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Nous nous allongeons sur le sol pour reprendre quelques forces. Pour ma part, je cramponne la boutanche de téquila en me disant qu'un coup de ramone-gosier me fera du bien. Mais Ibernacion me prend délicatement le flacon.

— Désinfection ! murmure-t-elle.

Je me méprends.

— C'est la bouteille de votre sœur Désinfection ?

— Non ! Il faut désinfecter votre blessure avec !

C'est vrai, ça, ma blessure… Dans la folle cavalcade en forêt je l'ai oubliée. Je lève le bras et fais la grimace en découvrant que ma limace est complètement rouge.

— Je vais vous soigner, déclare notre ravissante guerrière-osée.

Délicatement, elle retire ma limouille de mon bénard et la déchire… Une moche zébrure en diagonale apparaît dans ma chair. La balle du méchant m'a traversé la viande. Par les deux orifices, le sang coule.

— Ne regarde pas, dis-je à Marie-Marie dont la pâleur m'inquiète, ça impressionne, mais ce n'est pas grand-chose.

Docile, elle se détourne. Brave petite môme, va !

Ibernacion retrousse sa jupe et saisit le bas de son jupon blanc. Pendant un instant (beaucoup trop bref à mon sens et surtout à mes sens) je visionne la plus bath paire de jambes qui se soient jamais bаladéé sous un buste de femme : Il aurait été dommage qu'elle soit femme-tronc, cette Brebis ! Ah, monsieur le baron, si vous saviez comme tout ça est bien galbé, bien foutu et tout…

Criiiiic ! Elle déchire un grand morceau de jupon. C'est attendrissant, une fille qui haillonne pour vous ! Elle plie le lambeau d'étoffe en quatre et l'arrose de téquila. Puis elle verse ce qui reste d'alcool sur les deux orifices de ma plaie. De quoi réveiller un mort, mes chéries. Je serre bien fort les dents pour ne pas hurler. Ibernacion applique l'étoffe imbibée sur ma blessure. Nouveau troussage dont la vue dissipe ma douleur. Elle découpe cette fois d'étroites et longues lanières dans le jupon. Ça me laisse du temps pour la contemplation. Des âmes bien nées m'objecteront que je suis peu galant en matant une dame qui se décarpille pour me soigner. Un lord anglais par exemple regarderait ailleurs pendant ce temps. Heureusement je ne suis ni bien né ni lord anglais, ce qui me laisse le bénéfice de toutes mes facultés. Faudrait être bigrement hypocrite et posséder une volonté gaullienne pour détourner les yeux d'un aussi plaisant spectacle. Donc, elle boutaboute du lambeau ; confectionnant une rudimentaire, certes, mais bien agréable bande velpeau (dans mon cas, c'est, plutôt une bande belle peau) qu'elle utilise pour maintenir sa compresse en place.

Ah ! le léger contact de ses mains sur mon torse ! Ah ! son odeur de femme et de forêt !

Je coule un z'œil sournois sur Marie-Marie. La gamine, terrassée par la fatigue et la fringale s'est endormie. Alors je chope Ibernacion par la taille.

— Merci, je lui murmure.

Mais attention ! C'est pas n'importe quel merci, mes gueux ! Il ressemble pas au merci qu'on lance à la personne qui vient de vous passer la salière, ni à celui qu'on virgule au chauffard tes gueux venant de vous traiter d'engrecqué de frais. Non : c'est du merci découpé dans le velours. Du merci à inflexions. Y a fart d'accordéoner avec deux minuscules syllabes. Je l'ai.

Elle en bat des cils, Ibernacion. Son sensoriel réagit vilain. Ce regard, tropical qu'elle me distribue, ma douleur ! Non seulement il promet, mais il commence déjà à tenir ces promesses ! Je m'enroue sans parler.

Au-dessus de nos têtes, les oiseaux clament bien fort que j'ai raison de faire ce que je vais faire. J'enlace notre sauveuse d'un geste suave. J'approche mon visage du sien, promenant la tiédeur de mon souffle sur ses joues. Nos lèvres sont des aimants : nos pôles négatifs et nos épaules positives se précipitent à leur rencontre.

La belle Rondubrazienne et le non moins beau San-Antonio échangent un baiser à percussion lingnale du style : « Tiens, on t'a plombé ta prémolaire. » J'avais vu juste, mes amis : je suis tombé (pas encore tout à fait, mais ça ne saurait tarder) sur une passionnée. Seulement v'là-t-il pas qu'en pleine dégustation, la petite voix vinaigrée de miss Tresses me décourage la menteuse.

— Gêne-toi pas, Antoine, fais comme si que je serais pas là !

Machin serait là, il la traiterait de chienlit, cette pétroleuse.

Marie-Marie ajoute en décapitant des fleurettes à coups de talon.

— Ah, je suis lotie entre un cochon d'onc' qui me bouffe mon manger et un cochon tout court qui s'occupe même pas si j'aurais l'âge de raison ! Quand je pense que mémé m'expédiait au plumard quand ces cons de la téloche foutaient le rectangu'e blanc ! P'pa serait pas été inscrit au parti communiss, je me ferais bonne sœur, tellement qu'y m' dégoûtent, les hommes !

Je lui virgule un clin d'œil.

— Dis, moustique, j'ai le droit de remercier une vaillante personne qui nous a sauvé la mise, non ?

Elle bondit sur ses jambes grêles, animée du plus noir courroux.

— Et moi, dis, Antoine, je vous l'ai pas sauvé déjà, la mise ? Deux fois, si je me goure pas dans mes calculs. Tu t'imagines que c'est pour à cause qu'y faudrait me rouler une pelle ? Tu pourrais toujours t'amener, malgré la sympathie que j'ai pour toi ! J'y vois clair dans le jeu de cette roulure, va ! Elle a, le béguin. Une vraie poufiasse, comme dirait mémé. Seulement, dégoûtants comme vous êtes, les matous, ce sont celles-là qui vous attirent !

Je la laisse vitupérer.

Je me dis que la nuit finira bien par tomber, Marie-Marie par s'endormir, et bibi par entraîner Ibernacion sur un lit de mousse. Le meilleur de l'amour, c'est l'attente de l'amour.

Un de mes aminches, bourré à craquer, déclare toujours : « Moi, je me fous de l'argent ; pourvu que j'en ai !.. » Pour le radaduche biseauté c'est du kif. Moi je fous du bavouillage pourvu que je dispose du cheptel.

A propos, est-ce qu'il fait une belle chasse, Béru ?

Tout passe ; y compris le temps.

Les heures s'écoulent et Pépère ne réapparaît toujours pas. La faim nous tenaille les tuyaux. Y a plein de cris lugubres dans nos bides abandonnés. Voulez-vous parier que la Gonfle s'est perdue ? Marrant, j'en avais le pressentiment. La preuve ? Reportez-vous quéques pages plus avant et vous constaterez que je lui ai fait par de cette crainte, au boyau-scout de Saint Locdu-le-Vioque. Faut dire qu'une forêt aussi inextricable c'est pas les jardins des Champs-Elysées, mes frères ! Des centaines de kilométras (et carrés, qui plus est) d'une flore vachement dense, aux lianes tropicales. Le grand veneur se sera pris aux péripéties de la chasse. Maintenant il tournique dans le labyrinthe.

— J'ai faim, psalmodie Marie-Marie. Oh là là, c' qu' j'ai faim !..

Ibernacion met un doigt sur ses lèvres. Elle écoute, les yeux mi-clos. Je la questionne du regard.

— Il y a un nid de roicos par ici ! fait-elle.

Je lui demande ce qu'est le roico, elle m'explique qu'il s'agit d'un gros oiseau qui a le goût de poulet.

Elle marche au radadar, en fille habituée à la vie de la forêt. Nous la suivons. Ibernacion s'arrête, de temps à autre pour écouter. Puis elle repart.

— Hé, Antoine ! souffle tout à coup Marie-Marie, vise un peu, y a du raisin, par ici !

Son petit doigt à l'ongle rangé me désigne effectivement un pampre enroulé au fût d'un ganllus décadant (dit géant des forêts). De merveilleuses grappes,ressemblant à des grappes de muscat s'offrent à notre convoitise. J'en cueille une.

— Tu me la passes, dis, Antoine !

— Minute, il faut savoir si c'est comestible !

Je veux interroger Ibernacion, seulement elle est en train d'escalader un arbre, jupes troussées, avec une agilité d'écureuil. Le regard sardonique de Marie-Marie m'empêche de savourer la beauté du paysage.

— T'aimerais aller lui tenir l'échelle, hein ? glapit la teigne.