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Je bidouille mon récepteur. Pile je tombe sur la voix grumeleuse du précédent Gros.

— Non, et non et non ! fulmine-t-il. Si tu n'obéis pas je te file une fessée, t'entends, dis, pie-borgne !

— T'étrangle pas, tonton, riposte miss tresses. On a beau z'étre au milieu de l'esplanade, tes petits copains chinois pourraient t'entendre et se met' à chinoiser ! C'est à moi que le Grand Patron a confié le boulot et c'est moi que je le ferai. Manche comme t'es, recta tu leur déclencherais le signal !

— Soye polie, eh, frontée ! rugit le Gros, oublille pas que si j' sus pas ton père j' sus tout de même ton oncle !

— Continue de me faire tarter, et justement je vais aller leur causer que t'es mon onc'.

Pour la première fois, le Déventré pense à son micro et s'adresse à moi directement.

— T'entends comment elle comporte, cette teigne, dis, San-A. ! Un vrai choléra. Ah ! misère de mes deux, quelle idée qui vous a pris de me cloquer cette mistoune comme équipière ! Bouge pas, ma fille (enchaîne le cher homme) qu'on sorte d'ici et je te vais faire fumer le dargeot pour t'apprendre d'obéir. Qu'est-ce qu'y a passé par la tronche à ma Berthy, pour qu'elle se mêlasse de recueillir une greluse pareille ! Ah ! mon papa avait raison quand il disait : « Fais du bien à un vilain et y t' ch… dans la main ! »

Sa colère le fait tousser. Il apoplexique un grand coup, ce qui fait danser le bouton-micro, puis se ramone les intérieurs.

— Bon, fait la sempiternelle gamine, t'as vidé ta crise, tonton ? Alors écoute bien ce que je vais t' dire. Et toi aussi, Antoine, aboie-t-elle en approchant sa bouche du bouton (je le suppose étant donné l'intensité du son)… Pendant que m'n' onc' déballait not' valise, je m'ai promenée dans le camp. Faut que je vous dise, ces Chinetoques, y sont très gentils, très corrects… Pas un qui s'est permis un geste déplacé envers mon égard. Je m'ai amusée un peu partout, mine de rien et je suis même tété jusqu'à la salle du cof'. Y sont seulement quatre là-dedans, et y jouent avec des petits bâtons. Y m'ont fait signe de sortir, mais gentiment, sans se fâcher. Je peux donc me permet' d'y retourner et de casser les berlingots. Alors que si tonton irait, y se ferait virer d'emblée, non ? Quand y roupilleront j'irai m'occuper du cof' tandis que tonton fera le 22. Supposez que j'arrive pas à l'ouvrir, y sera toujours temps qu' m'n' onc' s'y mette, en supposant qu'y soye plus futé que moi, ce dont ça m'étonnerait.

— Marie-Marie ! grondaille Béru, respecte mes cheveux clairsemés, je te prie !

La Jeanne Hachette des messageries Poulagas n'a cure (comme on dit à Ivian) de cette protestation. Son plan d'action la survolte. Elle babille à propos de ce coup de force insensé, comme elle organiserait une partie de marelle dans une cour de récréation.

— Si j'ouv' le cof', dare-dare je débouche les flacons et je me barre. Le seul truc que tonton doit s'occuper, c'est du comment qu'on se cassera.

Béru toussote.

— Dans le fond, ma gosse, approuve-t-il, ça me paraît se défendre, ton petit micmac. J'espère dans tous les cas que tu sauras ouvrir ce coffiot, autrement sinon je me pointerai. Pour en ce qui concerne la fuite, j'ai déjà pris mes dispositifs, esgourdes, San-A. ? V'là le labeur : derrière la carrière où qu'on extrapole le sulfocradingue, le camp est bordé par un ruisseau. À c't' endroit, y a une sorte d'espèce de trou creusé sous le grillage de clôture. À mon avis, c'est un des clébards du camp qui l'a gratté, un fox-trot-terrier sans doute. Il aura flairé du gibier ou une chienne en chaleur. Ce trou est situé juste derrière un montricule de pierres, tante est si bien qu'on doit pouvoir se tailler par-là sans trop se faire repérer des gus des miradors. Enfin quoi, brèfle, ça me parait la seule issue possible. Marie-Marie passera sans mal, pour ma pomme, ça devrait carburer itou pour peu que je creusasse un chouïa de mieux afin de pas morfler la décharge à haute pension de la clôture électricifiée. Donc, vous devriez nous espedier le barlu vers l'embouchure du ruisseau. On gagnera le lac à la nage. A propos, tu sais nager ?

— Un vrai goujon, m'n' onc'.

— Banco ! On usine de cette sorte de manière, termine le Bénévol : Allez, zou, faut pas janternocher, c'est le moment c'est l'instant. En supposant qu'ils se méfiassent de nous amis ils penseraient qu'on va leur bricoler l'existences dans l'heure de notre arrivée !

Un léger bruit de castagnettes, derrière moi, attire mon attention. C'est le gars Tassiépa Sanchez qui glaglate des croqueuses.

— Non ! ! non !. non ! non ! hoquète-t-il en se signant à chaque non, je sourcille.

— Non quai, amigo ?

— Il ne faut pas, il ne faut pas !

Son attitude me fait jetonner :

— Mais expliquez-vous ! Leur plan me paraît admirablement convenir à la situation, et franchement je n'espérais pas que ce serait aussi aisé.

— Mais señor, mais señor ! bredouille Sanchez, ce qui va se passer est terrible, terrible !

— Parce que c'est la petite qui agit ? J'ai confiance en elle, c'est une enfant prodige.

— Je parle de la suite, señor. Il ne faut pas qu'ils se sauvent par le ruisseau, ce murs d'eau s'appelle rio De profundis parce qu'il est infesté de piranhas !

L'espace d'un moment, mon cœur s'arrête de battre. Le docteur Barnard passerait par-là, aussi sec : il me déclarerait viande froide pour me le sucrer. Car maintenant faut drôlement surveiller ses organes, mes frères ! Les champions de la greffe en tout genre pourchassent impitoyablement les cœurs, les reins, les foies, les éponges et d'autres pièces détachées pour leurs expériences. Y veulent tous avoir la couverture de Paris-Match, les ristournes. Je devrais me faire opérer de l'appendicite, j'hésiterais, je réclamerais la présence d'un huissier dans le bloc opératoire. J'aurais trop peur de me réveiller, avec une valseuse ou un rognon en moins ! On devient taus un fabuleux jeu de puzzle, camarades ! Bientôt on fera passer des annonces dans Le Chasseur Français : « Monsieur, trente ans Parfaite constitution, échangerait jambe gauche très velue, pointure du pied 45, contre un foie en bon état. Si alcoolique s'abstenir. » On y vient, mes gueux ! On y vient. Et ce ne sera qu'une étape. Un jour, y aura un rayon à la Samaritaine où on pourra se réorganiser de fond en comble. On entendra des converses de ce tonneau :

— Moi, Ninette, à ta place, je me ferais greffer ce mignon pubis qu'à le cresson auburn, ça irait bien avec ta nouvelle couleur de cheveux.

Ou encore :

— Tu ne crois pas jojo, que tu pourrais t'acheter ce gros zigomar décapotable, au lieu d'une nouvelle télé ? Ça nous ferait plus de profit pour les soirées d'hiver.

Je vous jure que ça se prépare. Je serais directeur de grand magasin, j'annoncerais d'ores et déjà la prochaine ouverture d'un rayon d'abats humains.

Mais faites excuse, je me suis écarté de notre catastrophe, car c'en est une ! La perspective de Marie-Marie plongeant dans le rio De Profundis me glace. Les piranhas (ou piranyas) vous savez ce que c'est, non ? Des petits poiscailles carnassiers qui vivent en bancs dans les cours d'eau d'Amérique du Sud. Rien de plus effrayant que ces bestioles. Vous jetez un bœuf dans la rivière, le temps de compter jusqu'à dix il ne reste plus que ses os !

Ah ! comme à cet instant je hais l'informateur qui nous a brossé une description détaillée du camp et de son environnement, en omettant cet effroyable détail !

— Vous êtes certain de ce que vous dites ? lâché-je sottement à Tassiépa Sanchez.