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Le v'là qui indécise. Il consulte ses potes.

— Qui êtes-vous ? demande-t-il enfin.

— Des agents français ayant pour mission de neutraliser l'exploitation du sulfocradingue dans votre glorieux pays !

— De quoi je me mêle ! Alose-t-il en espagnol, ce qui lui est plus commode que le dire en français, nous détestons toute ingérence étrangère dans nos affaires !

— Mais vous subissez les Chinois !

— Cela nous regarde ! Nous préparons précisément une révolution destinée à les chasser !

— Nous avons déjà réussi la précédente révolution, non ! aboie-t-il, celle qui a chassé les Américains ! Et croyez-moi, ces derniers étaient plus profondément implantés que les Chinois !

J'ai un moment d'indécision :

— Attendez, vous dites que vous avez fomenté la précédente révolution…

— Parfaitement !

— En ce cas, c'est grâce à votre action que le Rondubraz a présentement un gouvernement de gauche pro-chinois ?

— Et alors ?

— Voyons, voyons, cher señor, après avoir mis en place ce gouvernement rouge, vous voulez le renverser ?

— Et nous le renverserons ! promet farouchement mon interlocuteur.

— Pour le remplacer par ?..

— Par un gouvernement blanc qui sera proaméricain.

— Vous regrettez donc votre dernière révolution ?

— Absolument pas ! Mais nous sommes des guérilleros, señor ! Notre vocation est de faire des révolutions. Nous en ferons d'autres ! Beaucoup d'autres ! Et maintenant assez parlé : suivez-nous !

Il regarde sa Dior et hoche la tête :

— Déjà huit heures ! Nous aurons juste le temps de vous juger et de vous pendre avant le déjeuner !

— Bande de sauvages ! vocifère A-B. B. Lâchez vos flingues et levez les pognes avant que je vous éternue dans la tripaille.

Il braque sur le groupe la mitraillette que la futée Marie-Marie est allée lui chercher en douce.

— T'as entendu ça, San-A. Ces peaux d'harengs qui voudraient nous buter à l'apéro ! Y feraient ça après la bouffe, encore, je dirais trop rien, mais je peux pas tolérer c'te mesquinerie !

Bien que les autres nous braquassent, la sulfateuse les intimide au point de leur faire jeter leurs armes sans discuter !

Chi Danlavaz a un mauvais sourire.

— Vous espérez nous échapper, fait-il. Mais vous ne vous rendez pas compte que vous êtes cernés !

Béru ronchonne :

— Ecrase, Barbe à poux, et cherche pas à me faire peur, j'ai pas l'hoquet !

— Vous voulez la preuve de ce que j'avances fait le guérillero. Pauvres idiots qui vous croyez seuls dans la forêt alors que nos forces grouillent.

Il penche la tête de côté.

— Vous entendez ces cris d'oiseaux ? Eh bien, ce ne sont pas des oiseaux, mais nos compagnons qui nous appellent. Ils vont arriver d'un instant à l'autre…

Je prête l'oreille. Un caquetage de perroquet retentit.

— Les voilà ! annonce Chi Danlavaz.

— Essaie de pousser un seul cri et je t'arrose de paille, Mec ! vigile Bérurier.

— Ils n'en arriveraient que plus vite, répond placidement Chi (lequel n'est pas seulement pro-révolutionnaire, mais surtout révolutiona-pro). Il ajoute :

— Allons, señor, si vous posez cette arme, il ne sera pas fait de mal à l'enfant, mais si vous commettez une bêtise…

L'argument déconcerte Béru et de la mollesse accable son bras vengeur. Ce que voyant, Chi Danlavaz arrondit ses lèvres et immite à la perfection le cri modulé du spathura solstitialis en rut.

Au bout d'un instant, les branchages de la forêt s'écartent et d'autes barbus tous plus pileux et hirsutes les uns que les autres apparaissent.

Un barbu ! Quinze pour moi !

Deux barbus !

Trois barbus !

Quatre barbus !

CHAPITRE IX

L'IMMOBILISATION N'EST PAS LA GUERRE

Ce qu'il y a de bien chez les guérilleros professionnels, c'est qu'ils sont organisés.

Ils habitent au cœur de la forêt, dans un camp relativement confortable puisque chaque tente comprend une salle de bains, l'air conditionné et la télévision. Il existe une tente-cinéma, une tente-école, une tente-hôpital et une tente-église où le padre Alonzo Crédo célèbre la messe quand on s'apprête à renverser un gouvernement de gauche ou fait chanter l'International aux petits condors rouges lorsqu'on lutte contre un gouvernement de droite.

Il y a en outre une tente-palais de justice, et c'est là qu'on nous conduit. A peine qu'on nous a installés sur le banc d'acajou des accusés, Chi Danlavaz imite par trois fois le cri du Leucippus Fallax (ou Doleromye trompeuse), ce qui est le signal destiné à convoquer les membres de permanence de la cour d'exception.

Effectivement, une douzaine d'hommes complètement à barbe et à moitié à poil (ils sont torse nu) pénètrent sous la tente. Le président est reconnaissable à son pistolet à crosse d'ivoire dont il se sert comme maillet. Ces messieurs de la magistrature prennent place à la grande table qui nous fait face, cependant que deux d'entre eux viennent s'asseoir à nos côtés. Il s'agit, m'explique-t-on, de nos avocats commis d'office.

Le président tape les trois coups avec son flingue.

— La séance est ouverte, annonce-t-il. Huissier, lisez l'acte d'accusation !

Un petit bonhomme mal barbu se dresse alors. Il s'approche de Chi Danlavaz et ce dernier lui chuchote quelques mots à l'oreille. L'huissier opine et s'éclaircissant la voix, attaque :

— Camarades de la cour, camarades jurés…

— Tsst, tssst, tssst ! fait le président. Nous luttons contre un gouvernement de gauche, señor huissier !

— Oh ! pardon, réagit le distrait.

Et de reprendre :

— Señores de la corte, señores los jurés, les accusés sont deux espions étrangers que nos services de renseignement ont découverts dans la forêt.

Il se rassoit.

— La parole est au señor avocado général ! déclare alors le président.

Un grand gus, un peu rouquin, bondit de son siège et beugle en tendant l'index dans notre direction après avoir retroussé la manche de sa chemise (il est le seul à en porter une pour pouvoir, justement, se livrer à des effets de manche).

— Pas de pitié pour les chiens galeux ! Je réclame la peine de mort. Et je vous demande, messieurs les jurés, de ne pas accorder les circonstances atténuantes qui entraîneraient automatiquement la commutation de la peine de mort par pendaison en peine de mort par fusillade !

Il retombe sur son banc et s'essuie le front avec son mouchoir.

Mon avocat me tapote l'épaule d'un geste qui se veut rassurant.

— Pas d'inquiétude, me dit-il, je sens que tout ira bien.

Le président accordant la parole à la défense, il se lève.

— Señores de la cour, señores los jurés, dit-il, Espions ou pas espions, ces hommes sont des étrangers. Allons-nous transgresser ce sens de l'hospitalité qui a fait la renommée de notre glorieux pays par-delà ses frontières ? Non, señores de la cour, non, señores los jurés. La justice du Rondubraz restera rondubrazienne, voilà pourquoi vous ne suivrez pas les brillants arguments du señor avocat général et vous condamnerez mon client au peloton d'exécution. Vive le Rondubraz libre !

Dans l'assistance (car il en a une, composée en majeure partie de femmes) on renifle. Je distingue même des larmes dans les yeux d'une ravissante fille brune aux yeux couleur de myosotis.