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La gosse intervient.

— Vous savez ; m'sieur : j' sus pas encombrante ; pourvu que vous m' laissiez jouer avec ma poupée, je dérange personne.

— Nous verrons, élude le haut personnage de son ton de sacristain enrhumé. Il paraît que vous parvenez à extraire jusqu'à un décigramme par jour, monsieur Krackzek ?

— Pff, vous rigolez, mon technicien ! Y a même des fois j'arrive à cent milligrammes ! Mais je vous prie de croire qu'à la fin de la journée j'ai la crampe du collégien dans le poignet.

— Quelle méthode utilisez-vous ?

— Ben, la méthode Prévost Deiauney, de préférence.

— Je ne connais pas.

— Parce que c'est tout récent.

— Il s'agit d'un procédé plus rapide ?

— Aucune comparaison, mon technicien. Je connais aussi la méthode Bougnaz, mais à mon avis elle est trop salissante. Maintenant, si vous voudriez bien me faire conduire à mes appartements, ce voyage m'a vanné.

— Je pense que vous nous donnerez dès ce soir un petit échantillon de votre savoir, monsieur Krackzek ?

— Et puis quoi encore, fulmine Béru, faudra p't'être que je vous fasse la tambouille et que je repeigne la niche à Médor, non ? Je gélatine des cannes, moi, et tout ce que je peux vous démontrer avant demain matin c'est la manière que je roupille.

— Très bien, se soumet l'autre. Nous attaquerons demain à la première heure. Je vous laisse vous installer.

Le technicien-chef s'adresse à l'un de ses sbires et lui ordonne :

— Tôn ri ki hui se ra trô bon yi !

Ce qui, les chinetologues vous le confirmeront, signifie : « Conduisez cet homme au bâtiment 8 bis. »

Je les entends déambuler.

Tassiépa Sanchez cligne de l'oeil :

— Jusque-là ça ne se passe pas trop mal, fait-il en espagnol.

Bien que je ne comprenne pas cette langue, je lui réponds par un prudent :

— Attendons la suite !

Nous re-hissons le filet. Il est bourré de fretin. On en a jusqu'aux genoux, de la friture. Je vais renifler la marée dieppoise pendant une semaine. C'est un peu ridicule, la vie. Dans les instants les plus graves, les détails cocasses viennent vous perturber l'épopée. Je me rappelle, une des premières — filles que j'ai sortie pour lui raconter ma flamme avec ce qui s'ensuit, je l'ai drivée par une belle nuit sans lune dans un square et c'est sur un banc que je me la suis extasiée. Je sentais bien que le banc poissait. Je me disais : c'est la rosée ! Manque de bol, c'était de la peinture fraiche. Quand on s'est retrouvé dans les lumières, elle et moi, on pouvait récapituler les péripéties de nos ébats sur nos fringues. Ça commençait par de sages rayures en travers à l'endroit de nos dargifs. Ensuite, les rayures se trouvaient dans le sens de la longueur. Tout le long de son dos pour la môme, aux genoux et aux coudes pour mézigue. On ne s'en est pas gaffé tout de suite ; seulement à la brasserie où on se remettait d'équerre avec une menthe-limonade. Tous les consommateurs se boyautaient… Ça m'a retiré instantanément l'amour que j'avais d'elle.

Pour vous dire, ces poissons, ils me souillent l'anxiété. Ça cloaque contre mes jambes. Ça visqueuse, ça frétille. J'arrive pas à me concentrer sur l'écoute de mon émetteur.

Et pourtant, mes gueux, la partie qui se joue est fantastique, non ? J'imagine la gamine et l'amaigris dans ce camp barbeleudo-électrifico-miradoré, si inconscients du danger que la tranquillité de leurs voix me met la larme aux cils. Ils sont dans une poudrière, en train de jouer avec des allumettes comme on se paye un piquenique sur les bords de l'Oise.

— Eh ben, dis donc, p'pa, c'est pas jojo comme crèche ! s'exclame la mignonne.

— Ecrase, gosse ! enjoint le ci-devant Dodu. Ici c'est motus et vivendi.

Je devine à un froissement d'étoffe qu'il a un geste rond pour signaler à sa pseudo-fille que des micros perfides doivent être planqués dans leur logement.

— Si, que j'allais jouer, p'pa ? dit miss Tresses d'un ton dégagé, mais où percent ses intentions pour qui les connaît.

— Va, murmure le Mastar. Mais reste à promiscuité, Natacha, j'irai te rejoindre dans quéques minutes pour faire un peu de fotinge, que ce long voyage m'a quasiment noué les muscs. Je déballe nos valoches, ma poule, et j' sus t'à toi.

— Je prends ma poupée ! avertit Marie-Marie !

— Jockey ! Mais la chahute pas trop, qu'elle est fragile !

Des pas, encore… Rien n'est plus fastidieux que cette attente. Il leur faut le temps de se repérer, de piger la topographie du camp, d'échafauder un plan de fuite. Quel dommage que notre liaison soit à sens unique ! Je peux entendre le gars Béru, mais lui, hélas, est absolument coupé de moi. Impossible donc de lui donner des directives… Je regarde ma montre de plongée. Elle indique six plombes moins une. Le moment est venu de filer, selon nos conventions (collectives) un coup de talkie-walkie à don Enhespez. J'abandonne l'écoute du Mastar pour dégager l'antenne de mon second appareil. Un léger sifflement susurre sa note continue.

— Ici oiseau migrateur, vous m'entendez ?

Je répète à quatre reprises ma phrase de code. Le sifflement cesse.

— Je vous reçois parfaitement, répond la voix caverneuse de notre hôte.

— Les passereaux sont dans leur cage. Ils ont l'air de s'y plaire. Prenez l'écoute tous les quarts d'heure.

— Entendu…

Silence. Cette brève communication m'a calmé les nerfs. Je sais qu'au domaine le dispositif de récupération est en place. Une Jeep tous terrains bourrée de mitraillettes pour une récupération en catastrophe par terre une vedette automobile, également riche en armes à feu, dans l'hypothèse d'une récupération par eau. Il y a même, sur l'esplanade de l'hacienda, un petit hélicoptère peint en jaune dont l'exploitant agricole se sert pour pulvériser de l'insecticide sur ses centaines d'hectares de fromtobock. Une vraie mobilisation, comme vous pouvez voir. Au moment du sauve-qui- peut, Béru commentera sa fuite, et d'après ses indications nous volerons à la rescousse.

— Attention ! murmure Tassiépa Sanchez.

Il me désigne une petite embarcation en forme de pirogue qui se dirige vers nous. Deux hommes au torse nu, à la peau cuivrée, aux cheveux huileux, se tiennent debout dans l'embarcation. Ils ont une pagaie dans les mains et un anneau d'or à l'oreille droite.

— Ce sont des Indiens Ifoti, me chuchote Sanchez. Ces gens sont des pécheurs très doux et bavards, contrairement aux Indiens Ifotipa qui eux sont des chasseurs silencieux et cruels.

Effectivement, comme pour corroborée ces dires, la pirogue des deux Ifoti s'arrête près de notre barque et ses occupants se mettent a nous parier en dialecte du cru et en gesticulant. Heureusement que mes instruments de phonie sont planqués, sous des toiles car ils pourraient éveiller leur curiosité.

Ça jacasse, jacasse, jacasse : je commence à choper des fourmis dans les entonnoirs. Tassiépa Sanchez leur fait la causette abondamment en distribuant des sourires. Sans doute est-il sensible aux muscles qu'on voit frémir sous la peau des deux costards ? Vu que je ne pige que poule à leurs salades, je m'abstiens de me manifester, mais je roule des gobilles féroces à mon camarade. Rendez-vous compte, qu'il se passe des choses capitales au camp et qu'il m'est impossible de les écouter : la palabre dure un bon quart d'heure. J'ai les doigts tout blancs à force de crisper ma main sur le rebord de mon banc. Enfin, les deux piroguiers nous saluent et se mettent à pagayer après avoir foutu la pagaye à notre bord.

— Mais, putain d'Adèle, que nous voulaient-ils, demandé-je à ma petite camarade.

Il hausse les épaules.

— Rien de particulier. Ils s'intéressent à tout. Ils voulaient connaître la puissance de notre moteur, qui vous étiez, la quantité de poissons que nous avons déjà sortis, ce sont des enfants.