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L'avocat de Bérurier, un peu jaloux du succès de son confrère se lève à peine. Il déclare simplement :

— Je m'en remets à la sagesse de la cour.

— Parfait, approuve le président. Accusés, avez-vous quelque chose à ajouter pour votre défense ?

Béru se lève vigoureusement.

— Ah ça, oui ! fait le Fracassant. Et beaucoup de choses qu'on a à vous dire, encore !

— Ce serait trop long, asseyez-vous, je vous remercie ! coupe le magistrat.

Pépère voudrait sortir de son banc, mais deux solides gaillards lui matraquent le bulbe et il s'écroule sur son siège.

Bref colloque de la cour. Le président cogne de la crosse de son huréka.

— Silence ! dit-il. Je cède la parole au señor président du jury.

On secoue alors un gros plein de soupe qui roupille au bout de la table. Le zig s'ébroue.

— C'est à vous ! souffle quelqu'un.

Il se fourbit les lampions.

— Oh, parfaitement. Après en avoir délibéré récite le grassouillet guérillero, la réponse du jury est oui sur le chef d'accusation et non en ce qui concerne les circonstances atténuantes.

— Je vous remercie ! approuve le président. En fait de quoi, la cour condamne les accusés à être pendus dans l'heure qui suit.

Il se lève et allume un cigare.

— Navré, me murmure mon avocat. Il m'est pourtant arrivé plusieurs fois d'obtenir les circonstances atténuantes. A mon avis, c'est parce qu'on est un peu à court de munitions en ce moment qu'ils vont appliquer la pendaison. Remarquez que si c'est moins glorieux que la fusillade, ça n'est pas plus désagréable.

— Ne vous tracassez pas, mon cher maître, le rassuré-je. Que ce soit un peloton de ficelle ou un peloton d'exécution qui mette fin à ma vie importe peu…

— Bravo, fait mon défenseur, en tout cas j'ai fait tout ce que j'ai pu !

— C'est un des six mulâtres de jugement ! s'indigne Bérurier. T'as pas vu Marie-Marie ? V'là qu'elle s'est de nouveau esbignée. Tu veux parier qu'elle nous prépare encore un tour de sa façon, la petite chérie ?

— C'est possible, conviens-je, plein d'un secret espoir.

Une vraie anguille, cette gosse ! Elle s'assoit sagement dans un coin. On l'oublie, et quand on veut s'occuper d'elle on constate qu'elle a disparu.

Chi Danlavaz vient se planter devant nous, les pouces passés dans sa ceinture.

— Qu'est-ce que je vous disais ? dit-il. Ça n'a pas traîné, hein ?

— En effet, complimenté-je, du beau travail. Peut-on vous demander quel est le programme maintenant ?

Il opine.

— Le bourreau est en train de préparer ses potences dans la clairière de Grève, c'est l'affaire d'un quart d'heure.

Son sourire s'éteint, alors qu'il devrait au contraire se rallumer, vu qu'une vaste clameur arrive du dehors.

— Al fuego ! Al fuego ! fait la clameur.

Vous tous qui avez grandi sans êtres espagnols, vous pouvez néanmoins traduire, n'est-ce pas ? Oui : c'est bien au feu, au feu ! qu'hurle cette communauté guérilléreuse.

— Tu vois, je me gaffais que la môme micmaquait un turbin quéconque, béate le Mastar.

Il hoche la tête.

— Elle est pas variée dans ses astuces. Faudra qu'on se la surveille par la suite pour qu'elle ne devinsse pas pyrographe. Avec elle, vaut mieux planquer ses allumettes !

A travers la toile du palais de justice, on distingue nettement l'incendie. Il décrit un arc de cercle. Il doit cramer haut et dru !

— Tu parles d'une futée, reprend mon camarade d'infortune.

Il file un coup de saveur alentour et propose :

— Y sont plus que trois, on pourrait essayer de mettre les adjas, qu'en dis-tu ? ça me botte pas d'être suspendu comme un jambon. J' sais bien que ça file le tricotin à ce qu'on raconte mais j'ai pas besoin d'une secousse dans la moelle pépinière pour mettre Popaul au garde-à-vous !

L'incendie, particulièrement en cette période sèche de l'année, fait plus que force et que rage. Il ronfle, monte, chalumeaute. Le camp panique plus fort que, naguère, la base. Nos gardes font une triste frime. L'eau doit pas être commode à vaporiser sur les flammes. Ça manque de moto-pompe dans le secteur ! La chaleur devient infernale.

Chi Danlavaz donne un ordre à ses deux sbires. illico les interpellés se nantissent de cordes, et s'approchent de nous pour nous ligoter, ce qui les oblige à bandouliérer leurs flingues. Reste plus que l'ami Chi avec son pistolet pointé. On doit pouvoir s'arranger.

— Tendez vos poignets ! ordonne Danlavaz.

Il a passé derrière nous. Faut agir scientifiquement.

Je tends docilement mes bras en avant. Mon encordeur avance les siens pour me lier, alors, prompt comme… (Comme quoi, du reste ? Tiens, disons comme l'éclair, histoire de se singulariser). Alors, prompt comme l'éclair (au café vu que nous sommes en Amérique du sud), je lui chope les poignets et le fait virevolter. Chi Danlavaz prend son pote dans le bustier et tire. Sa ballouze se perd dans la poitrine du gars. La preuve qu'elle s'y perd, c'est qu'elle n'en ressort pas. Tandis que Béru s'arrange à l'amiable avec son propre gougnafier, je plonge par-dessus le cadavre du mien et je m'écrase sur Danlavaz. Culbute ! Il est estourbi par la chute ! Un une-deux au menton lui fait plus d'effet qu'une forte dose de somnifère.

— Besoin d'un coup de paluche, Mec ? s'enquiert A-B. B.

Lui a terminé son adversaire en deux coups de karabéru.

— Merci, Gars, j'ai fini mon ménage.

— Alors on part en vacances ?

— Et Marie-Marie ?

Mince, c'est vrai !

— Mémé disait toujours : ton onc' Béru, si tu veux de la chose de cochon, t'as qu'à y attacher un panier au der ! persifle la voix citrique de la garnemente.

Elle franchit la porte de la tente de la justice avec le visage violet et couvert de sueur.

— Ah ! on peut se défoncer l'oigne ! fulmine miss Tresses ! Alors je m'esquinte à fout' le feu au village pour sauver M'sieur m'n' onc' et le remerciement c'est « je me tire sans l'attendre ». Y sait même plus qu'il a une nièce ! Moi je viens d'arpenter un kilomètre en forêt pour semer l'ogre qui me court après avec un revolver, vu qu'il m'a surprise en train d'allumer sa cabane, je reviens vous sauver la mise une fois de plus, et je…

Elle n'a pas le temps d'en moufter davantage ! Un gros méchant cradingue dont la barbouse ressemble à un matelas éventré surgit, haletant, avec à la main un revolver gros comme un canon de 75 ! Le guérillé-rosse roule des peul injectés de sang ! Il brave, démorve, halète, bouillonne, tire la langue, pue, gronde, cruauté. Sa pétoire, c'est en direction de ma petite Marie-Marie qu'il la brandit. Je me jette devant la gosse, le coup part ! Une brûlure fulgurante (c'est toujours comme ça qu'on raconte un coup de feu dans les livres sérieux de mes confrères) me déchire le flanc. L'impact (joyeux impact) me fait butiner, je veux dire turbiner ; non, pardon : tituber ! J' suis sonné, hein ?

Marie-Marie pousse un cri. L'autre la rebraque ! A ce moment une femme déboule dans la tente en hurlant :

— Gastone Yaltéléfonekiçone !

Car elle est trop bouleversée pour avoir le temps de trouver un diminutif à ce long prénom.

Dans la tente d'arrêt, la brute marque un temps d'arrêt. Ça suffit au cher Béru pour se manifester. Il bondit et cisaille l'ogre d'un coup de saton in the bide. Oh ! ce shoot ! Pelé dans sa période fauve, les gars ! L'homme au revolver tombe à genoux. Mon ami lui tire un second penalty dans la devanture et la brute se répand en éternuant une poignée de dents.

— T'as morflé, Mec ? s'inquiète Béru.

Je me palpe le côté. Ma main rougeoie. Marie-Marie se fout à chialer.