus que moi z'au monde, et moi je n'ai plus qu'elle. J'ai pas pu me résolver à la laisser. Si vous n'y verriez pas d'inconvénient, j'aimerais la garder avec moi. 'Turellement vous me déféquerez sa nourriture de mon traitement.

— Ici on travaille, déclare l'autre, chacun doit laisser sa vie de famille au-dehors.

Sa voix a gardé la même douceur vénéneuse, et pourtant, malgré l'imperfection de l'audition, je sens qu'elle appartient à un homme impitoyable.

Seulement, bien que provisoirement squelettique, Béru ne s'en laisse pas imposer :

— Écoutez, mon technicien, fait-il posément, confondons pas vérole et chaude-pelisse. Si je suis devenu un des meilleurs espécilistes mondiaux du sulfocradingue c'est pour c't' enfant. Sans elle, j' sus bon à nibe.

— Que signifie cette expression ? s'inquiète le Chinois chef.

— C'est un mot tchèque, tranche le Péremptoire. Il veut dire que si j'ai pas ma petite Natacha près de moi, je peux pas travailler.