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Il est bath, mon rêve.

Comme tous les rêves, il s'appuie sur un souvenir plus ou moins confus.

Je me rappelle un spectacle auquel j'ai assisté aux États-Unis, il y a quelques années. C'était au Texas, pas loin de San-Antonio justement. La boîte s'appelait Aqua Reina. Elle offrait la particularité d'être immergée au fond d'un plan d'eau. Ses parois étaient en verre et l'on buvait des scotch-coca en regardant se baguenauder des poissons dans un univers à la Cousteau. De temps à autre, de belles girls déguisées en sirènes venaient danser un ravissant ballet aquatique. Un tuyau de caoutchouc leur permettait de respirer. C'était clinquant, comme tout ce qui est amerlock, et cependant féerique.

Dans mon rêve, v'là que je retourne à Aqua Reina, les potes. Seulement l'eau est à l'intérieur de la salle. Y a une sirène minuscule qui évolue autour de moi. Elle a un long tuyau dans le bec et deux tresses lui pendouillent sur les épaules. Elle ressemble à Marie-Marie comme une sœur jumelle, la sirène que je cause. Je fais un effort pour chasser l'eau de mes poumons.

— Marie-Marie, articulé-je.

Mais je ne produis que des bulles. La sirène ne m'a pas entendu. Elle continue avec application son ballet. L'argument d'icelui est le suivant : la nanade ligote avec du fil de fer six Chinois endormis. Elle ramasse six mitraillettes noires et les dépose à l'autre extrémité du local. Ensuite elle traîne un gros magnétophone auprès de moi. Elle l'appuie au mur. Elle pique les canons de deux mitraillettes dans les manettes de cuir situées à chaque extrémité du magnétophone et se juche sur les crosses des mitraillettes. Grandie d'un bon mètre, la petite sirène peut atteindre le crochet où sont passées nos chaînes et au moyen d'une scie à métal (ou à métaux) se met à sectionner la base du gros crochet. Elle fonctionne à tout berzingue, la môme. Au bout d'un moment, le crochet coupé en deux restitue ses chaînes et deux gentlemen ayant pour blazes Bérurier et San-Antonio s'abattent le pif sur le plancher.

J'achève de m'arracher aux vapes. Suffisamment toujours est-il pour comprendre que je ne rêve pas.

— Marie-Marie…

— Pas le moment, ronchonne la petite teigne. Maintenant va falloir regrimper par le plafond, si tu pourras m'hisser, ensuite, je vous aiderai à sortir de là avec mon onc' !

L'un des gardes chinetoques qui a repris conscience, lance un cri. Je lui stoppe le S.O.S. d'un coup de latte dans le gosier.

— Faudrait les museler, dit la môme, sans quoi ils vont gueuler.

Je défère à son désir en bâillonnant les gardes avec leurs ceintures de toile.

— Que se passe-t-il, dehors ? demandé-je à la gosse.

— C'est l'incendie que j'ai allumé, qui leur occupe le temps, répond-elle. Un grand entrepôt plein d'huile ; tu vas voir comme c'est beau, promet la jeune pyromane (ou pyro-woman).

Effectivement, de grandes lueurs pourpres dansent par la brèche du plafond.

Le camarade Bérurier trouve opportun de se réveiller.

— Où sont-ce nous ? bredouille-t-il.

— Dans un magnifique western, gars. Tu peux te tenir debout ?

— Tiens, se réjouit le Mastar, la môme Grignette est retrouvée, où que t'étais passée, dis, musaraigne ?

— Ne t'occupe, tonton, je vous raconterai tout plus tard, je m'ai bien amusée. Alors tu m'hisses, Antoine ?

Je l'hisse, heureux qui comme qui l'hisse… Quand elle s'élève au-dessus de mes épaules, elle murmure :

— Je t' prierai de pas regarder sous mes jupes, Antoine.

Marie-Marie cramponne le bord de la plaque de fibrociment cassée et opère un rétablissement. Couchée sur le toit elle prodigue d'astucieux conseils.

— Je serais de toi, Antoine, je grimperais sur les épaules à m'n' onc', et une fois ici, tu lui tiendrais le tuyau de caoutchouc pour qu'il grimpe après.

Ainsi est fait. Quelques minutes plus tard, nous sommes tous les trois sur le toit. Je devrais dire tous les quatre car, en homme prévoyant, je me suis muni d'une mitraillette.

A deux cents mètres d'ici l'incendie fait rage. Tous les occupants de la base sont mobilisés pour essayer de neutraliser le sinistre. Mais va te faire voir ! Rien ne crame mieux que l'huile et leurs extincteurs sont dérisoires devant l'ampleur du feu.

— Beau travail, petite ! approuvé-je.

— Une vraie Jeanne d'Arc, renchérit Sa Majesté, sauf que c'est elle qui fout le feu !

Vous parlez d'une amazone, cette momaque ! Elle craint personne ! Je savais pas que ça pouvait exister, une gamine pareillement dopée pour l'aventure !

— Comment t'es-tu débrouillée, mon chou ? questionné-je, avide de savoir.

Elle renifle. Les lueurs du brasier allument sur son petit visage malicieux des lueurs démoniaques.

— Ben, j' sais pas si que vous l'aurez remarqué, mais dans le bureau du Chinetoque, je m'ai débinée à quat' pattes, profitant de c' qu'on f'sait pas gaffe à moi.

— Où qu' t'as été ? bougonne le Gravos.

— Dans la pièce à côté, c'était la chambre du vilain type. Je m'ai glissée dans son plumard et j'ai plus bougé. Je savais bien que si j'aurais sortie, en trois secondes les clebs me repéreraient.

— Ensuite ?

— Quand j'ai entendu que la meute s'éloignait vers l'aut' bout du camp, j'ai pris des godasses qui se trouvaient là en me disant comme quoi les cadors renifleraient pas mes arômes à moi si je me les mettrais aux pieds, vous suivez ?

— Où qu'elle va chercher ça dans sa petite tronche ? bée Béru. J' te jure que ça pourrait être une Bérurier pur fruit !

Marie-Marie lui décoche un regard d'incendiaire :

— Ho, hé I Parle pas de malheur, m'n' onc' !

Puis, elle poursuit ses explications.

— Une fois que j'ai chaussé les pompes du Chinois, j'ai été fout' le feu à l'entrepôt d'huile, puis foncé en direction de vot' bâtiment. J'ai remarqué pour lors qu'il était adossé à un autre ; çui-là ! ajoute l'enfant en nous désignant un toit accolé à celui sur lequel nous cachalons.

Le second toit est percé d'un large vasistas, ouvert pour l'instant.

— C't' autre baraquement, c'est un atelier, fait-elle. J'y ai trouvé tout ce qui me fallait : n' échelle, un pointon, un long tuyau de caoutchouc… un gros marteau que le voilà jusque à côté de la bouille à tonton justement.

— Et puis ?

— Faut vous dire qu'y me restait un berlingot endormeur dans la poche, vu que j'en avais cassé qu'un dans la salle du cof'. J'ai percé un petit trou dans vot' toit et j'ai balancé le berlingot. J'ai vu qu'y f'sait son effet. Alors avec mon marteau j'ai cassé la plaque de ciment…

— Personne t'a repérée ? s'étonne le Majestueux.

La gamine me prend à témoin :

— Il entend pas le bouzin qu'y font autour de l'incendie…

Elle hausse ses frêles et méprisantes épaules.

— C'te fois, je m'ai, méfié du gaz, c'est ce dont pourquoi j'ai embarqué long de tuyau pour respirer et je m'ai bouché le nez avec du papier mâché. Bon, on fiche le camp ou on se fait cuire un œuf ?

Nous reptons pour gagner le vasistas de l'autre toit. L'échelle est toujours dressée contre l'orifice. Une fois dans l'atelier, je vais à la porte pour,couler un z'œil à l'extérieur. M'est avis que ça ne se présente pas trop mal, mes fils, car, à deux mètres de là j'avise une jeep en stationnement.

— O. K., nous allons jouer le numéro plein, dis-je. Sitôt la lourde ouverte on fonce à la jeep. Toi, Gros, tu prends le volant et tu fonces vers la sortie sans t'occuper du reste. De deux choses l'une : la barrière est ouverte ou elle est fermée. Si elle est ouverte tu passes, si elle est fermaga, je vais demander, poliment à ces messieurs de nous l'ouvrir. Toi, môme, tu te coucheras à l'arrière sur le plancher, compris ?