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« Prévenez immédiatement le camp voisin que cet homme est un imposteur, me dit alors Saféglouglou, j'arrive ! Un peu éberlué, je me suis acquitté de cette mission, et maintenant je laisse la parole au camarade Saféglouglou. »

Bon, je sais : ça vous paraît un peu tiré par les crins, cette version. A moi aussi. Il est sûr et certain qu'elle ne peut pas nous mener bien loin, mais je n'ai besoin que de quelques heures pour risquer un coup d'envergure. C'est en agissant promptement que Béru et la gosse ont pu réussir leur mission, je suppose qu'en agissant de même, j'ai une confuse chance de leur venir en aide. Seulement, pour ça, faut pas glander, mes fieux. Dites-vous bien que les boniments les plus énormes restent les meilleurs. Tenez, votre bobonne, quand elle se pointe avec deux heures de retard et qu'elle vous dit qu'elle a poireauté chez le coiffeur, vous la croyez, non ? Alors que onze fois sur dix elle sort de l'hôtel Des Deux Hémisphères et du scoubidou-verseur réunis !

Manière de vous ménager un petit œil-de-bœuf sur mes pensées, je vous révélerai simplement ceci, deux points, z'ouvrez les guillemets : a Les Chinois de cette base sont des techniciens avant tout, encadrés sans doute par des militaires en civil ; mais qui ne doivent pas appartenir aux services secrets chinetoques. Par conséquent, si je les berlure, il leur faudra le temps matériel de se renseigner, donc : sursis, vous entravez, mes ramollis ?

Je m'avance, le menton pointé, l'œil atone, le buste droit, la voix métallique, le calcif… Mais qu'est-ce que j'allais vous préciser là !

— Micromégas-Devoltère Saféglouglou, me présenté-je. Appartenant à la brigade 69 deux fois des cellules internationales de renseignements, section des enquêtes et filatures. Mot de code : Mao sait tout ! Numéro matricule : Odéon quatre-vingt-quatre zéro zéro. Centre psychologique V-G-A 5 mor. Membre supérieur du Mao jaune Pou-li-dhôr !

Mon interlocuteur bâille des prunelles et me délivre une prudente courbette.

— Ayant usurpé l'identité d'un commissaire parisien déclaré-je, je me suis attaché aux agissements d'un agent secret français des plus redoutables : un certain Alexandre-Benoît Bérurier, dont nos services ont tout à redouter.

— Un démon, coupe Sin Jer Min En Laï.

Donc, il mord à mon historiette pour fascicule illustré réservé à la jeunesse de huit à douze ans !

— Exact. Je l'ai suivi jusqu'au Rondubraz. Le bougre est parvenu à me semer au moment où je réalisais qu'il avait des visées sur l'exploitation de sulfocradingue à laquelle vous vous consacrez avec tant d'énergie, Camarade. Le temps de renouer le fil interrompu, d'apprendre que Bérurier était acoquiné avec le principal employé de ce domaine, et déjà, notre homme était passé à l'action. J'ai alors prié le camarade Enhespez de vous alerter, car je l'appelais du petit village de Tupinambouc où il faut quatorze heures d'attente pour obtenir la communication avec l'extérieur. J'espère que vous avez été avisé avant qu'il se soit produit quelque chose de fâcheux ? ajouté-je pour ma satisfaction personnelle.

Le Chinois jaunit et ses mâchoires saillent. Il ne répond pas à ma question mais, se tournant vers mon hôte, demande :

— Où est votre- majordome ?

— Enfui, révèle don Enhespez (et c'est la stricte vérité). Il a tout entendu quand je vous ai appelé. Aussitôt il a, paraît-il, sellé un cheval et s'est sauvé dans la cordillère. (Toujours exact).

Bien, me dis-je en aparté, profitant du silence qui suit, c'est à partir de tout de suite que je vais savoir si ma bonne étoile a franchi l'équateur avec moi ou pas.

Le camarade-chef réfléchit. Puis il gratture dans sa langue millénaire-maternelle. Illico un Chinois va causer avec les deux flics rondubrasiens. Ces derniers écoutent sans enthousiasmé, branlent le chef (le leur, pas le chef chinois) et s'approchent de don Enhespez.

— Excusez-nous, señor, bafouillent-ils, il faut qu'on vous arrête !

— Hein ! s'effare l'ancien bagnard.

— Hé ! fait l'un des militaires rondubraziens avec presque l'accent corse.

— Pouvez-vous me dire ce que cela signifie ? proteste Enhespez, tourné vers le Chinois.

L'interpellé a un bref hochement de tête.

— Vous aviez à votre service un traître à sa patrie, dit-il. Tant que nous ne l'aurons pas retrouvé, vous répondrez de ses actes !

Enhespez me coule un regard désamorcé. Je reste impavide.

— Je suis navré pour vous car vous nous avez spontanément prêté votre concours, señor, lui dis-je, mais je comprends parfaitement la réaction des camarades.

Je m'approche du chef.

— Je souhaiterais être confronté avec l'agent Bérurier le plus vite possible, dis-je. Il a certainement d'autres complicités dans ce pays, il faut qu'il nous les indique.

Mon interlocuteur opine.

— Venez !

Un peu rébarbatif, le camp de Santa-Maria Kestuféla, mes amis ! Vous parlez d'une villégiature ! Les bâtiments sont en fibrociment peint en vert. Des miradors pareils à des derricks se dressent aux quatre angles d'une enceinte barbelée haute de cinq mètres et les gardes chinois, bien qu'ils soient en bourgerons bleus, sont plus rébarbatifs que des C. R. S. voyant charger un monôme d'étudiants.

Nous gagnons directement le local où sont bouclés les prisonniers. Franchement, les gars, j'ignore ce que je vais faire, car je suis seul et désarmé au milieu d'hommes hostiles. Et puis j'ai la trouille que la gosse me reconnaisse, ce qui flanquerait par terre tout mon système. Ah ! c'est un dur métier que le mien, je ne le dirai jamais assez ! Vous prenez un bel impondérable, vous le trempez dans une fosse d'aisance, et ça vous donne un boulot de flic.

La prison du camp est un large clapier sans fenêtre qui prend l'air grâce à des petits trous ronds percés en bordure du toit. Une porte de fer munie de verrous et de cadenas extérieurs y donne accès. On est toute une cohorte à en franchir le seuil. Pour alerter le Dru et sa nièce je parle haut et d'un ton alerte :

— Cher camarade-chef, tonitrué-je, vous ne sauriez croire à quel point je suis satisfait d'avoir enfin ce rat puant à ma merci. Un homme qui pousse l'abjection jusqu'à faire participer une innocente enfant à ses sordides combinaisons !

Nous v'là in the place. Une ampoule munie d'un grillage protecteur éclaire un cagibi absolument dépourvu de mobilier. Des anneaux et des chaînes sont figés aux murs à des hauteurs variables. Illico, mon regard anxieux se pore sur Marie-Marie. Je fais un effort pour contenir mes larmes. Elle a les mains maintenues dans son dos par une énorme chaîne dont l'autre extrémité est rivée à la cloison. Elle se tient debout, la bouche entrouverte sur ses deux petits crochets. Sa frange de cheveux s'écarte pour découvrir son front de petite fille et ses tresses coulent de chaque côté de son visage anxieux.

Quant à Béru, il est suspendu par les poignets et il paraît sur le point de défaillir.

— Ah ! Ah ! nous voici enfin face à face, monsieur Bérurier ! dis-je, en lui virgulant un clin d'œil tellement éloquent qu'il le comprend.

Le pauvre biquet trouve un regain d'énergie pour entrer dans le jeu.

— Ah ! vous, vous savez ma véritable identité ? bredouille-t-il.

— Ça et bien d'autres choses ! Plus ce que tu vas m'apprendre, bandit !

Et v'lan, je le gifle pas fort, mais je sais rendre une légère beigne sonore.