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Et ça dure des heures ! A la fin, tout le monde est plus on moins beurré. Les Livaros s'allongent sur le sol et une formidable fornication commence. Heureusement que la petite Marie-Marie est inconsciente ; ça me gênerait qu'elle assiste à une partouzette de cette envergure. J' sais bien qu'on réforme l'enseignement et qu'on va emmener les mouflets de la maternelle dans des cliniques d'accouchement pour montrer très tôt aux enfants que même à Bruxelles les chiares ne naissent pas dans des choux, mais tout de même…

— Ah ce que je regrette ! lancé-je à Ibernacion.

— De ne pas avoir connu plus tôt l'école universelle ? demande-t-elle.

— Non, d'être attaché, ma jolie. Car je vous demanderais de bien vouloir m'accorder cette danse.

Elle soupire.

— Hélas, Antonio, je n'aurais pas connu de vous ces félicités dont votre regard me donnait la promesse.

Elle s'exprime bien, hein, pour une fille qui vit dans les forêts.

— Alors, reprends-je, après leurs ébats, ce sera la mise à mort ?

— Oui, Antonio.

— Je suis navré, Ibernacion, de vous avoir entraînée dans cette funeste équipée.

— Mourir à votre droite c'est encore du bonheur, Antonio.

Oh pardon ! Comment c'est dit ! Vous en avez déjà rencontré, vous, des gerces qui se déclarent heureuses d'être décapitées et têtes-réduites en compagnie de l'homme qu'elles admirent ? Moi, c'est la première ! Quel coup de fondre, mes aïeux !

— J'aurai connu, grâce à vous, quelques heures de félicité, ajoute-t-elle.

Moi ça me branche sur Saint-Cloud, cette phrase.

Félicité m'amène Félicie. Félicie ma brave femme de m'man. J'espère qu'elle saura jamais que la belle tête de son grand garçon sera devenue pas plus grosse qu'un poing de bambino. Quand j'étais lardon un de nos voisins m'appelait toujours : p'tite tête.

Alors, p'tite tête, toujours aussi déluré ? munterpellait-il en taillant ses rosiers de l'autre côté du mur. Des fois, d'un coup de latte malencontreux, j'expédiais mon ballon chez lui.

— Si tu continues de bousiller mes fraisiers je te le confisque, tu m'entends, p'tite tête ?

La bouille de votre San-A., mi musculisée à outrance, va finir dans une vitrine les Potes !

Peut-être que des gens m'ayant connu la materont en visitant un musée. Ils se diront que cette p'tite tête leur rappelle celle de quelqu'un…

L'esplanade n'est plus qu'un foutorium géant. La copulation du village est générale. Y a juste le grand chef qui visionne le topo, accroupi sous ses plumes comme une dinde en train de couver. Il mâche du chewing-gum à la chlorophylle en évoquant, du moins le supposé-je, l'époque ou, au lieu de tirer sur le calumet, il s'en faisait faire !

Moi aussi, les gars, je médite.

Mais pas très longtemps. Car, tout à coup, un grand cri part du ciel. Cela ressemble au bramement du cerf. Je ne sais si vous avez déjà entendu la longue plainte de ce cervidé quand il est en rut. On s'y méprendrait.

Les couples se découplent. Une brusque tension causée par l'attention paralyse les mâles et referme les femelles.

Un bramement tombant des nues, voilà qui est plutôt bizarre, voire assez étrange et, pour tout dire, surprenant.

Le prodige ne s'arrête pas là. Alors qu'un nouveau cri, plus appuyé, tombe sur le village livaros, des lumières se mettent à briller dans les branchages d'un formidable gaulas déradant. Ce géant de la forêt se trouve hors de la palissade d'enceinte, mais sa ramure surplombe le camp. Quelque chose s'en détache. Un quadrupède de bonne taille, mes gars Il ne s'agit pas d'un singe ainsi que vous pourriez le croire à première lecture, mais d'une sorte de gros chamois. Un chamois dans un arbre ! Un chamois au pelage phosphorescent ! Miracle ! D'autant plus miracle que l'animal paraît être en suspens dans l'air ! Il descend lentement, par légers à-coups au-dessus du peuple pétrifié, sans cesser d'émettre ses bramements !

— Mais, on dirait un lama ! bégayai-je.

— Non, bredouille Ibernacion, c'est une vigogne.

Effectivement, les Livaros prosternés, murmurent :

— Vicuna ! Vicuna !

L'animal est maintenant à quatre ou cinq mètres du sol. Il tournoie mollement, puis prodige des prodiges ! merveille des merveilles ! se met à chanter.

Je prête l'oreille. Mais oui, pas d'erreur, cette fabuleuse bête chante en français. La voix reste caverneuse ainsi qu'il sied à un ruminant, pourtant les paroles demeurant distinctes :

— Les vigognes sont de retour…

Pas un Livaro qui maintenant ne reste posé à plat ventre, y compris le grand chef Nibdanlkalbhâr, malgré sa hernie étranglée mal guérie. La foule psalmodie les prières d'Inca de malheur. Fatima ! Ces Indiens sont aussi pommes que les Portugais.

La vigogne lumina-arbotigéno-descentionnello-chantante arrive au sol. Elle reste dressée sur ses pattes de derrière. Son pelage brille. Elle hésite, puis s'approche du grand chef qui fait des « Heugh heugh » s éperdus car il vient de choper le hoquet. L'animal se baisse et saisit de son sabot avant droit le grand couteau passé dans la ceinture de flanelle de l'illustre vieillard (le grand chef sort torse nu pour épater les foules, mais porte une ceinture de flanelle). La vigogne, sans vergogne brandit la lame dans la lueur des torches.

— Arrheugh ! Arrheugh ! crie un bébé.

Personne d'antre ne moufte. Hors, l'animal s'approche de moi d'une allure qui est davantage celle d'un plantigrade que celle d'un cervidé. Son museau rose est sanguinolent. Il m'arrive à la hauteur du pif.

— Je vais vous larguer les amarres et vous gerberez le plus vite possible, du temps que je les épaterai encore un chouia avec mes conneries, murmure la vigogne gigogne avec la voix de Béru. Occupez-vous pas de mécolle, je me débarbouillerai seulâbre. La sécurité de la môme avant tout.

Tout en disant, il a tranché mes liens d'astrinchouc.

— Tchao, Mec, et si que je refaisais pas surface, dis bien des choses de ma part à ma Berthe !

Puis la bête miraculeuse va couper les entraves d'Ibernacion, celles enfin de Marie-Marie ! Je me précipite pour ramasser la gamine inanimée. On trace vers la porte du village. La vigogne nous suit. Avec son couteau, elle décortique le verrou de bois.

— Bon. Bon, on entrouvre la barrière.

— Viens avec nous, quoi ; merde ! dis-je au Mastar.

Il me montre les Livaros. Ces derniers viennent de se redresser et ils s'approchent d'un pas flou et glissé.

— Ils nous rattraperont et on sera tous marron. A quoi ça rimasse ? Gerbe, que je te dis, je vas leur donner un autre petit récital…

Il a raison. La santé de Marie-Marie avant tout.

— Banco, Mec, consens-je. Si tout va bien, rendez-vous à l'ambassade de France ; à Gradnring dans les 48 heures.

J'assure le petit être tiède sur mon épaule, et je me mets à courir droit devant moi, suivi de la valeureuse guérillerose éberluée.

CHAPITRE XII

PÉRIPÉTIES DANS LA PÉRIPHÉRIE

Lorsque l'aube consent à se lever, nous sommes à la fois exténués et en bordure d'une route nationale. Tout à fait entre nous et le service d'ordre du Quartier Latin (qu'on pourrait appeler à l'occasion le Charnier latin) c'est grâce à l'extraordinaire Ibernacion que nous avons pu sortir de cette forêt plus ou moins vierge sur les bords, où nous vécûmes les surprenantes aventures ci-dessus. Cette jeune femme déterminée, audacieuse, téméraire et aimante (attendez, je dois en oublier… Enfin, brèfle, passons) a un sens de l'orientation qui aurait permis à Christophe Colomb de découvrir l'Inde, comme il en avait primitivement l'intention de lier de son lot à réclamer. La voie lactée, la mousse des arbres, la mouche du coche, la couche du moche, la souche du porche, l'urine de coléoptère, la feinte de lézard, le cri du cœur en gésine, la vitesse du vent, la caresse du duvet, la densité de la résine, la couleur de la couleuvre, lui permettent de trouver sa route avec une sûreté confondante. Elle interprète chaque signe, le moindre détail. Elle aperçoit tout. Elle devine ce qu'elle ne voit pas, tant et, si bien que cette forêt aussi inextricable d'équatoriale finit par être mieux balisée en fin de compte que la Nationale 7. (En anglais the National 7.)