Les banquettes du véhicule et une couvrante servant de plaid constituent un plumard de fortune sur lequel nous nous alignons.
— J'ai faim ! gémit Béru avant de sombrer dans les vapes.
— Qui dort dîne ! riposté-je avec ce don de la répartie et ce sens de l'intelligence qui assurent la pérennité de mon œuvre.
Effectivement, terrassés par la fatigue, l'émotion, la nuit et le silence, nous rejoignons Miss tresses au pays fabuleux des songes ou, à l'impossible, nul n'est tenu.
Le ramdame des oiseaux m'éveille. Dans la nature, ce sont eux qui font le plus de bruit, remarquez-le. Rien de plus gueulard, de plus pesant, de plus aigu, de plus strident que les cris des emplumés de frais.
Je tâche à me désengonrdir. Sous quelque latitude qu'on se trouve, les nuits sont fraiches et vous nouent les muscles quand vous dormez, à la belle étoile.
Bérurier et sa nièce roupillent toujours. Je me lève et en guise de petit déjeuner, les considère attentivement. Spectacle attendrissant cil en fût. Comme ces deux êtres s'incorporent bien à la nature ! Comme ils tiennent bien leur place dans le concert vivant qui m'environne. « Ah ! me dis-je en aparté pour ne pas les réveiller, que la vie est donc une belle et noble chose lorsqu'elle s'épanouit en pleine nature et en toute liberté et que l'homme a donc de la chance de posséder simultanément des testicules et le sens poétique. »
Cet hommage muet, mais qui n'en n'est pas moins vibrant, rendu à la créature, sinon au créateur, je me penche simultanément sur le ruisseau et la situation. La seconde n'a pas la limpidité du premier, croyez-le bien. Certes, nous avons magistralement rempli notre mission, nous nous trouvons vivants et libres, but it is not yet tout à fait in the pockett, hélas ! (In english) Car vous pouvez compter que les Chinetoques remuent tout le patelin pour nous récupérer. M'est avis que les poulets du Rondubraz au grand complet : les en civil, les en militaires, les C.R.S., les gares de mobiles, les indicateurs, les contre-indiqués, les contractuels tout ce qui est flic ou enfoiré, tout ce qui appréhende, tabasse, menotte, matraque, quartiélatine, enfonce, défonce, foule, refoule, défoule, fouliride ! Tout ceux qui font pleurer d'humiliation, de rage et de gaz lacrymogène ! Tous les mousquetaires du mousqueton. Ceux qui ont leur conscience pour eux, et celle du ministre de l'intérieur pour les autres ! Ceux pour qui le verbe n'est que procéverbe. Ceux à qui on met, une jugulaire pour leur permettre de mieux juguler. Ceux qui épient et ceux képient ! Ceux qui ne mettent qu'un e r s à bourrique parce qu'ils ont l'autre sur la figure ! Les inculqués de frais ! Ceux qui doivent se gaver de bananes puisqu'ils protègent tous les régimes ! Ceux qui forcent les retraites pour mériter la leur ! Ceux qui débloquent et reblotent derrière les grillages de leurs fourre-cops blindés. Et puis d'autres et d'autres encore sont en train de se remuer le panier (à salade) pour alpaguer le singulier trio que nous nous sommes mis à trois pour constituer.
Nous sommes sans argent, sans papier, sans allié, perdus dans un pays qui nous est inconnu.
Berthe arrêtée. Bientôt jugée ! Probablement fusillée ! Misère ! Tout ce que je peux faire à son propos, c'est taire son sort à Alexandre-Benoît car Pépère deviendrait dingue s'il apprenait ça.
Je me déloque courageusement dans le frais matin. Une petite plongée dans le ruisseau me rebecquetera. Le soleil a de la peine à percer la voûte verte des Ipso-fados géants qui nous surplombent. Lorsque je me serai baigné je partirai à la chasse. Car il faut coute que coûte que nous nous alimentions ! Me v'là à loilpé ! Je serre les ratiches et saute dans l'onde glacée. Brrr ! ça réveillerait un Maure ! Je ballotte de tous mes membres moins un.
Tu parles d'une opération coup de fouet !
Lorsque je bondis hors de l'eau, la température extérieure me fait l'effet d'une étuve en comparaison. J'ai un coup de vapeur d'autant plus fort que le paysage s'est légèrement modifié puisque viennent de s'y incorporer une demi-douzaine de gaillards hirsutes, armés de fusils et bardés de cartouchières. Ils ont des pièges à macaroni vachement abondants. Ces barbes noires, aussi touffues que la forêt, ont quelque chose de castriste. Les surgissants me couchent en joue de leurs flingues. Sur quoi, Béru et sa gentille nièce se réveillent.
Le Plissé fronce ses sourcils broussailleux en apercevant les hommes qui nous cernent.
— Tiens, la famille Barbapoux, dit-il sans s'émouvoir ; c'est à quel sujet, messieurs ?
— Suivez-nous ! enjoint le barbu-chef (il en a dix centimètres plus long que les autres !).
Il a parlé en espago, bien sûr, puisqu'il s'agit de sa langue maternelle.
— Deseo que me afeite usted ! lui réponds-je ; ce qui veut dire : je désire me faire raser.
Je conviens sans discuter que cette phrase manque quelque peu d'à propos, encore que j'aie effectivement besoin de me faire racler la couenne.
Seulement c'est la seule que je sache parfaitement prononcer en espagnol. Le gus, loin de se bifonner, autoritaire, m'adresse un geste vaincu, je m'apprête à sortir de la flotte, lorsque la môme Marie-Marie s'exclame :
— He, dis, Antoine, cache ton piano ! En v'là des manières ! Si mémé aurait vu ça, elle serait tombée morte !
— Commence par regarder ailleurs, Moustique. C'est pas le moment de faire ta pimbêche.
Je me présente, nu comme un œil de veau dans une assiette à l'admiration teintée de jalousie des autochtones.
— Quelqu'un parle français ? On speak English ? questionné-je à la ronde une fois récupéré mon slip et ma soue.
Un gars me répond que lui.
— Qui êtes-vous et que nous voulez-vous ? lui demandé-je pour lors.
— Mon nom est Chi Danlavaz fait-il rudement en fourrageant dans ses broussailles. Nous sommes des guérilleros et nous faisons de vous des prisonniers. Vous serez jugés et pendus selon les règles.
Décidément c'est idée manie du Rondubraz !
Je lui débobine un large sourire en cent quarante de largeur.
— C'est la Providence qui vous a placés sur notre route, camarade, certifié-je.
— Y a pas de Providence et appelez-moi señor riposte le barbu.
— Volontiers ! Laissez-moi vous dire que nous sommes également dans l'opposition.
— Vous mentez !
Il désigne la jeep.
— Vous roulez dans une voiture gouvernementale et qui pis est, elle vient de la base chinoise de Santa-Maria Kestuféla.
— Nous l'avons volée pour nous échapper.
— Vous mentez ! s'obstine cet abruti.
— Voyons, que ferions-nous avec cette jeep en pleine forêt, si nous n'étions pas traqués ! m'emporté-je.
— Du repérage, déclare sans hésiter Chi Danlavaz. Vous avez pour mission de découvrir notre camp, voilà pourquoi vous vous déplacez avec une enfant !
Il a un grand ricanement qui fait s'envoler un Flamenco à hupe.
— S'évade-t-on en compagnie d'une fillette ! Votre ruse est un peu grosse !
Et il traduit notre converse à ses potes, lesquels rient à gorges d'employés.
Bérurier se masse l'estomac.
— Tu sais qu'y commencent à me fatiguer la prostate, ces zigotos à tronche de pique-piques, grommelle-t-il.
— Qui sont-ce ? demande Marie-Marie.
— Des révolutionnaires, ma poule. N'aie pas peur, on finira bien par s'expliquer.
— Tu m'as déjà vu avoir peur ? se rebiffe l'Intrépide.
Elle tape du pied, fait signe à Béru de se pencher et se met alors à lui chuchoter des choses. Sa Majesté opine.
— Señor, dis-je au barbu-francophone, nous avons mis le feu à la base, vous pouvez vous renseigner. C'est là, je pense, un exploit qui sert votre cause ?